Violences sexuelles et attouchements
A Saint-Maurice, un prêtre plusieurs fois accusé est toujours en activité

Un prêtre accusé d’abus, interdit de contact avec des enfants depuis 2019, est toujours en activité à l'abbaye de Saint-Maurice. L'établissement est accusée d’inaction et de graves manquements.
Publié: 20.06.2025 à 13:56 heures
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Dernière mise à jour: 20.06.2025 à 14:14 heures
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Ce prêtre d'origine allemande aurait à plusieurs reprises agressé des jeunes filles dans le cadre de ses fonctions.
Photo: FACEBOOK
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Raphael Rauch

Il y a un mois, dans le canton de Fribourg, plusieurs enfants ont célébré leur première communion. A l’autel, c'est un prêtre allemand qui officiait. Un homme qui n'aurait jamais dû se trouver ici. Depuis 2019, l’abbaye de Saint-Maurice, en Valais, lui avait formellement interdit tout contact avec des enfants, en raison de lourds soupçons d’abus.

Ce prêtre est une grande source d'inquiétude depuis des décennies. Fiché en Allemagne et en Autriche, il est accusé d'avoir harcelé sexuellement plusieurs jeunes filles. L'homme avait par la suite trouvé refuge en Valais, où il avait convaincu l’abbé de l'époque de lui accorder une seconde chance. 

Aujourd'hui, un rapport officiel sur les abus commis au sein de l'institution révèle que l'abbé de Saint-Maurice de l'époque a été mis au courant des accusations dès 2010. Violences sexuelles, comportements déplacés avec des jeunes filles, mythomanie... Même le Vatican était intervenu, le sanctionnant en 2002. Sans grandes conséquences.

La main sous son chemisier

Le prêtre a rapidement attiré l'attention une fois en Valais. Une jeune femme affirme qu'en 2015, après une messe, l'homme lui a caressé le dos, glissant la main sous son chemisier. Ce témoignage figure dans un rapport d’enquête présenté récemment à l’Université de Fribourg. Face à cela, l’abbaye lui impose en 2019 de couper tout lien avec les mineurs. Mais ces interdictions sont restées lettre morte: durant les années qui ont suivi, le prêtre a officié à plusieurs reprises dans les diocèses de Bâle, Lausanne, Genève et Fribourg.

D'après nos recherches, de nombreux signaux d’alerte ont été ignorés. L’évêque de Bâle, Felix Gmür, a certes bloqué son engagement dans le canton de Berne et lui a interdit de célébrer la messe depuis février 2025, mais il s'agit d'un cas isolé. L’affaire démontre à quel point la promesse de l’Eglise de prévenir les abus ne reste reste souvent qu'au stade théorique, la preuve en est sa participation à cette communion dans le canton de Fribourg.

Un rapport à ce sujet accuse l’abbaye de Saint-Maurice d’avoir violé les consignes de la Conférence des évêques suisses. Il souligne aussi le silence complice des autorités valaisannes, soucieuses de ne pas ternir l’image du plus ancien monastère du pays.

Un système d’abus historique

Que s'est-il passé d'autre à Saint-Maurice? Le nombre de cas non signalés est considéré comme élevé. Selon l'enquête, au moins 67 incidents de violences sexuelles ont été commis par au moins 30 chanoines entre 1960 et 2024. Ces incidents comprenaient «des gestes ou des déclarations comportant des allusions sexuelles, des attouchements sexuels répétés, des séances photos ambiguës, des tentatives de séduction, de l'exhibitionnisme ou la consommation de pédopornographie», précise le rapport. Il y a également eu «des cas d'agressions sexuelles, de viols et d'avortements forcés.»

L'enquête considère les abbés responsables, ainsi que les autorités valaisannes, d'avoir échoué dans leur mission de prévention de ces violences. Pendant très longtemps, les abbés n'ont pris aucune mesure contre les auteurs des crimes, ou ont agi avec trop de laxisme. Les autorités valaisannes ont d'ailleurs épargné le plus ancien monastère de Suisse, avec son pensionnat renommé, où avaient étudié des conseillers fédéraux et d'Etat.

Qu'en est-il de l'abbé Scarcella?

Le groupe de recherche indépendant a également été confronté à des questions cruciales lors de la conférence de presse: Pourquoi n'a-t-il pas enquêté sur les accusations portées contre l'abbé actuel, Jean Scarcella, accusé de harcèlement sexuel. Le 14 octobre 2022, la victime présumée a même écrit une lettre au pape François de l'époque: l'abbé de St-Maurice lui aurait «mis la main aux fesses». Selon la procureure générale valaisanne Béatrice Pilloud, l'incident aurait eu lieu en 1994. La victime avait alors 15 ans. Du point de vue du droit pénal, les faits sont prescrits, le Vatican a adressé un blâme formel à Scarcella. Le groupe de recherche a fait savoir qu'il n'avait pas eu accès au dossier de l'enquête interne de l'Eglise contre Scarcella.

L'abbé Scarcella était absent de la conférence de presse. Un représentant de l'abbaye a demandé pardon aux victimes d'abus: «Ce rapport nous oblige à regarder la douloureuse réalité en face». L'abbaye a annoncé un plan d'action pour « faire éclater la vérité » et améliorer le travail de prévention.

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