Succession de Christian Levrat aux États
Isabelle Chassot, la passion de la chose publique

Après huit ans à diriger l’Office fédéral de la culture, Isabelle Chassot revient à la politique. Ou plutôt tente d’y revenir, puisqu’elle affronte le socialiste Carl-Alex Ridoré pour un poste au Conseil des États ce dimanche. Portrait.
Publié: 21.09.2021 à 04:45 heures
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Dernière mise à jour: 26.09.2021 à 15:24 heures
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Comme tous les observateurs de la politique fribourgeoise, même les plus expérimentés, Isabelle Chassot a été surprise lorsque Christian Levrat a lâché la course au Conseil d’État pour céder aux sirènes de La Poste. Occupée au moment où la nouvelle est tombée, elle a d’abord cru à une méprise de l’interlocuteur qui le lui a annoncé peu après.

La volte-face de l’ancien président du PS, en plus d’ajouter une échéance à un automne fribourgeois bien chargé, a attisé les convoitises. Y compris du parti de celle qui dirige avec grand plaisir l’Office fédéral de la culture depuis 2013, lorsqu’un certain Alain Berset l’a attirée à Berne. Isabelle Chassot était alors au sommet de son art et de sa popularité — quelques années plus tôt, elle figurait parmi les candidats au titre de «personnalité politique suisse de l’année» et son nom circulait pour le Conseil fédéral.

Avant de se lancer aux États, l’ex-ministre cantonale (2001-2013) a dû défendre sa candidature lors d’une audition de son parti. Une première pour elle. «Attention, s’empresse-t-elle de corriger, cela ne vaut que pour mes mandats politiques. Je n’aimerais pas que l’on croie que j’ai bénéficié de passe-droits alors que j’ai parfois passé de très longues procédures de sélection sur le plan professionnel», s’excuse presque la Fribourgeoise.

Parce qu’il n’y avait que deux femmes

Le premier mandat, justement, remonte à 1991 déjà. Isabelle Chassot, membre alors des Jeunes démocrates-chrétiens, est draguée pour compléter une liste pour le Grand Conseil. Elle accepte «parce qu’il n’y avait que deux femmes sur 24», avec pour seule ambition de ne pas finir dernière. Ce jour-là à Villarlod, à quelques kilomètres de son lieu d’origine Siviriez, la personne qui proclame les résultats marque une pause avant d’annoncer le nom de la nouvelle élue. «… et c’est une surprise: Isabelle Chassot»!

Trente ans plus tard, l’avocate de formation invoque avec modestie qu’elle a «un profil qui plaît» en politique. Elle souhaite rendre hommage aux «pionnières» qui ont permis l’accession des femmes au premier plan, et espère qu’un jour son nom ne sera plus associé à un palmarès («la première femme qui…»). Au Conseil des États, c’est Johanna Gapany qui a cette étiquette, depuis qu’elle a brûlé la politesse au PDC Beat Vonlanthen en octobre 2019.

Le canton de Fribourg aura-t-il un premier duo féminin à la Chambre haute? Isabelle Chassot n’a pas tout de suite cédé aux avances de son parti: elle a demandé un «délai de réflexion». Pas parce que sa famille politique a changé de nom («une mue réussie») depuis qu’elle a quitté son dernier mandat il y a huit ans, mais parce que la Fribourgeoise a aimé diriger l’Office fédéral de la culture. Et qu’elle n’avait pas l’intention de le quitter, «ne cherchant pas une porte de sortie». À 56 ans, avait-elle la motivation nécessaire pour un tel virage à 180°?

Elle a conseillé Koller et Metzler

Fine stratège, Isabelle Chassot devait surtout évaluer ses chances. Mesurer l’effet d’érosion de huit ans sur son immense popularité avant son départ à Berne. Quantifier l’effet de la variable «Singine», privée de représentant depuis l’éviction de Beat Vonlanthen au profit de Johanna Gapany en 2019. Le district germanophone du canton pesait-il assez lourd pour que Bruno Boschung lui brûle la politesse lors d’une «primaire» démocrate-chrétienne? Pouvait-elle en intégrer les combats, en parfaite germanophone?

Les jeux politiques, Isabelle Chassot connaît et maîtrise. Elle n’a que 32 ans lorsqu’elle est nommée conseillère personnelle d’Arnold Koller. Elle enchaîne aux côtés de Ruth Metzler, avant de s’installer au Conseil d’État fribourgeois, devenant «Madame éducation» en présidant notamment la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique.

Ce printemps, Isabelle Chassot a fini par dire oui. Trop passionnée par la politique, elle ne pouvait laisser passer cette occasion de siéger au Conseil des États, probablement le plus noble écrin du débat d’idées dans ce pays. Pour justifier son choix, elle cite le Covid, qui a tout bouleversé sur son passage et a montré «l’incertitude du quotidien» ainsi que «l’importance de la chose publique».

«Pas une femme de droite»

On dit aussi que la pandémie a appris à Isabelle Chassot, qui «passe son temps au bureau», à rester chez elle. Après avoir longtemps mis une barrière claire entre sa vie professionnelle et sa vie privée, elle a accepté de recevoir Blick chez elle («mais sans photographe»), dans l’agglomération fribourgeoise — le fameux Grand Fribourg qui est aussi soumis aux votants dimanche prochain et qui bénéficie du soutien de la candidate du Centre.

Converser avec Isabelle Chassot, c’est faire face à une communicante hors pair. L’avocate de formation pèse chaque mot avec soin, n’hésite pas à prendre quelques secondes pour chercher un qualificatif adéquat, lâche çà et là un mot en allemand, en s’excusant tout en justifiant que la langue de Molière ne possède pas d’expression pour représenter la nuance désirée.

La nuance: un terme sacré aux yeux de cette fille d’une mère autrichienne et d’un père fribourgeois travaillant au service du personnel à la verrerie de Saint-Prex (VD) puis à celui de Chocolat Villars à Fribourg. Bâtisseuse de ponts, Isabelle Chassot se bat contre l’étiquette «de droite» dont on voudrait l’affubler. «Il n’y a pas la gauche contre la droite dans notre pays, il y a la gauche, le centre et la droite», avance-t-elle calmement.

C’est de bonne guerre électorale, puisque le parti socialiste a beaucoup thématisé la fin d’une «formule magique» fribourgeoise vieille de 40 ans presque sans discontinuer, mais on voudrait tout de même la croire. Car l’ancienne conseillère d’État fribourgeoise est une espèce en voie de disparition, issue d’un PDC populaire («son nom en italien, parti populaire démocratique, est parfait»), bâtisseur de majorités et surtout influent.

Le choc à Locarno

Il suffit d’évoquer le «Stöckli» pour qu’Isabelle Chassot ait les yeux qui brillent. Ce haut-lieu du consensus lui siérait à merveille. «On m’a souvent demandé pourquoi, au Conseil d’État, on ne se tutoyait pas en séance alors que nous le faisions au quotidien. C’est un formalisme qui permet de prendre de la hauteur, de mettre de la distance entre la fonction et la personne, de se disputer sur des dossiers tout en allant boire un verre par la suite. Je retrouverais cette culture au Conseil des États, où l’on discute en s’écoutant les uns les autres avec le but de trouver une majorité solide», explique-t-elle.

Une culture du débat et du compromis que la pandémie a mis à mal. La directrice de l’OFC est encore sous le choc d’un épisode vécu au récent festival du film de Locarno. «Nous étions proches de la Piazza Grande lorsqu’un défilé anti-mesures Covid est passé proche de moi. Certains avaient une étoile jaune. Je n’ai pas pu m’empêcher d’aller leur dire ma désapprobation, mais j’ai vite compris que le dialogue était impossible…»

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En huit ans, la politique a changé, notamment avec l’omniprésence des réseaux sociaux. Mais Isabelle Chassot, même si elle évoque encore «la TSR» qui doit venir pour une interview, n’a pas raté le virage de la technologie. Très active sur Twitter, Facebook et Instagram, elle y a trouvé une nouvelle plateforme de dialogue avec la population. «Je réponds aux commentaires, aux questions. Je peux aussi donner des indications très directes sur ce que j’aimerais faire», ajoute la candidate.

Bonne question, que veut-elle entreprendre au Conseil des États? «Fribourg est un canton qui a connu un énorme développement démographique. De nombreux domaines relèvent de la Confédération, par exemple en ce qui concerne les hautes écoles, la mobilité, l’énergie mais aussi l’agriculture. Mon canton fournit 10% des besoins agricoles du pays», avance Isabelle Chassot. La directrice de l’OFC assure que son poste lui a fourni une compréhension très fine des rouages fédéraux, tant au Parlement qu’à l’extérieur. Elle veut plus que tout défendre un canton «qu’elle aime et qui lui a beaucoup donné», même une pension à vie qu’elle n’utilise pas.

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