Nous sommes le mardi 13 décembre. La députée du Mouvement citoyen genevois (MCG) au Grand Conseil du bout du lac, Ana Roch, reçoit un courriel de l’Etat, qu’elle publie ensuite sur Facebook. En objet, on peut lire qu’il s’agit d’une communication du Département de l’instruction publique, qui la convie à une conférence de presse.
Jusqu’ici, rien de bien palpitant. Mais, à la fin de l’invitation, figure une autre information pour le moins intrigante. Il y est écrit que la Cour des comptes a demandé une évaluation de ses résultats et de ses pratiques à… la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes, en France. Ses conclusions seront rendues publiques mardi 20 décembre prochain.
Au bout du fil, la politicienne s’étrangle: «Au début, je n’ai pas compris. Ce qui me choque, c’est que la Cour des comptes dise, dans ce message, avoir fait appel à une 'institution supérieure de contrôle'. Avons-nous des liens de subordination avec la France que j’ignore, pour être ainsi sous son autorité?»
Le MCG de mauvaise foi?
Prenons un peu de recul. La pratique en soi est usuelle, dans les rares cantons où elle a cours (à savoir Genève et Vaud). Le rôle d’examinateur externe des comptes de Genève avait par exemple été endossé par la Confédération, en 2018. «Je ne comprends pas qu’on demande à un pays étranger de mettre le nez dans nos affaires, s’indigne l’élue MCG. Personne, parmi nos députés, ne se souvient avoir entendu parler de ça en amont.»
Également jointe par téléphone, la présidente de la Cour des comptes, Isabelle Terrier, accuse, elle, la députée d’être un peu de mauvaise foi. «Ce n’est absolument pas une surprise: nous avions interpellé tous les conseillers d’Etat, la commission des finances et la commission de contrôle de gestion pour leur demander s’ils étaient d’accord d’être auditionnés par cette chambre régionale des comptes française.»
Elle précise que François Bertschi, le président du MCG, qui s’est également indigné de cette démarche dans un communiqué adressé aux médias, est justement membre de la commission des finances. Ce dernier était donc forcément impliqué dans la démarche, contrairement à ce que semble affirmer sa consœur de parti.
Vaud «manque d'expérience»
Quant à la question de savoir pourquoi l'organe genevois s’est adressé à un homologue étranger, Isabelle Terrier invoque le manque de choix: «La seule institution supérieure de contrôle en Suisse, qui serait apte à faire l’exercice, est le Contrôle fédéral des finances, que nous avions déjà sollicité en 2018. Étant donné la nature de cette évaluation, qui vise surtout à produire des conseils, changer d’examinateur fait sens.»
Et les cantons suisses, alors? «Ils n’ont pas cette compétence, car ils n’ont pas de Cour des comptes. À l’exception du canton de Vaud. Mais il manque d’expérience, puisque l’intégralité de ses magistrats a été renouvelée il y a deux ans. Ceux-ci n’auraient donc pas assez de recul.»
La présidente de l’instance ne comprend pas la réaction du MCG: «C'est une démarche volontaire, qui reste dans le domaine du conseil. Les Français ne vont pas nous donner d’ordres sur comment gérer nos comptes. Et, pour nous, c’est une démarche courageuse, de demander à quelqu’un d’externe d’évaluer et de critiquer notre travail…»