«Buongiorno, la polizia», lance Giovanni Sabetti, 58 ans, dans la cage d’escalier d’un immeuble de la commune tessinoise de Tenero. Avec son collègue Samuel Cuni-Berzi, 38 ans, ils ont décidé, à l'approche de Noël, de rendre visite au retraité Elvezio Ghezzi, 89 ans. Et les deux agents ne sont pas là pour un quelconque délit. Au Tessin, avoir plus de 80 ans suffit pour recevoir la visite de la police.
Elvezio Ghezzi n'y voit aucun inconvénient. Il invite les deux agents – qui n'en restent pas moins armés – à entrer et engage aussitôt la conversation. Médicaments, petits-enfants, Spitex: toutes les choses qui rythment son quotidien y passent. Il y a quelques mois, il a subi un AVC. Depuis, il vit avec deux stents cardiaques et doit prendre vingt-cinq comprimés par jour.
L’agent Sabetti pose un dossier sur la table. «Comment s’appelle votre médecin?», demande-t-il. Il note les informations dans un formulaire et explique qu'en cas d’urgence, ces données permettent à la police de savoir qui doit s’occuper de lui et qui possède un double de ses clés. «Souvent, les proches n’habitent pas au Tessin, mais à Zurich ou à l’étranger.» Ce seul fait constitue un potentiel indice de solitude. Il préfigure également des difficultés en cas d'urgence.
Quelque 750 personnes de plus de 80 ans vivent actuellement dans le secteur couvert par les deux policiers. Toutes ne sont pas seules. Mais «dès le moment où, pour un quart d’entre elles, nous sommes les seuls à disposer des informations nécessaires, cela devient important», souligne l'agent Sabetti.
La police communale «Intercomunale del Piano» couvre les communes de Gordola, Tenero-Contra, Minusio, Verzasca, Brione sopra Minusio, Gambarogno et Lavertezzo. C'est elle qui a lancé, il y a deux ans, le programme «Over 80». Depuis, une centaine d’habitants de plus de 80 ans reçoivent chaque année une visite de la police, et pas seulement à Noël.
A chaque fois, les agents se présentent sans prévenir. «Nous n’annonçons pas notre venue, car nous voulons voir quelle est leur réalité», explique Samuel Cuni-Berzi.
Leur objectif: vérifier si les seniors parviennent à gérer leur quotidien. «Une mauvaise odeur peut signaler un début de négligence», note l'agent. L'opération est certes appuyée par une base légale, mais elle nécessite l’accord des personnes concernées. Une ou deux fois par an, un senior refuse la visite, racontent les deux agents. Dans de tels cas, ils prennent congé sans insister.
«E bellissimo»
Depuis vingt ans, Elvezio Ghezzi, vit seul. «E bellissimo (En français: c'est magnifique)», lance le retraité tessinois en souriant. Son appartement est en ordre, et aucune odeur inquiétante n'est à signaler. A 89 ans, il ne se sent pas isolé: son ex-épouse habite juste à côté et ses enfants et petits-enfants vivent dans la région. Pour les deux policiers, tout est en ordre: aucune vérification supplémentaire n’est nécessaire.
L’agent Sabetti lui remet tout de même une pile de brochures: «Arnaque au faux petits-enfants», «Appels frauduleux», ou encore «Vivre en sécurité, tout en vieillissant». Elvezio Ghezzi les parcourt brièvement, mais le retraité préfère parler de lui. Les deux policiers communaux l’écoutent, lui posent des questions. «Où allez-vous passer Noël?», demande Sabetti. «Dans le val Maggia, avec ma famille», répond le retraité. Après une trentaine de minutes, la visite prend fin.
Ce que font les policiers tessinois est unique en Suisse. En Suisse alémanique, les corps policiers proposent certes un soutien préventif, mais de manière beaucoup moins systématique, et sans visite au domicile des retraités.
Se protéger face aux risques
Cela fait 35 ans que Giovanni Sabetti est actif sur le terrain. Après avoir travaillé à Locarno, il patrouille aujourd’hui pour la police intercommunale de Gordola et des environs. Chaque agent rend visite à une dizaine de seniors par an. «Ce ne sont pas des contrôles», insiste-t-il. Ce sont de simples visites qui permettent d’identifier tôt d’éventuels risques ou de potentielles difficultés.
Les problèmes rencontrés par les retraités sont souvent d'ordre social ou financier. «Beaucoup de personnes âgées ne savent pas à quelles aides elles ont droit.» Dans ces situations, les policiers interviennent eux-mêmes ou ils font appel au service social. Parfois, c’est encore plus simple: «Un fils n’arrivait plus à joindre son père et s’inquiétait, raconte-t-il. Une fois sur place, j’ai découvert que le téléphone n'avait simplement plus de batterie.»
La tournée se poursuit jusqu'au village de Minusio. Depuis quelques mois, Edith Bellet, 80 ans, fait elle aussi partie de la liste des retraités à recevoir une visite de la police. Victime d’un cancer du sein il y a six ans et d'un infarctus l'été dernier, cette Suissesse originaire de Glaris vit seule au Tessin depuis vingt-huit ans. Sa famille, elle, réside en France et au Kenya.
Il fait référence aux problèmes sociaux ou financiers. «Souvent, les personnes âgées ne savent pas à quelles aides elles ont droit.» Dans de tels cas, les policiers aident sur place ou font appel aux services sociaux. Mais cela peut aussi être banal, explique-t-il: «Un fils ne pouvait pas joindre son père, il s'est inquiété jusqu'à ce que je me rende compte sur place que le téléphone portable n'avait plus de batterie.»
Un canton qui se vide de ses jeunes
«Vous voulez un café?», demande-t-elle aux policiers. Elle admet volontiers ne pas toujours avoir apprécié leur visite: «Au début, je me méfiais, je me demandais s’ils n’avaient pas de mauvaises intentions.» La retraitée a raison d'être prudente: la police tessinoise met régulièrement en garde contre les agissements de faux agents. La méthode de ces criminels est particulièrement trompeuse: se faisant passer pour des policiers, ils inventent une urgence et en profitent ensuite pour soutirer de l’argent à leurs victimes.
Les agents Sabetti et Cuni-Berzi, eux, ne demandent rien. Ils apportent des brochures de prévention et remplissent tout au plus un formulaire d’urgence.
Avant de partir à la retraite, Edith Bellet tenait un salon de coiffure dans le village. Même si sa famille vit loin, elle dit ne pas se sentir seule. Mais elle laisse clairement entendre que la présence des policiers comble un vide. Alors que les jeunes ont tendance à quitter le Tessin pour des raisons économiques, les policiers prennent parfois leur place auprès des aînés. Un cadeau de Noël apprécié.