Pour avoir été «naïfs comme tout», les Vaudois Isabelle et Hervé Rochat* ont subi «la ruine de leur retraite» en un petit mois. En mars 2022, leurs économies – pas moins de 177’000 euros, soit 165’000 francs – ont fini dans les poches d’escrocs très bien organisés, qui ont fait miroiter des jours plus beaux aux sexagénaires, tout juste retraités.
Tous deux anciens travailleurs sociaux, les époux habitant la Broye se sont livrés anonymement à Blick. Ils souhaitent dénoncer l’arnaque à l’usurpation d’identité, qui vient également de coûter cher à une connaissance et à un lecteur de Blick. Aujourd’hui encore, cette histoire – dont seuls leurs enfants et un ami sont au courant – leur inspire «un sentiment honteux, lourd à porter». Mais forts de leurs 45 ans de mariage, ils ont tenu le coup.
Une cryptomonnaie lancée… par Elon Musk?
Le couple fait partie des nombreuses victimes d’une vaste escroquerie aux cryptomonnaies, comme celle qui a touché 5000 personnes – dont 100 en Suisse – et qui a mené au démantèlement d’un gang par Europol, fin juin en Espagne. «Nous avons répondu à une publicité sur Facebook concernant la cryptomonnaie lancée par Elon Musk, se souvient Isabelle. Il fallait verser 250 euros pour avoir accès aux investissements.»
Intrigués, les deux Baby-Boomers y voient une de façon de «mettre du beurre dans les épinards». Alors, ils cliquent et s’extasient devant les rendements promis. Sur internet, ils trouvent la façade de l’entreprise. «Tout avait l’air en ordre», déplore Hervé. Le 1er mars, le couple de quasi-septuagénaires verse la somme demandée. «De fil en aiguille, ces 250 euros nous ont coûté le résultat de deux vies de boulot, s’autoflagelle Isabelle. On a bossé toute notre vie pour ces salauds», s’énerve Hervé.
Des rendements qui triplent
Rapidement, leur moisson semble porter ses fruits. Sur la plateforme de «trading», le cours de leurs cryptos grimpe: «C’était pas possible, des rendements pareils. Les sommes triplaient. On s’est dit: 'super, on va pouvoir retaper notre maison et le chemin.'» Entre début et fin mars, Isabelle et Hervé effectuent neuf virements vers une banque en Lituanie. D’abord une petite somme, puis à coups de 25’000 euros.
Ils discutent souvent avec des interlocuteurs qui sont aux petits soins, au téléphone ou par WhatsApp. «Au début, ils étaient très gentils. Des pures merveilles. Mais au fur et à mesure, ils ont commencé à être directifs et désagréables», se rappelle Isabelle.
En confiance, ils investissent
Les premières inquiétudes pointent le bout de leur nez. «On a été beaucoup trop crédules. Au point où on s’est fait engueuler par nos propres enfants.» Hervé se souvient des mots de son fils, inquiet des investissements nébuleux de ses parents: «Ça a l’air d’être une encouble. Demande-leur de l’argent pour voir s’ils te l’envoient.»
Le couple s’exécute et demande à retirer 3000 francs. Cette petite somme – envoyée «sans broncher» et avec des documents bancaires «qui paraissaient vrais» – va servir de coup de grâce. «Ça nous a mis en confiance, mais c’était comme nous donner une poignée de cacahuètes», se désole Isabelle. «C’est vraiment le nœud sur le cadeau, qui a même mis en confiance nos enfants», insiste son mari. Si bien qu’ils ouvrent même des comptes pour leurs enfants.
Les deux Vaudois continuent d’investir. Jusqu’à ce que leur portefeuille d’actions leur promette de récupérer 440’000 euros, soit plus du double de leurs investissements. Le couple décide d’en rester là et demande à retirer 100’000 francs. «On a dû leur envoyer 37’000 francs pour tout récupérer. Ils appelaient ça la flat tax», détaille Hervé.
Des autorités impuissantes
Malheureusement, ils ne verront pas la couleur de cette somme, ni du reste de leur hypothétique argent. Malgré leur insistance, leurs appels et leurs messages aux escrocs, ils ne reçoivent rien du demi-million d’euros espéré. «Nous sommes allés très rapidement à la police après avoir découvert l’arnaque», assure Isabelle. Mais à Lausanne, la police ne peut, selon elle, «pas donner suite, car elle n’a pas les moyens nécessaires pour une telle enquête internationale».
Les Rochat ont déposé deux plaintes pénales auprès des autorités suisses. Ils ont également cherché à déposer une plainte contre la banque lituanienne qui a accepté leur argent et a «ouvert un compte pour une société qui n’existait pas». Depuis trois ans, Isabelle explique faire «tout ce qu’il est possible de faire comme démarches» pour récupérer une partie de son 2e pilier, obtenu en capital. Le couple a écrit toutes sortes de mails et de plaintes et a tenté d’approcher plusieurs personnalités dont l’image est usurpée sur internet – c’est également le cas de Blick, qui a récemment porté plainte.
«Avec la bénédiction de la police», Isabelle et Hervé prennent contact avec Broker Defense, une société française spécialisée dans le règlement des litiges provenant d’arnaques sur internet, qui essaie de récupérer des fonds perdus. «Une avocate s’est occupée de notre cas, mais sans succès, explique Isabelle. Elle a envoyé deux mises en demeure et on a payé pour une procédure civile. Mais sans engager d’avocat sur place, ça n’a rien donné.»
Une pilule dure à avaler
Hervé est plus sceptique quant aux résultats de ces démarches: «Police et autorités ne peuvent pas en faire plus et on a versé 1200 euros aux avocats. On a même contacté Interpol. Mais ils ne font pas de suivi…» Depuis leurs démarches, les deux Romands sont sans nouvelle de l’avancée de l’enquête. «Ça me faisait du bien d’essayer des trucs. Parce qu’une affaire comme celle-là, il faut pouvoir l’avaler», confie Isabelle.
«On n’attend plus rien, affirme Hervé. Dans notre tête, on a tout perdu. On se dit qu’il faut faire avec ce qu’on a désormais. Notre retraite, on pensait se la faire plus belle.» Depuis 2022, cette perte d’argent a eu des conséquences sur le train de vie des deux amoureux. «Notre argent fond comme neige au soleil, déplore Isabelle. Il ne nous reste que les 3400 francs par mois de l’AVS, alors qu’on gagnait le double quand on travaillait.» Résultat: le couple doit se résoudre à vivre plus simplement et à faire des concessions. Ils cèdent à leur fille la vieille ferme broyarde qu’ils avaient retapée, ils vendent l’une de leurs deux voitures et ne se retrouvent qu’avec un vieux van, qu’il sera difficile de rénover.
Couple ruiné, mais famille soudée
«On a un toit sur la tête, se contente Hervé. Mais on a dû changer nos habitudes. On ne sort plus vraiment, on ne va plus au restaurant et on mange plus simplement, mais quand même tous les jours.» Isabelle regrette les conséquences de cette arnaque sur sa famille: «On n’a pas les sous pour faire des beaux cadeaux à nos enfants et petits-enfants.»
Malgré tout, tous deux sont fiers d’une chose: leur famille est restée soudée dans l’adversité. «On a perdu quelques kilos, mais on ne s’est pas laissé bouffer», rigole Hervé. «On va mieux que quand ça nous est arrivé», souffle Isabelle.
Philosophe, l’époux en vient même à féliciter les escrocs: «Bravo les mecs! Ils ont été très forts jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’on leur envoie nos derniers centimes.» Le voilà désormais résigné, mais tout de même avec une part de colère. «Si j’avais les mecs en face de moi, je n'arriverais pas à rester gentil.»
Autre sentiment: la honte. Outre les enfants du couple, seul le meilleur ami d’Hervé est au courant de l’importante somme envolée dans la nature. «Si on en parle, on va passer pour des cons», résume crûment l'ancien travailleur social. Jusqu’à cette mésaventure, son épouse Isabelle n’avait «vraiment pas l’impression d’être quelqu’un d’aussi naïve». Elle espère que son histoire pourra éviter à d’autres de tomber dans le panneau, mais aussi «qu’un jour, on attrapera les salopards qui ont fait ça».
*Noms d'emprunt