Construction de missiles, recherche quantique, superordinateurs… Les espions s’intéressent de près aux hautes écoles suisses. Les universités représentent «une cible privilégiée pour les services d'espionnages», alerte le Service de renseignement de la Confédération (SRC). Des agents des services secrets chinois se feraient notamment passer pour des chercheurs afin de tirer parti des échanges scientifiques internationaux.
Une situation qui inquiète le conseiller national du Centre Reto Nause. Dans une motion, l'élu bernois, qui siège au sein de la commission de sécurité, réclame des contrôles systématiques et rigoureux des étudiants étrangers inscrits dans les filières pouvant présenter une utilité militaire. Cette mesure doit permettre d'éviter que des ressortissants étrangers n’acquièrent librement des connaissances pour ensuite les transmettre à des régimes autoritaires.
Des mesures déjà appliquées à l'EPFZ
«La Suisse est à la pointe mondiale dans de nombreux domaines de recherche, son attractivité pour l’espionnage scientifique est donc énorme», explique Reto Nause à Blick. «Rester là sans rien faire relève de la naïveté.» Un point de vue partagé par des parlementaires de tous bords politiques.
A l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) les mesures réclamées par l'élu centriste sont déjà appliquées. Ainsi, pour se prémunir de tout risque d'espionnage, l'université alémanique examine de très près chaque dossier de candidature pour des disciplines jugées sensibles, telles que le génie mécanique, la recherche quantique ou les sciences des matériaux.
«Une faille dangereuse»
Si l'EPFZ a serré la vis, notamment vis-à-vis des candidatures venues de Chine, c'est pour répondre à une réalité préoccupante: de nombreuses technologies développées dans les hautes écoles suisses peuvent servir aussi bien à des fins civiles que militaires. Les citoyens nord-coréens ont été exclus à ce titre des formations liées à la technologie nucléaire ou à la construction de missiles, conformément aux sanctions internationales.
Mais le cas de l’EPFZ reste une exception à l'échelle de la Suisse. En effet, les autres universités ne disposent pas de réglementation équivalente. «C’est une faille dangereuse», alerte Reto Nause, qui craint qu'une fuite incontrôlée de savoirs sensibles ne puisse nuire à la sécurité du pays.
Pour l'élu centriste, les règles devraient être harmonisées à l'échelle fédérale. Une liste des pays considérés comme «à risque» devrait également être établie par le Conseil fédéral sur la base des sanctions internationales, avec une attention toute particulière sur la Chine, la Russie, l’Iran ou encore la Corée du Nord.
Le Conseil fédéral est-il trop hésitant?
Le Conseil fédéral recommandé certes au Parlement de rejeter la motion de Reto Nause, mais il ne juge pas la demande de l'élu infondée pour autant. Bien au contraire: il admet – et c'est une première – qu’une action doit être menée afin de mieux protéger les connaissances sensibles. «Au vu des récents bouleversements géopolitiques, la sécurité des connaissances est devenue une priorité et un enjeu stratégique», écrit le collège exécutif dans sa réponse à Reto Nause.
De nombreux pays ont déjà pris des mesures concrètes. En Australie, aux Etats-Unis ou encore au Royaume-Uni, les candidats issus de pays à risque sont obligatoirement soumis à un examen approfondi. Et en Suisse ? Deux groupes de travail mandatés au niveau fédéral travaillent actuellement sur une nouvelle réglementation. Leurs propositions devraient être prêtes au second semestre 2025. Le Conseil fédéral décidera alors s’il convient d’adapter la législation.
C'est trop lent, estime Reto Nause. Il reconnaît que les choses bougent, mais regrette le manque de fermeté des Sept sages: «Si le Conseil fédéral avait recommandé l’adoption de la motion, il aurait envoyé un signal fort et aurait clairement indiqué que la protection de notre pôle de recherche est une priorité absolue.»