Ceux qui espéraient une fin rapide au conflit commercial avec les Etats-Unis ont dû déchanter vendredi matin. Loin du signe de détente tant espéré, c'est à nouveau une mauvaise nouvelle qui est venue frapper la Suisse. En effet, Donald Trump a annoncé qu'il allait imposer des droits de douane de 100% sur les médicaments produits hors des Etats-Unis à partir du 1er octobre.
Le 22 septembre dernier, le Conseil fédéral a invité les dirigeants de l'industrie pharmaceutique suisse et des associations professionnelles à un sommet de crise au Bernerhof. Parmi les 26 participants présents figuraient deux conseillers d'Etat de Bâle-Ville: le ministre cantonal de la Santé Lukas Engelberger et le ministre de l'Economie Kaspar Sutter. Une présence qui ne doit rien au hasard: la cité rhénane, fleuron de l'industrie pharmaceutique, fait actuellement du lobbying par tous les moyens.
Si le Conseil fédéral a répété à l'issue de la table ronde qu'il ne comptait pas accéder à la demande d'augmenter le prix des médicaments en Suisse, il a néanmoins exprimé son soutien à l'industrie pharmaceutique, ouvrant la voie à une stratégie nationale. La ministre de l'Intérieur Elisabeth Baume-Schneider a martelé devant la presse que la Confédération et l'industrie pharmaceutique avaient un intérêt commun: renforcer la branche en Suisse.
Retournement de situation
Une approche qui réjouit conseillère aux Etats bâloise du Parti socialiste (PS) Eva Herzog. Et pour cause. Début septembre, le son de cloche était tout autre. A l'époque, le Conseil fédéral ne voulait pas entendre parler d'une stratégie nationale concernant l'industrie pharmaceutique. Eva Herzog avait proposé une motion dans ce sens.
Concrètement, elle avait demandé au gouvernement «d'élaborer et mettre en œuvre une stratégie visant à renforcer la place pharmaceutique et biotechnologique suisse». A l'inverse de la volonté des sept Sages, qui recommandaient de rejeter cette motion, le Conseil des Etats l'avait validée à l'unanimité lors de la session d'automne.
«Nous avons besoin d'une vision globale concernant l'industrie pharmaceutique, explique Eva Herzog. «ll existe des stratégies pour la place financière, mais pas pour la pharma, alors qu'elle contribue de manière significative à la création de richesses en Suisse.»
Risque de pertes de recettes fiscales
Contrairement, par exemple, à Interpharma (l'association des entreprises pharmaceutiques suisse), l'élue ne demande pas une augmentation du prix des médicaments. «Ce qui est primordial, c'est que les nouveaux médicaments soient autorisés plus rapidement. Les retards d'autorisation nuisent à la recherche clinique, à l'innovation et à la Suisse en tant que place scientifique.»
Concernant l'augmentation des droits de douane décidés par Donald Trump, Eva Herzog déclare qu'il faut se montrer patient. «Beaucoup de choses ne sont pas encore claires.» Par exemple, on ne sait toujours pas pour l'heure si Novartis et Roche seront exemptés de ces nouvelles taxes. «Les droits de douane de Trump renforcent une tendance évolutive déjà en cours, à savoir une orientation de la production sur les différents marchés», explique Eva Herzog.
Ce qui l'inquiète davantage que la délocalisation de la production, c'est l'évolution des prix des médicaments à l'échelle internationale. «Si ceux-ci sont massivement réduits, les recettes de la pharma disparaîtront. La Suisse en ressentira les effets au niveau des investissements dans la recherche et dans ses recettes fiscales.»
«Une main-d'œuvre qualifiée»
Le site de Bâle est-il menacé par une délocalisation des sièges de Roche et de Novartis? Eva Herzog ne le pense pas. La sécurité juridique et la stabilité restent des arguments forts plaidant en faveur de la cité rhénane. Mais elle doit rester attractive pour que les groupes pharmaceutiques continuent à y investir.
Le conseiller d'Etat bâlois Kaspar Sutter (PS) se montre moins optimiste quant aux perspectives de délocalisation: «L'annonce de Donald Trump n'est pas bonne pour la Suisse en tant que site de production, car elle renforce la tendance à produire de plus en plus directement aux Etats-Unis pour le marché américain.» En revanche, la Suisse, en tant que site de recherche et d'innovation, ne devrait pas être directement impactée.
Kaspar Sutter rappelle toutefois que Bâle est bien positionnée: «Bâle-Ville offre des conditions-cadres stables, la sécurité juridique, une main-d'œuvre qualifiée, la liberté scientifique et d'excellentes infrastructures.» Selon lui, il est important que la cité rhénane reste attractive pour les entreprises actives dans la recherche et le développement.
Une image de la Suisse ébranlée
Le conseiller d'Etat bâlois veut mettre le gouvernement devant ses responsabilités: les accords bilatéraux III doivent être mis en œuvre afin de garantir l'accès au principal partenaire commercial de la Suisse qu'est l'Union européenne (UE). «J'attends en outre de la Confédération qu'elle élabore une stratégie pour la Suisse en tant que pôle des sciences de la vie», demande Eva Herzog dans sa motion.
Tout ce débat se déroule en parallèle du thriller douanier lancé par le président américain Donald Trump contre la Suisse. Cela fait maintenant presque deux mois que la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter a passé son fameux coup de téléphone à Trump. Ce dernier n'aurait pas du tout apprécié cet instant, au point de décréter des surtaxes de 39% sur les importations helvétiques.
Tout dépend de Trump
Depuis lors, c'est la guerre des nerfs. La Confédération a revu son offre afin de conclure un accord avec Washington. Selon certaines informations, le représentant américain au commerce Jamieson Greer et le ministre des finances Scott Bessent ont déjà donné leur feu vert.
Seul le ministre du Commerce Howard Lutnick serait opposé à l'accord. Ce New-Yorkais est considéré comme le l'un des hommes de main les plus déterminés de Donald Trump. Son accusation, il y a quelques semaines, selon laquelle la Suisse s'enrichirait aux dépens des Etats-Unis, correspond tout à fait au ton de la crise actuelle.
La Suisse est donc obligée d'attendre. Car depuis les 39%, tous les acteurs économiques sont conscients que seuls Trump et son humeur pourront changer la donne. Tandis que le ministre de l'Economie Guy Parmelin et toutes les parties prenantes se démènent pour protéger l'industrie pharmaceutique helvétique, les diplomates cherchent, eux, à sortir de l'impasse douanière.
A Berne comme à Bâle, on attend avec impatience le moment où le président américain se penchera sur le dossier «Switzerland». Ce sera peut-être demain. Ou l'année prochaine. Tout dépend du one-man-show du locataire principal de la Maison Blanche.