C'est une histoire rocambolesque rapportée par la «Luzerner Zeitung» ce vendredi. Depuis le début de l'année, un Lucernois au «début de sa soixantaine» est devenu une femme. Rien de bien extraordinaire jusqu'ici: courante, la démarche est devenue plus facile depuis que le changement du code civil approuvé par le Parlement à la mi-décembre 2020 est entré en vigueur le 1er janvier dernier.
Contre la modique somme de 75 francs, il a pu modifier son prénom et son sexe au registre d'état civil. Les employés de sa commune se sont contentés, comme le veut la procédure, de vérifier au cours d'un entretien d'une dizaine de minutes sa capacité de discernement, son identité et son domicile.
Les cantons s'en méfiaient
Le hic, c'est que l'objectif de celui qui est devenu une femme n'était pas du tout de se sentir mieux dans sa peau, mais de détourner cette modification légale à des fins utilitaristes. Sa motivation était purement financière, comme il l'a avoué sans peine à ses collègues et amis proches. Étant désormais une femme aux yeux de la loi, il a le droit de toucher l'AVS dès 64 ans, soit un an plus tôt que les hommes. Une belle plus-value lorsque l'on sait que les rentes vont d'environ 14'000 à 28'000 francs par an.
Le législateur ne pouvait-il pas s'attendre à une telle astuce? Lors des débats sous la Coupole, les partisans du changement de sexe facilité juraient que cette éventualité n'existait pas dans les faits. «Il n'y a aucun cas d'abus de la sorte dans les pays où des comparaisons juridiques sont possibles», (r)assurait la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter.
La ministre de la Justice estimait que le libre choix de l'identité de genre n'entraînerait «aucun dommage pour la société». La Saint-Galloise ne pouvait pas non plus s'imaginer qu'une personne fasse ça «sur un coup de tête», rappelle la «Luzerner Zeitung». Pourtant, plusieurs cantons avaient exprimé des doutes lors de la consultation à l'été 2018: ils percevaient des abus potentiels en matière d'AVS mais aussi pour le service militaire obligatoire. L'UDC avait adopté les mêmes arguments.
La «bonne foi» prévaut
Pourtant, une directive de douze pages de l'Office fédéral de la justice adressée aux officiers d'état civil au début de l'année considère ces agissements comme «peu probables». Les autorités communales sont invitées à éviter de «rechercher activement un abus»: il n'y a donc aucune obligation de vérifier l'intime conviction des personnes prêtes à changer de genre. La sincérité de la personne à l'origine de la démarche est présumée, conformément au principe de la bonne foi.
Il n'y a que si l'abus est «manifeste», à savoir «par plaisanterie, à des fins frauduleuses ou dans le but d'obtenir des informations», qu'une suite est donnée. Les autorités agiront-elles dans le cas d'espèce? Affaire à suivre, comme l'on dit.