L’argent n’a pas d’odeur, même pour le WWF? La première organisation de défense de l’environnement de Suisse, avec ses 220 collaboratrices et collaborateurs ainsi que ses 9000 bénévoles, est toujours à la recherche de fonds et de nouvelles adhésions pour venir étoffer son impressionnante armée de 270'000 (!) membres. Au point de s’affranchir de certaines directives en vigueur dans notre pays?
A l’instar de Médecins sans frontières ou de Pro Natura, l’ONG, qui compte plusieurs millions de soutiens dans le monde, use du porte-à-porte pour rallier à sa noble cause. Ce fut le cas cet été, dans la très cossue localité vaudoise de Buchillon, au bord du Léman, connue pour avoir hébergé par le passé le célèbre et fortuné notaire Patrick de Preux, par ailleurs ancien président du Lausanne Hockey Club. Problème? La pratique du démarchage à domicile est «illicite» sur le territoire communal, indique le règlement de police qui s’y applique.
«Cela n’a pas empêché une démarcheuse de venir deux fois à ma porte, en plein milieu de ma propriété, s’indigne un habitant spécialiste en marketing. Je n’étais pas là mais elle a réussi à vendre une adhésion à un voisin âgé et seul chez lui. J’ai beaucoup de respect pour le WWF; cela me pose néanmoins un sérieux problème que cette organisation s’affranchisse de la loi.
Des personnes âgées et aisées
D’autant plus que cela n’est sûrement pas un hasard: Buchillon, comme d’autres petites communes de La Côte, abrite des personnes aisées, souvent plus âgées que la moyenne cantonale, vivant souvent seules dans des maisons individuelles et isolées. Ce sont des cibles parfaites qui peuvent avoir de la peine à dire non.»
Il marque une courte pause. Et s’agace: «Ce qui ne me paraît absolument pas correct, c’est la proposition bien appuyée de conclusion d’une adhésion sur le moment, sans possibilité de réflexion. Pourquoi ne pas laisser une documentation, à renvoyer le lendemain si la motivation est toujours là?
Naturellement, un stand d’information à la déchetterie le samedi matin, avec un jus de pomme offert, serait la formule la plus élégante… Une notion en voie de disparition, malheureusement.»
Le WWF reconnaît une erreur mais persiste
Vérification faite auprès du municipal responsable de la Sécurité de Buchillon, Pierre-Frédéric Guex, les événements rapportés par notre témoin-lecteur ne respecteraient pas les consignes locales. Nous avons confronté le WWF: sa direction ne voit-elle aucun problème à récolter de l’argent de façon litigieuse?
La fin justifie-t-elle les moyens? «A aucun moment nous n’avons eu conscience d’enfreindre un règlement, répond dans un courriel Pierrette Rey, responsable de la communication de l’ONG en Suisse romande. Il va de soi que nous menons des activités de recrutement conformément à la législation en vigueur.»
Selon la porte-parole, pareil épisode ne se reproduira plus. «Manifestement, une irrégularité a été commise avec Buchillon. En raison du règlement de police de la commune, nous n’avions pas pu déterminer que les campagnes de porte-à-porte étaient généralement interdites. Nous n’avions donc pas contacté la commune au préalable.»
Cette affaire, désormais «classée», pose néanmoins des questions plus larges. Par exemple, le WWF, qui évoque «[son] partenaire», paie-t-il une entreprise de démarchage grâce aux dons récoltés pour élargir sa base? «Oui, nous mandatons une agence qui réalise pour nous des campagnes de porte-à-porte, reconnaît avec transparence Pierrette Rey.
Nous collaborons avec succès depuis de nombreuses années avec Wesser dans le domaine du démarchage porte-à-porte et accordons toute notre confiance à cette agence. Notre partenaire est spécialisé dans la réalisation de ce type de campagnes depuis 1988, fait preuve de professionnalisme et s’efforce d’optimiser en permanence la qualité de son travail. D’autres ONG suisses collaborent également avec Wesser pour ce genre de campagnes.»
Une exception?
La répondante presse assure en outre que le contexte du village de moins de mille habitantes et habitants serait «une exception» et que «la sélection des communes est effectuée indépendamment de leur situation économique ou d’autres facteurs socio-économiques».
Elle insiste: «La nécessité d’une autorisation pour notre forme de recrutement de membres dépend du droit cantonal. Si une autorisation est requise, il est évident que nous la demandons. Dans la plupart des cantons, notre forme de recrutement de membres n’est soumise à aucune autorisation.
Cela vaut en principe également pour le canton de Vaud. Si le droit communal prescrit une telle autorisation, nous déposons une demande en conséquence. En cas de doute, nous contactons de manière proactive la commune concernée.»
Lausanne appelle à renoncer au porte-à-porte
L’illustré a vérifié cette assertion auprès de différentes autorités cantonales et communales. Leurs réponses sont plus nuancées que celle du WWF. Par exemple, dans les villes de Lausanne et de Genève, les forces de l’ordre rappellent que la régie ou le propriétaire d’un immeuble peut interdire le démarchage dans le bien qu’il gère ou possède.
Partir du principe dans cette zone grise juridique, comme semble le faire l’organisme au panda, que le porte-à-porte est généralement licite puisque aucune réglementation pénale ne l’interdit pourrait être interprété comme un raisonnement un peu simpliste… et intéressé.
Dans sa prise de position adressée à notre rédaction, la capitale vaudoise va même plus loin et exhorte les ONG à prendre leurs responsabilités. «Il est important de souligner que ce type de démarche n’est pas toujours bien accueilli par la population, qui peut percevoir ces sollicitations à domicile avec une certaine méfiance, appuie David Rodriguez, conseiller en communication de la Direction de la sécurité et de l’économie.
Ce sentiment d’insécurité est également dû aux arnaques aux faux policiers. Dans ce contexte, afin d’éviter les escroqueries, il est particulièrement recommandé à l’ensemble de la population de ne jamais donner d’informations personnelles ou bancaires à qui que ce soit. C’est pourquoi l’administration communale ne peut que recommander aux organisations à but non lucratif d’éviter les actions de porte-à-porte.»
Face à cette déclaration sans équivoque, Pierrette Rey précise que le WWF ne demande ni argent liquide ni coordonnées bancaires et qu’il va revoir et coordonner «l’ensemble du processus avec [son] partenaire afin de l’optimiser au mieux». Sans pour autant y renoncer:
«Nous estimons qu’il est important d’informer directement les citoyens quant aux projets et domaines d’activité du WWF, se dépatouille-t-elle. Nous recevons également de nombreux retours positifs de la population concernant les discussions et les informations reçues et dont les personnes n’avaient pas connaissance jusqu’à présent. Cela montre que notre façon de procéder n’est pas mal perçue par tout le monde…»
Cet article a été publié initialement dans le n°36 de «L'illustré», paru en kiosque le 4 septembre 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°36 de «L'illustré», paru en kiosque le 4 septembre 2025.