«J'ai toujours beaucoup aimé faire l'amour, confie Maude Pidoux, pétillante sexagénaire qui exerce son activité sous pseudonyme. J'aime la sensualité, la sexualité, la danse, l'expression du corps… Je suis une personne très tactile. Et il me semble que c'est un critère de base pour proposer le service d’assistant sexuel: il faut être bien dans son corps.»
Installée sur un tabouret, face à la caméra qu’elle appréhende sans timidité, notre intervenante résume: «Il s’agit d'apporter des moments câlins aux personnes dont le handicap freine la possibilité de faire des rencontres et d'avoir une vie affective ou sexuelle.» Proposées par l’association romande Corps Solidaires, ces séances payantes durent une heure et sont totalement indépendantes du résultat: «C'est juste pour le plaisir de passer un moment ensemble, d’être peau contre peau, de se cajoler, de rire. Beaucoup de ces personnes ne sont touchées que pour des soins, leur peau n'est jamais caressée. Le but est d’essayer de combler ce vide.»
C’est après avoir visionné un documentaire consacré à l’assistance sexuelle que Maude a senti l’idée germer dans son esprit: «J’ai immédiatement pensé que je pourrais le faire, que cela me plairait. Des années plus tard, une amie m’a affirmé que je devrais me lancer, que j’étais faite pour cela. En cherchant un peu, j’ai découvert l’association et décidé de suivre la formation, très complète, pour obtenir une certification.»
Un premier contact par téléphone
Depuis quatre ans, Maude rencontre deux ou trois bénéficiaires par semaine, en parallèle de son métier: «Sauf quand je reviens de deux mois de vacances, rit-elle. Là, ils m'attendent tous, donc je dois suivre un rythme plus soutenu!»
Comment gère-t-elle les rencontres, les demandes, les mises en contact? C’est simple: l’équipe de Corps Solidaires s’occupe de tout, faisant office de filtre sécurisant, à la fois pour les prestataires et les bénéficiaires. Tout est contrôlé, discuté, organisé à l’avance, afin que chaque personne impliquée se sente complètement à l’aise.
Le processus démarre toujours avec une demande, formulée via la permanence téléphonique de l’association. L’un de ses répondants, Pierre, a également accepté de répondre aux questions des vidéastes de Blick. Depuis le même tabouret, face-caméra, à visage découvert, l’assistant sexuel nous explique les étapes d’un processus délicat: en premier lieu, il s’assure que son interlocuteur ou interlocutrice fait partie de la population à laquelle s’adresse le service.
«Nous répondons aux besoins des personnes en situation de handicap physique, psychique, mental ou cognitif. Mais parfois, nous recevons aussi des demandes qui ne reflètent aucune privation liée à un handicap: on me parle assez régulièrement d’un manque d’argent, d’une difficulté à faire des rencontres… Mais à ce moment-là, je dois me montrer cash.»
«Un clin d’œil peut exprimer le ‘non’»
Deuxième étape: un dossier est complété, afin d’assurer que la demande a été bien comprise et que le consentement sera totalement respecté. «L’association procède à un travail de préparation approfondi, en s’adressant aux médecins ou aux familles des personnes, en essayant de comprendre pleinement leurs besoins, précise Maude. Ensuite, les assistants reçoivent une fiche détaillant l’historique et les attentes.»
S’ensuit une première rencontre, destinée à vérifier si le courant passe: «L’assistant peut aussi poser des limites et préciser qu’il ou elle n’a pas envie de faire certaines choses, poursuit notre intervenante. En ce qui concerne le consentement du bénéficiaire, il s’agit de discuter au préalable, en présence d’un éducateur ou d’un professionnel si besoin, et de prêter attention au langage corporel. Avec les personnes non verbales, on peut créer un code: un simple clin d’œil peut servir à exprimer le ‘non’, par exemple.»
«Je prends mon pied, je me régale!»
Lors de ce premier entretien, il ne se passe rien du tout. Les choses évoluent lentement, ou plus vite, selon les personnalités de chacun: «Certains ont besoin de temps, d’autres m’attendent tout nus», plaisante Maude. De son côté, Pierre ajoute: «Il y a vraiment cette notion d’un pas après l’autre. Nous ne sommes pas dans une situation de prix-prestation. Et même si j’ai affirmé être ouvert à telle ou telle pratique, si je ne suis pas d’accord sur le moment, je l’exprime.»
Pour chacun de nos intervenants, ces rencontres intimes peuvent occasionner du plaisir: «Surtout la première fois, car il y a le frisson de la nouveauté, commente Maude. Souvent, j’ai même un orgasme, je prends mon pied, je me régale! Mais on peut évidemment ressentir plus d’affinités avec certaines personnes que d’autres.»
«Je me suis brouillé avec des amis»
Comment réagissent leurs proches, lorsque Maude et Pierre leur révèlent cette activité? La première a joué cartes sur table avec son époux, qui accepte la situation à condition qu’elle reste discrète: «Il m’a soutenue pendant toute la formation, se souvient-elle. Mais il m'a tout de suite demandé de ne rien lui raconter, à moins qu’il me questionne lui-même. Au début, il était un peu inquiet quand je me rendais chez les bénéficiaires, mais cela s’est toujours très bien passé.»
Pierre, de son côté, déplore certaines réactions qui l'ont profondément déçu: «Je me suis brouillé avec un couple d’amis, par exemple. Je peux absolument comprendre que ce soit un choc, que les gens sont surpris, qu’ils n’ont jamais entendu parler de ce type de service… Ce n’était pas une évidence pour moi non plus, au début. Par contre, s’il y a impossibilité d’en discuter et qu’il y a jugement, je ne peux pas le supporter.»
«Yeux dans les yeux, tous les êtres sont beaux»
Car les assistants sexuels sont fiers et heureux de leur activité. Maude raconte en effet qu’après avoir rencontré des personnes vivant en institution, l’équipe soignante lui confie que les bénéficiaires se montrent plus détendus, participent plus volontiers aux activités de groupe et se sentent moins malheureux et moins agressifs.
«C'est très flatteur d'être attendue avec impatience, d'être trouvée belle, se réjouit-elle. Je ne suis plus toute jeune, j’ai vécu, j'ai un corps qui a pris des formes, des rides... Et pourtant, eux, ils me trouvent belle. Et moi aussi, je les trouve beaux! Certains corps ont beau être abîmés, quand on est yeux dans les yeux avec quelqu’un, dans la tendresse et l’échange, tous les êtres sont magnifiques.»
Ainsi, Pierre et Maude décrivent une activité «follement enrichissante», au point où ils souhaitent encourager d’autres personnes à suivre la formation de Corps Solidaires: «Sur le plan humain, on apprend tant de choses, on échange… C’est tellement gratifiant!», conclut Maude.