«Six employées de maison sont venues nous voir en mars via un collectif de sans papiers», a déclaré Mirella Falco, secrétaire syndicale SIT jeudi devant la presse à Genève. Elles ont quitté les Philippines, car la mission pakistanaise auprès de l'ONU leur promettait une vie décente à Genève, avec un salaire, un toit et le paiement des assurances sociales.
A l'arrivée, la réalité était tout autre. Elles ont dû accepter de travailler plus de 10 heures par semaine sans salaire en échange d'une carte de légitimation (une carte spéciale que donnent les diplomates à leurs employés et qui est délivrée par la mission suisse). Ce tout en travaillant pour d’autres personnes pour subvenir à leurs besoins vitaux, a poursuivi Mme Falco.
Pendant des décennies, ces employées de maison ont été tenues au silence par leur crainte de perdre leur statut de séjour. En cas de licenciement, elles disposent d'un délai de deux mois pour trouver un autre employeur diplomate. Le cas échéant, elles n'ont d'autre choix que de repartir ou de basculer dans la clandestinité, a expliqué la secrétaire syndicale.
Les humiliations subies et la perte de leur revenu en raison de la pandémie a fait basculer leur fragile équilibre. Certaines sont tombées malades. Elles ont décidé de sortir de l’ombre en témoignant à visage découvert dans l'émission «Mise au point» de la RTS, prenant le risque d’affronter le monde diplomatique et ses privilèges et de ne pas retrouver de travail.
Infractions graves
«C'est vraiment très difficile pour moi d'avoir été licenciée. J'ai travaillé très dur pendant la moitié de ma vie pour la mission pakistanaise, ils le savent», a témoigné l'une d'elles. «Les infractions dénoncées sont extrêmement graves», a observé l'avocate Céline Moreau qui défend deux de ces femmes. «Elles ne doivent pas être sous-estimées: il y a suspicion de contrainte, usure, voire de traite d’êtres humains». Suite aux plaintes déposées, «nous espérons que des enquêtes vont être conduites», a-t-elle ajouté.
L'avocate a encore souligné le rôle de lanceuse d'alerte endossé par ces employées. «Elles ne font pas ça pour elles, mais pour les autres». D'autres femmes ont été entendues, mais ont peur de parler, a confirmé une représentante de la Swiss Nanny Association, dénonçant des contrôles de la Mission suisse «superficiels et inopérants»
Par l’intermédiaire du SIT, les employées ont interpellé les conseillers fédéraux Karin Keller-Sutter et Ignazio Cassis. Dans leur lettre, elles dénoncent les abus subis et demandent protection à la Suisse.
Les autorités doivent prendre des mesures pour faire cesser ces pratiques. Notamment en améliorant l'ordonnance fédérale qui fixe les conditions de travail et les autorisations de séjour dans le monde diplomatique, a estimé la secrétaire syndicale.
Les Philippines ont également demandé le 19 mai à être auditionnées par Nathalie Fontanet, en charge du Département des finances et des ressources humaines auquel est rattaché le service de la Genève internationale, et par Mauro Poggia, chef du département de la sécurité, de la population et de la santé.
Leur souhait: témoigner de l’exploitation crasse subie, demander le soutien du canton dans leur démarche de régularisation de leur statut de séjour à Berne, et obtenir réparation dans le respect des conventions internationales et des dispositions légales suisses.
Les autorités fédérales ont accusé réception 15 jours plus tard en assurant que des contacts avaient déjà été pris. A Genève, ces employées n'ont reçu aucun message ni même d'accusé de réception de la part du canton. «Pour moi c'est du mépris», relève Mme Falco.
Contacté, «le Conseil d'Etat déclare avoir bien reçu ce courrier. Il est en cours de traitement», a fait savoir une porte-parole du Département genevois des finances.
(ATS)