Succession de Levrat aux États
Carl-Alex Ridoré, dernier train pour Berne

Moins connu hors des frontières fribourgeoises que Christian Levrat ou Alain Berset, celui qui a été préfet de la Sarine durant 13 ans veut enfin accéder à la Coupole fédérale. Parviendra-t-il à terrasser l’épouvantail Isabelle Chassot, dimanche? Portrait.
Publié: 21.09.2021 à 04:45 heures
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Dernière mise à jour: 24.09.2021 à 14:17 heures
Le préfet de la Sarine rêve de quitter Fribourg pour le Palais fédéral.
Photo: keystone-sda.ch
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Dans l’iconographie politique fribourgeoise, un cliché a valeur de document. Nous sommes au début décembre 2003 et dans le tardif été indien bernois, cinq hommes avancent devant l’objectif d’Alain Wicht, le photographe de «La Liberté» venu immortaliser les premiers pas des «p’tits nouveaux» sous la Coupole.

Alain Berset, Urs Schwaller, Dominique de Buman, Jean-François Rime et Christian Levrat ne le savent pas encore, mais ils pèseront de tout leur poids sur la politique fédérale durant plusieurs années, faisant la renommée d’une «génération dorée» fribourgeoise.

Carl-Alex Ridoré ne figure pas dans ce «cinq de base». Mais cet ancien junior de l’équipe de Suisse de basket veut le rejoindre et vise le Conseil national quatre ans plus tard, en 2007. Il se fait brûler la politesse sur la liste socialiste par Jean-François Steiert pour 2000 petites voix.

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Le séisme tranquille

Tenace, le jeune avocat ne se laisse pas décourager. Il reste à Fribourg et s’attaque à un bastion PDC historique: la préfecture de la Sarine. Le symbole est fort, puisque Carl-Alex Ridoré devient en 2008 le premier préfet noir de Suisse. Pas de quoi verser dans l’euphorie. «C’est un séisme tranquille», rigole alors le jeune préfet de 36 ans, premier homme de gauche à s’asseoir sur ce fauteuil.

2008: le nouveau préfet reçoit les félicitations de la conseillère d’État… Isabelle Chassot

La même année, Barack Obama accède au pouvoir. Le raccourci est vite fait, le fraîchement élu préfet de la Sarine affublé par de nombreux médias du surnom d’«Obama fribourgeois». Presque irrité à l’époque, le candidat ne veut pas thématiser davantage aujourd’hui sa couleur de peau qu’il y a treize ans, malgré le tag honteux sur une de ses affiches. «Comme pour la préfecture, je suis conscient du symbole que cela représenterait, mais pas plus», répond Carl-Alex Ridoré. Et de poursuivre après quelques secondes de réflexion: «Cette question ne doit pas être un frein, mais elle ne doit pas non plus être un moteur.»

Ce fils d’un couple d’Haïtiens revendique son droit à être considéré comme un vrai «Dzodzet». L’intégration est un maître-mot dans sa commune de Villars-sur-Glâne, dont il a présidé le conseil général et où il nous reçoit. En particulier son quartier natal de Villars-Vert, laboratoire multiculturel où plus de 100 nationalités se côtoient. Fribourgeois «AOP», il a fait partie de nombreuses associations, a chanté dans des chœurs, joué dans plusieurs clubs sportifs et connaît les rouages de son district et de son canton comme presque aucun autre grâce à ses treize années à la préfecture de la Sarine.

«Je décide avec un certain plaisir»

Sur le départ, l’homme conserve un amour intact pour la fonction, essentielle dans la politique fribourgeoise et à laquelle les citoyens sont attachés. C’est aussi un rôle qui confère un pouvoir de décision à une seule personne, une particularité en Suisse où la collégialité est érigée en patrimoine national. «Il s’agit d’un héritage de l’époque napoléonienne et, à mes yeux, d’une piqûre bénéfique pour notre démocratie», analyse le médiateur de formation, qui ne se retient pas de trancher. «Non seulement cela ne me pose pas de problème, mais je le fais avec un certain plaisir». Des incendies aux constructions en passant par la mobilité: le Villarois aura apporté sa touche à «tout ce qui fait la vie d’une région».

Seulement voilà: à l’aube de son cinquantième anniversaire (en mars prochain, trois semaines avant celui d’Alain Berset), Carl-Alex Ridoré aimerait enfin ouvrir son propre chapitre bernois. Le candidat évoque un «retour aux sources», qu’il oppose à toutes celles et ceux qui voudraient lui reprocher un manque d’expérience fédérale. «J’ai effectué toute la première partie de ma carrière professionnelle sur des thèmes nationaux ou internationaux, notamment à l’Office fédéral de la justice et comme membre de la Commission d’admission au Service civil», avance le socialiste, également auteur d’une thèse en droit européen. Il raconte avoir voulu «mettre les mains dans le cambouis» avec un brevet d’avocat à Bulle puis en tant que préfet de la Sarine, mais que l’appel de Berne, «ses premières amours», est très fort.

Un calendrier qui a tout changé

Si le départ surprise de Christian Levrat à La Poste n’a pas fondamentalement modifié les plans de son camarade Ridoré — il aurait aussi visé le poste de sénateur en cas d’élection de son ex-président de parti au Conseil d’État fribourgeois —, il en a bouleversé le calendrier. Car l’élection complémentaire a lieu avant les élections cantonales et surtout les (ré) élections aux préfectures, forçant le Sarinois à sortir très vite du bois et à abandonner son poste. Avec en prime une question que tout le monde se pose: que ferait l’ex-préfet s’il venait à ne pas être élu dimanche prochain? Le candidat, qui croit fermement en ses chances, ne s’est logiquement pas projeté. Du moins publiquement.

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Carl-Alex Ridoré jouera d’autant plus gros dimanche prochain qu’il est aussi président de l’assemblée constitutive du Grand Fribourg, le projet de fusion qui pourrait donner naissance à une commune de 75’000 habitants et qui vivra une première manche décisive dans les urnes ce 26 septembre.

Dans son duel de poids lourds de la politique fribourgeoise prévu le même jour, Carl-Alex Ridoré a un atout dans sa manche: l’équilibre gauche-droite. Hormis une courte interruption, voilà 40 ans que les deux bords politiques se partagent les deux sièges de sénateurs dévolus au canton de Fribourg. Un cocktail gagnant, selon le socialiste. «Avoir un avocat fort pour chaque camp est plus important que jamais, dans un moment où l’on vit une crise sanitaire doublée d’une crise économique, sans compter la crise environnementale», assure Carl-Alex Ridoré, qui prend pour référence les succès pour le canton du duo de jadis Christian Levrat — Urs Schwaller dans la Chambre des cantons.

Fribourg, son amour

Reste la question de l’équilibre linguistique. «On ne peut pas respecter toutes les minorités», admet celui qui a triomphé de la germanophone Ursula Schneider-Schüttel dans la primaire socialiste. Carl-Alex Ridoré préfère mettre en avant sa capacité à les représenter, que ce soit en tant que Fribourgeois francophone lors de sa «première carrière» bernoise ou en tant que seul préfet de gauche.

Comment le socialiste décrirait Fribourg aux habitants d’autres cantons? «Je commencerais par dire que j’adore cet endroit!» Précis et méthodique au moment de répondre aux autres questions, le bientôt quinquagénaire fait — enfin — entendre son rire communicatif et lâche un peu la bride, tressant des louanges à un territoire authentique fait d’équilibres subtils («allemand-français, ville-campagne, montagne-lac, Université-patrimoine sacré»).

Carl-Alex Ridoré sait qu’il devra mobiliser au-delà de la gauche (40% de l’électorat cantonal) pour conserver le siège de Christian Levrat dans le giron socialiste, et se pose en rassembleur. Il dit son affection pour les marchés, pour Saint-Nicolas et pour Gottéron. Habitué à canaliser les fans bernois aux abords de la patinoire les soirs de derby des Zähringen, le grand sportif veut plus que tout faire le trajet inverse. Mais pour être promu en ligue nationale, il lui reste un sacré match de barrage à remporter. Rendez-vous dimanche!

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