Enfermé, coupé de sa famille, mis au ban de la société, de ses amis et du monde: un séjour en prison est une épreuve pénible. Pourtant, de nombreux délinquants en Suisse n'en voient jamais la couleur.
En effet, les condamnés risquant moins de six mois de détention échappent de plus en plus souvent à l’incarcération. C’est ce que révèlent les dernières données de l’Office fédéral de la statistique (OFS): en un an, le nombre de peines de prison fermes inférieures à six mois a ainsi chuté de près de 50%!
Conduite en état d’ivresse, vol avec effraction, infraction au droit des étrangers: tous les types de délits sont concernés par ce recul. La tendance touche aussi bien les Suisses que les étrangers. Alors qu’en 2023, environ 6000 courtes peines de prison avaient été prononcées, elles n’étaient plus que 3000 en 2024, la justice privilégiant désormais les amendes et les peines pécuniaires.
Bureaucratie, prisons surpeuplées, manque d'utilité ?
Comment expliquer une telle chute? Les Ministères publics sont-ils devenus laxistes? Blick a posé la question aux autorités de plusieurs cantons, mais n'a obtenu que peu de réponses. «Nous devons laisser cela à la recherche», s'est contenté de déclarer le Ministère public du Canton de Zurich. Voici néanmoins quelques pistes d'explication:
- Les prisons suisses saturent: Il n'y a tout simplement plus assez de places de détention. Certains établissements sont d'ores-et-déjà occupés à plus de 100%. Les juges et les procureurs limiteraient-ils les peines de prison pour désengorger les établissements pénitentiaires? Non, répondent les procureurs interrogés, qui assurent que cette situation n'a pas d'influence.
- Une utilité contestée: Les courtes peines de prison font depuis longtemps débat, y compris sur le plan politique. Leur efficacité limitée et leur coût élevé sont régulièrement pointés du doigt. Dès 2007, des mesures ont été partiellement mises en place pour limiter le recours aux courtes peines. Mais ces derniers mois, le sujet n’a plus suscité de discussion dans la Berne fédérale.
- La police a changé de priorité: Il y a des délits pour lesquels les statistiques sont dépendantes des ressources dont dispose la police et des priorités que celle-ci se fixe. Dans le cas des délits liés à la drogue, par exemple, le nombre de délits traités par la police a massivement diminué, ce qui témoigne clairement d'un changement de priorités des autorités sur la question. En conséquence, les condamnations ont-elles aussi diminué. Cette explication connait toutefois des limites: pour d'autres délits, le nombre de condamnations à des peines de prison courtes a connu une baisse en aucun cas comparable à celle des infractions commises.
- Les parquets sont surchargés: L'OFS avance lui-même une hypothèse sensible pour expliquer la diminution des courtes peines: le système judiciaire suisse serait arrivé à la limite de ses capacités. Les Ministères publics, eux-mêmes, évoquent une surcharge de travail. Le 1er janvier 2024, un changement législatif lourd est entré en vigueur: désormais, les procureurs doivent obligatoirement procéder à une audition avant d’envoyer quelqu’un en détention. Est-il possible que, par souci d’efficacité, certains renoncent à ces auditions et, par conséquent, ne prononcent plus de peines de prison? C’est ce que suggère l’OFS.
La dernière piste d'explication est sans nul doute la plus explosive. Si l'hypothèse de l'OFS s'avère correcte, cela signifie que la peine ne serait plus le fruit d’un processus judiciaire équilibré et qu'elle ne serait plus régie par l'exigence d'être juste. La sévérité de la sanction dépendrait uniquement d'un facteur bureaucratique, en l’occurrence de la disponibilité et de la motivation d’un procureur à mener une audition. Une idée que les parquets interrogés rejettent fermement.
A Berne, on assure que la fixation des peines respecte scrupuleusement les dispositions du Code pénal. Plusieurs ministères publics appellent par ailleurs à ne pas tirer des conclusions hâtives: les données doivent être analysées plus en profondeur.
Dans le canton d’Argovie, on estime même que les chiffres de 2024 pourraient être faussés. Dans sa réponse à Blick, le Ministère publique explique en effet qu'en raison de l'obligation d'auditionner les prévenus à partir de 2024, «les procédures pénales dans lesquelles une peine d'emprisonnement ferme était prévisible ont été réglées dans la mesure du possible en 2023.»
Parallèlement, les auditions des prévenus auraient retardé la fin de nombreuses procédures à 2025, faisant ainsi baisser les chiffres de l'année 2024. Le Ministère public argovien souligne par ailleurs la faiblesse des chiffres sur la question, seul 0,5% des ordonnances pénales ayant abouti à des peines de prison ferme en 2024.
Différences cantonales en matière de peines
Certes, la chute soudaine du nombre de peines de prison d’une année à l’autre peut surprendre. Mais cette tendance masque de grandes disparités régionales. En effet, le fait qu'un délinquant doive aller en prison ou non dépend en partie du canton dans lequel il est condamné.
Or, tous les cantons n’appliquent pas la loi avec la même sévérité, comme le démontre une étude récente focalisée exclusivement sur Vaud. A lui seul, ce canton a enregistré un quart des peines de prison ferme prononcées en Suisse pour des infractions liées aux stupéfiants. Un chiffre qui témoigne d’une approche bien plus stricte que dans d’autres cantons.
De manière générale, la justice des cantons romands recourt plus fréquemment à l’incarcération. Une tendance qui se reflète dans le taux d’occupation carcérale: fin 2023, les cantons de Suisse orientale comptaient en moyenne 63 détenus pour 100'000 habitants, contre 109 dans le canton de Vaud.