Le premier dimanche des vacances d'été 2019, Bernhard Bleiker, alors âgé de 54 ans, s'effondre sous la douche. Un bruit sourd retentit. Sa femme Ariane, assise dans la cuisine avec un café, sursaute. L’ambulance arrive. Direction l’hôpital cantonal de Saint-Gall, aux soins intensifs. Rapidement, le diagnostic tombe: il est victime d'une hémorragie cérébrale. Il sombre dans le coma pendant deux semaines et lorsqu’il se réveille, il n’est plus le même.
Le quotidien de la famille bascule. Rapidement, les difficultés financières s’accumulent, malgré l’assurance-invalidité, les assurances privées et la maison en propriété. Ariane Bleiker cherche de l’aide auprès des autorités, jusqu'à ce qu'une curatelle soit finalement instaurée pour gérer leurs finances.
A l’automne 2024, cinq ans après l’accident, Bernhard Bleiker décède. Ariane Bleiker doit à nouveau s’occuper seule des finances. C'est alors qu'elle retrouve un gros classeur jaune rempli de rappels, d’ordres de paiement et de menaces... c'est un désastre financier. Et là, le choc est immense: «Le curateur nous a fait perdre toute notre fortune.»
Hypothèques avec assurance-vie
Assise dans son salon à Sulgen, dans le canton de Thurgovie, Ariane Bleiker peine à retenir ses larmes. Surtout lorsqu’elle parle de son mari. «Il travaillait sur les chantiers et je m’occupais des enfants à la maison. C’était important pour lui. Il était de la vieille école», explique-t-elle.
Le couple a deux fils, nés au début des années 2000. En 2016, Bernhard Bleiker achète une maison jumelée à Herisau, en Argovie, comprenant trois appartements et une grange. La famille s’installe dans l’un des logements, les autres sont mis en location. L’ancienne propriétaire leur accorde un prêt. Pour garantir les hypothèques, Bernhard Bleiker souscrit une assurance vie. «Il voulait que nous puissions rester dans la maison s’il lui arrivait quelque chose», raconte sa veuve.
En 2019, après l’AVC de son mari, elle doit tout gérer seule. «J’ai dû résilier le bail d’un locataire qui ne payait pas. Et la femme qui nous avait accordé le prêt est décédée. Ses héritiers ont voulu récupérer leur argent immédiatement», se souvient-elle.
Après son hospitalisation, Bernhard est placé dans un foyer. Mais la caisse maladie refuse de couvrir les frais, estimant qu’il ne s'agit pas d'un «cas de soins». Ariane doit alors chercher un emploi. En juin 2020, lorsque ses économies sont épuisées, elle ramène son mari à la maison et s’en occupe elle-même. Jusqu'à ce que la situation devienne insoutenable. «Son état mental s’est dégradé et il est devenu très agressif», confie-t-elle.
Le curateur a repoussé les acheteurs?
Après un an et demi à la maison, Bernhard est de nouveau placé en institution. La caisse maladie prend cette fois en charge une partie des coûts. Mais malgré tout, Ariane peine à suivre financièrement. «Je n’y arrivais plus. Je voulais que quelqu’un de professionnel gère les finances», explique-t-elle.
Elle engage alors un agent immobilier pour vendre la maison et s’adresse à l'APEA, l'Autorité suisse de protection de l’enfant et de l’adulte. Une curatelle est mise en place au printemps 2023, avec pour mission de gérer les biens de son mari, dont la maison.
La famille Bleiker déménage. Pourtant, pendant des mois, la vente n’avance pas. «L’agent immobilier m’a appelé un jour pour me dire qu’il ne pouvait plus collaborer avec le curateur. Apparemment, ce dernier avait découragé tous les potentiels acheteurs», raconte Ariane.
Elle garde malgré tout confiance. En août, l’état de santé de son mari se détériore et les visites au foyer sont de plus en plus rares. «C’était très dur. Il ne comprenait pas pourquoi il était en foyer, il nous en voulait», se rappelle-t-elle.
Commandements de payer pour 570'000 francs
Cinq jours après le décès de Bernhard Bleiker, l’office des poursuites adresse deux commandements de payer à Ariane. Le premier s’élève à 316'370 francs, le second à 256'899 francs. Elle fait des recherches et découvre que le curateur n’a jamais payé les intérêts hypothécaires. Un mois avant la mort de son mari, la banque avait résilié les hypothèques. L’assurance-vie liée a été automatiquement annulée.
Et ce n’est pas tout. Bernhard Bleiker avait également une deuxième assurance vie, dans son troisième pilier. Mais à cause de l’endettement, le compte avait été mis en gage et l’assurance a été dissoute. A ce moment-là, pour Ariane Bleiker, le monde s'écroule.
«Tout a été fait correctement»
Ni l'APEA ni la curatelle n’ont souhaité répondre à nos questions, invoquant toutes les deux le secret de fonction. Un rapport de contrôle sur le dossier, que nous avons pu consulter, conclut pourtant que «tout a été fait correctement».
Aujourd’hui, Ariane Bleiker subvient seule aux besoins de sa famille avec un emploi à temps partiel. L’argent ne suffit pas. Elle dépendrait de l’assurance vie et de la succession pour retrouver un peu de stabilité. Elle a engagé un avocat. «Mon mari et moi avons essayé de prévoir tous les scénarios. Nous avons payé nos assurances. Et aujourd’hui, je me retrouve sans rien.»