Il n’y a, cette fois, pas d’idiot aviné armé d’une fusée de détresse dans l’affaire. Mais le fort dégagement de fumée qui s’échappait du toit du Casino de Montreux, ce lundi soir, est un clin d’œil à l’histoire. Presque 50 ans après le tube de rock planétaire «Smoke on the Water», le terrible incendie du 4 décembre 1971 qui ravagea l’établissement mythique de la Riviera vaudoise est encore dans toutes les têtes et dans toutes les oreilles.
Avant de plonger dans les archives, restons un bref instant sur les événements les plus récents. Vers 23h30, ce 20 septembre, les pompiers sont intervenus en nombre, annonce la police cantonale dans un communiqué ce mardi matin. Sur place, après avoir évacué tous les clients et employés du Casino, les soldats du feu ont pu rapidement déterminer que le sinistre avait été causé par une chaudière défectueuse. Personne n’a été blessé, ni incommodé. Restait une volute noire sur le Léman visible loin à la ronde, comme cinq décennies plutôt. Et une bonne dose de nostalgie.
Frank Zappa, Deep Purple et Funky Claude
Les cendres incandescentes du Casino, l’image du regretté Claude Nobs une lance incendie à la main et le hit du groupe Deep Purple qui fit bien plus rayonner Montreux que les flammes du 4 décembre 1971: autant d’éléments qui font incontestablement partie du patrimoine vaudois, voire romand. Retour sur une histoire folle qui mêle Frank Zappa, le mythique groupe britannique et «Funky Claude».
Il est 16h20, le samedi 4 décembre 1971. «Sur la scène du Lido de Montreux, Frank Zappa et ses Mothers of Invention déversent leurs facéties satiriques sur un public peu enthousiaste», écrit un journaliste de la «Feuille» présent dans la salle. D'un coup, Zappa s’arrête de jouer et lance, en anglais: «Il y a le feu, les gars! Sortez sans vous affoler!»
Le rédacteur de l’ancêtre de «24 heures» livre un récit haletant. «Les spectateurs du devant de la scène se lèvent: derrière eux, un élément suspendu, de ceux dont la salle est truffée, est en flammes. Sans bousculade, plus intéressés qu’affolés, des spectateurs se dirigent vers les sorties donnant sur l’avenue du Théâtre. Le faux plafond s’abat sur le sol, dans une gerbe d’étincelles. Il a pourtant eu le temps de communiquer le feu au plafond, qui s’embrase rapidement.»
Il reprend sa plume: «Au dehors, la foule s’amasse. Il y a de quoi: une épaisse fumée noire s’élève bien au-dessus du Casino. Ceux qui n’ont pu se frayer un chemin vers l’avenue du Théâtre cherchent le salut en brisant les vastes baies vitrées donnant sur les quais. […] Il est temps: l’annexe entière s’est embrasée dans un grondement sourd.»
Heureusement, «personne – on l’apprend plus tard – n’est resté dans les flammes. Des flammes qui maintenant s’élèvent haut dans le ciel. Le spectacle est dantesque. […] L’un après l’autre, les véhicules des pompiers montreusiens convergent vers le lieu d’incendie. Ils ne peuvent plus rien pour le bâtiment. […] Bientôt, il ne restera du Casino qu’une façade noircie et des poutrelles tordues. Celui que d’aucuns surnommaient affectueusement le «temple du pop» a vécu.»
Une légende est née
C’est à ce moment précis que le petit fait divers devient légende. Alors que Frank Zappa reste d’un calme olympien et aide à l’évacuation, Ian Gillan, un des membres de Deep Purple, se trouve dans le public. Le groupe britannique de hard rock était arrivé à Montreux la veille, pour enregistrer son nouvel album: «Machine Head».
L’homme qui a causé l’incendie en tirant une fusée de détresse se trouvait juste à côté de lui, relate «RTL»: «Gillan sort du bâtiment sain et sauf, avant finalement de retourner en courant à l’intérieur, pour récupérer la veste de sa copine». «Un acte typique de lui», racontera plus tard feu Claude Nobs, le fondateur du Montreux Jazz Festival, qui a personnellement participé à l’effort collectif pour venir à bout des flammes.
Le reporter qui a immortalisé la scène s’en rappelle comme si c’était hier. Alain Bettex avait 28 ans et venait de rentrer du Canada. «Il y avait environ 2000 spectateurs et je suis l’un des derniers à être sorti de la salle, assure-t-il à Blick. Je n’ai d’abord pas compris ce qui se passait. Je me suis enfui par une fenêtre. Dans ces moments, on pense avant tout à sauver sa vie.» Une fois en sécurité et à l’air libre, le Vaudois sort son appareil photo et mitraille. «À aucun moment je n’ai pensé que ces images allaient devenir historiques», souffle-t-il.
Le journaliste et son cliché ont été aidés par Ian Gillan. Tandis que le Casino se consume, le groupe Deep Purple reste assis sur le balcon de l’Eden Palace et observe l’épaisse fumée noire glisser sur le Léman. Le titre de leur prochain tube est alors tout trouvé: «Smoke on the Water». Celui-ci est enregistré dans les jours qui suivent non loin de là.
«Un riff de 4 notes, joué par Ritchie Blackmore, le guitariste de Deep Purple, resté dans l’histoire du rock comme l’un des plus célèbres riffs de guitare», analyse «RTL». Quant aux paroles, elles décrivent exactement leur mésaventure de ce soir du 4 décembre 1971. Pas sûr que les évènements du 20 septembre 2021 se voient eux aussi magnifier dans une chanson. Mais qui sait? L’histoire nous domine et est imprévisible.