L'ex-colonel Jacques Baud sanctionné par l'UE
A quel point ce retraité suisse est-il dangereux?

Jacques Baud, ancien colonel suisse, affirme être ciblé par l'Union européenne pour ses analyses controversées sur le conflit en Ukraine. Sanctionné depuis le 15 décembre 2025, il est bloqué à Bruxelles et dénonce une atteinte à sa liberté d'expression.
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Jacques Baud lors d'une mission dans la région du Darfour au Soudan.
Photo: Zvg
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Lino Schaeren

Jacques Baud, ancien colonel de l'armée suisse et ex-collaborateur du Service de renseignement stratégique, affirme que l'on cherche à le faire taire parce que ses analyses seraient politiquement indésirables. Lors d'un entretien avec un vidéoblogueur français, il s'est comparé à Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, poursuivi et détenu durant des années par les autorités américaines après la publication de documents secrets.

Mais, dans le cas de Jacques Baud, le «persécuteur» ne serait pas les Etats-Unis, mais l'Union européenne. Et au lieu d'être emprisonné, il se retrouve bloqué à Bruxelles. Le 15 décembre, l'UE a inscrit le ressortissant suisse sur sa liste de sanctions liées à la Russie. Bruxelles lui reproche de servir de relais à la propagande russe, d'apparaître régulièrement dans des médias prorusses et de diffuser des récits émanant de Moscou.

Les Russes présentés comme des libérateurs

Depuis le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, de nombreuses interviews et prises de position de Jacques Baud circulent sur les réseaux sociaux, les forums et les canaux Telegram. Il a notamment affirmé que l'invasion russe n'était «certainement pas dirigée contre la population ukrainienne» et qu'elle aurait été provoquée par de prétendues attaques ukrainiennes dans les régions de Lougansk et de Donetsk. Il a également remis en question publiquement le massacre de Boutcha.

L'Union européenne lui reproche en outre de diffuser des théories du complot, par exemple l'idée selon laquelle l'Ukraine aurait elle-même mis en scène la guerre afin d'obtenir son adhésion à l'OTAN. Jacques Baud conteste ces accusations et affirme n'avoir fait que citer une source ukrainienne.

Les sanctions prises à son encontre sont lourdes: ses comptes ont été gelés, toute aide financière dans l'UE est interdite, et une interdiction d'entrée et de transit est en vigueur. Se trouvant actuellement en Belgique, il n'est pas certain qu'il puisse rentrer en Suisse. Ses avocats ont déposé des recours auprès du Conseil européen et de la Cour de justice de l'Union européenne. Dans la «Weltwoche», Jacques Baud qualifie sa situation de «pire que la prison».

«Comme un roi au Moyen Age»

Pour les détracteurs de l'Union européenne, en Suisse comme à l'étranger, l'affaire est une aubaine. Jacques Baud est présenté comme un symbole du prétendu recul de la liberté d'expression en Europe. Lui-même soigne sa mise en scène: dans les «médias alternatifs», sur YouTube et sur les réseaux sociaux, il met en garde contre des dérives autoritaires et multiplie les comparaisons radicales. Comme au Moyen Age, affirme-t-il, un «roi» déciderait seul de qui est coupable. Dans son cas, ce «roi» serait le Conseil européen.

Jacques Baud déplore l'absence du droit d'être entendu et parle d'une condamnation sans procès. Il omet toutefois de préciser que l'efficacité des sanctions repose précisément sur leur mise en oeuvre sans avertissement préalable, notamment lorsqu'elles concernent des avoirs financiers.

Il s'est également exprimé dans une longue interview de 90 minutes accordée à Roger Köppel, son soutien médiatique et rédacteur en chef de la «Weltwoche». Il y a dénoncé le manque de soutien de la Suisse, affirmant bénéficier d'appuis dans tous les pays, sauf le sien. Selon lui, son cas ferait l'objet de discussions ministérielles à l'étranger et serait même suivi aux Etats-Unis par la directrice des services de renseignement. Aucun élément ne vient étayer ces affirmations. Le Département fédéral des affaires étrangères indique par ailleurs que Jacques Baud n'a, jusqu'ici, pas sollicité la protection consulaire suisse.

Des reproches peu détaillés

Face aux autres rédactions suisses, Jacques Baud se montre nettement plus discret. Il n'a notamment pas répondu à une sollicitation de Blick. Les accusations précises formulées par l'Union européenne restent floues. Les informations communiquées depuis Bruxelles sont succinctes et aucun détail n'est fourni sur d'éventuels flux financiers ou des contacts directs avec Moscou. Selon la «NZZ am Sonntag», les reproches détaillés figureraient dans un document classifié.

De son côté, Jacques Baud nie avoir diffusé de la propagande. Il affirme d'ailleurs ne jamais être apparu dans les médias russes afin d'éviter toute instrumentalisation. Cette affirmation est toutefois incomplète. La chaîne internationale Russia Today ne s'est pas contentée de reprendre ses déclarations: Jacques Baud a également été invité à deux reprises dans l'émission «Going Underground», intégrée aux plateformes de Russia Today.

Durant l'été 2024, il a par ailleurs déclaré que la Russie ne cherchait pas à conquérir de nouveaux territoires en Ukraine. Selon lui, l'unique objectif de l'«intervention» serait de protéger la population du Donbass contre les forces armées ukrainiennes. Il reprenait ainsi des arguments centraux avancés par Vladimir Poutine pour justifier l'invasion de l'Ukraine en février 2022.

L'UE entend poursuivre sa politique de sanctions

Jacques Baud n'est pas le seul en Europe à relayer ce type de récits. Reste à savoir ce que signifie l'élargissement de la politique de sanctions de l'UE aux présumés propagandistes. Le gouvernement allemand a en tout cas annoncé vouloir poursuivre sa lutte contre la désinformation. «Toute personne qui s'engage sur ce terrain doit s'attendre à ce que ce qui est arrivé à Jacques Baud puisse lui arriver également», a déclaré un porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères lors d'une conférence de presse.

Cette position alimente les spéculations. Le rédacteur en chef de la «Weltwoche», Roger Köppel, pourrait lui aussi être concerné. Depuis le début de la guerre, il s'est rendu à plusieurs reprises en Russie et a rencontré des propagandistes d'Etat. Certains médias allemands évoquent une «connexion suisse à Moscou».

Reste enfin la question de la réaction de la Suisse face à une éventuelle nouvelle intervention de ce type de la part de l'Union européenne. Dans le cas de Jacques Baud, les autorités fédérales se sont jusqu'ici abstenues de tout commentaire public.

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