Ce pèlerinage traditionnel prévoyait des confessions avec un prêtre
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Les pèlerins en marche:Ce pèlerinage prévoyait des confessions avec un prêtre

Retour à la messe en latin
Le catholicisme «tradi» séduit une jeunesse suisse conservatrice

De jeunes chrétiens romands, en quête de sens, de sacré, et d'identité, nous racontent leur démarche d'adopter un catholicisme rituel et ancien, qui leur offre une proximité de Dieu qu'ils ne trouvent pas dans la société, ni même dans les messes modernes, trop altérées.
Publié: 09:56 heures
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Dernière mise à jour: il y a 16 minutes
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La Basilique Notre Dame de Fribourg connaît une fréquentation en hausse pour ses messes traditionnelles.
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Myret ZakiJournaliste Blick

Le catholicisme vit une renaissance, en particulier auprès des jeunes. Le phénomène s'est accéléré ces dernières années. En 2025, on a vu des événements chrétiens se multiplier, dont les jeunes sont organisateurs et participants, notamment en Ile de France, avec des festivals comme Christ en Scène ou le Jesus Festival, qui ont attiré chacun des milliers de participants. On a également vu de nouvelles initiatives grandir en Suisse romande, comme le pèlerinage de septembre à Fribourg, organisé par Notre-Dame de la Foi. Preuve que la tendance est toute récente, la plupart n'en étaient qu'à leurs premières ou deuxièmes éditions. 

Cathos instagram, cathos tradi

Au programme, des activités plus ou moins rituelles: concerts, ateliers, restauration et merchandising. Ou alors, marche, prière, confessions, adoration et enseignements. En effet, deux grandes tendances se dégagent. D’un côté, des événements culturellement mixtes, moins traditionnels, avec une forte composante musicale (gospel, rap), dont la diffusion prend souvent la forme d’un «christianisme instagram», avec tous les codes visuels et vidéo des festivals laïcs.

D’un autre côté, on assiste à l'essor d'événements catholiques traditionalistes, avec un retour à la messe en latin, qui témoignent d’une quête identitaire plus marquée. Le modèle du genre: le pèlerinage de Paris-Chartres, organisé depuis 30 ans par Notre-Dame de la Chrétienté, vu comme la référence par les milieux «tradi». En 10 ans, l'affluence y a doublé, passant de 10’000 à un record de 20’000. 

Pèlerinage tradi à Fribourg

Ce pèlerinage a inspiré, en Suisse romande, celui de Notre-Dame de la Foi à Fribourg, né l’an dernier. L’organisateur, Théophane Gaillard, connaît bien celui de Chartres. Voyant son succès, qui s’est accéléré depuis 2022, il a consulté ses amis avant de créer une réplique suisse, organisée depuis l’an dernier par l’Association Notre-Dame de la Foi, fondée en 2023 à Lausanne. Un pèlerinage bien d’ici, avec des chants traditionnels de la Gruyère. 

Les pèlerins ont entonné des chants
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Sur le parcours de 40 km:Les pèlerins ont entonné des chants

Colombe, une amie jurassienne vingtenaire et co-organisatrice, l’y avait tout de suite encouragé: «Cela coûte cher d’aller jusqu'à Chartres, il nous fallait quelque chose de suisse. Comme le catholicisme est devenu assez minoritaire, on a besoin de se retrouver entre nous et d’avoir des moments forts de prière et de convivialité, pour repartir positifs dans le monde. Cela nous rappelle nos racines, nos objectifs de vie, le fait qu’on marche vers le Seigneur, car on est très vite pris dans des tracas quotidiens.» 

Dimension identitaire

«Il y a un aspect identitaire qu’il ne faut pas nier, qui se traduit par le retour à la foi des ancêtres, nous répond l’abbé Vianney Savy, prêtre de la Fraternité St Pierre à Lausanne. Comme tout s’est dilué dans un grand rien, les gens ont besoin de savoir d’où ils viennent et où ils vont. Ils ne savent plus.» 

Le succès du pèlerinage fribourgeois a été au rendez-vous. Cette année, la deuxième édition des 27 et 28 septembre a réuni 250 personnes, soit le double de l’an dernier. Profil type: des familles avec enfants, et des jeunes, étudiant(e) ou en emploi. Moyenne d'âge: 25 ans. Les pèlerins venaient de toute la. Suisse. Au programme: une marche de 40 km de la Basilique Notre-Dame de Fribourg jusqu'à celle de Notre-Dame des Marches, à Broc (FR). Le soir, les pèlerins dorment sous tente à 2° C, au pied d’une église qui sonne toutes les demi-heures. Au total, une expérience décrite comme «dure physiquement, et très forte. Le dimanche soir, lorsqu’on rentre chez soi, le poulet n’a pas le même goût.»

Théophane Gaillard a travaillé comme garde suisse: un véritable sceau de légitimité dans le milieu «tradi». Le thème de cette année était «Les martyrs de la foi». L’affiche, qui a circulé par bouche-à-oreilles, disait: «Marchons ensemble sous le regard de la Vierge Marie, pour faire vivre et (re)découvrir le catholicisme dans notre pays, et témoigner d’une foi joyeuse et engagée.»

«Ce truc est snobé, nous confiait en septembre un pèlerin qui allait s'y rendre. Certes, l’événement est autorisé et encouragé par Monseigneur Morerod, (ndlr: l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg), mais beaucoup y voient une vision de l’Eglise qu’ils n’aiment pas.» Un Jurassien adepte du pèlerinage partage cette impression: «Les générations plus âgées ont parfois une réaction hostile aux messes en latin, elles tendent à rejeter tout ce qui est traditionnel.»

La messe en latin ou rien

Mais c'est cette vision qu'apprécient les jeunes catholiques qui emplissent les Eglises proposant une messe ancienne. A l'heure actuelle, c'est à la Chapelle de St Augustin à Lausanne, et à la Basilique Notre-Dame à Fribourg, que l'on pratique la messe en latin. «On voit l'engouement car ces Eglises sont pleines tous les dimanches, témoigne un visiteur régulier trentenaire, contrairement à d'autres églises, peu fréquentées, qui font la messe en français.» Et à Genève? «La paroisse de Sainte-Claire, aux Acacias, est par exemple appréciée car elle pratique le rite ancien», croit savoir un habitué. 

Le latin, langue morte, «fige la foi car la foi se transmet dans le rite, nous explique Alain, directeur financier dans une entreprise horlogère à Fribourg. Si on change le rite, on change la foi. En langue morte, la liturgie est très belle. Elle est beaucoup moins recherchée dans la messe moderne.» Lui avait été catéchumène à 18 ans, puis il a arrêté car il ne se reconnaissait pas dans l’Eglise moderne, qui selon lui ne respectait pas le dogme initial. En découvrant la messe traditionnelle, le catholicisme l'attirait de nouveau. «Dans le rite liturgique ancien, on est beaucoup plus proche de l’institution eucharistique que Jesus Christ a proclamée. Dans la messe de Paul VI, ou messe nouvelle, j’avais l’impression qu’on était plus à un repas qu’au renouvellement d’un sacrifice sanglant.»

Ainsi, la messe ancienne répond à un besoin de sacré. «La liturgie, l’orientation du prêtre, le soin apporté à la célébration de la messe, tout cela rappelle aux fidèles que la messe est pour Dieu, explique l’abbé Vianney Savy. Le besoin de sacré existe même chez les gens qui se disent athées. Ils font du non sacré quelque chose de sacré. Pour eux, le fait de jouir devient une manière de se rendre un culte à soi-même. Il y a des jeunes auxquels ça ne parle pas, ou plus.» 

Génération catho tradi

Marie-Aimée, juriste diplômée de l’Université de Friboug, est une habituée des pèlerinages de Paris-Chartres, et apprécie le nouveau pèlerinage de Fribourg. «Dans ces événements, on se rencontre entre jeunes de mêmes valeurs, on partage des discussions qu’on n’aurait jamais en dehors. Notre génération aspire à revenir au religieux, alors que les précédentes voulaient briser les codes.» 

Blandine, choriste à St Augustin à Lausanne, mariée à 21 ans, est catholique pratiquante. Elle raconte qu’elle est «née dedans». Ses parents, élevés dans la messe en français, ont préféré la traditionnelle car ils y trouvaient plus de sens, de sacré, de pastorale, de catéchisme. «La génération de mes grands parents avait basculé vers la messe en français; puis celle de mes parents, quincagénaires, est celle qui est revenue à la tradition. Et nous, on est la première génération née dans la renaissance catho tradi.»

Le pèlerin jurassien, qui travaille dans l’administration cantonale, confirme ce retour de balancier par rapport à la libération des mœurs des années 60-70. «Les soixante-huitards avaient, eux, bénéficié d’une transmission des valeurs, note-t-il. Mais ils ne les ont pas transmises.»

Eglise devenue Ong

Un autre catholique traditionnel, jeune père de famille, abonde dans le même sens: «Les plus âgés ont pratiqué la religion en évacuant complètement le sens du sacré. On a l’impression que l’Eglise est devenue une Ong qui défend l’écologie, l’aide au prochain, les migrants et les pauvres. Mais il faut partir du Christ, on ne peut pas juste prendre les rayons sans inclure le soleil, on perd l’essentiel, la pratique de sacrement.»

Pour Blandine, la vie de pratiquante s'accompagne de nombreux rites. «On bénit le repas, on fait les grâces à la fin pour remercier pour la nourriture. On a une vie de prière conséquente. On se confesse une fois par mois. On fait le carême, et surtout d’Exodus, qui est un carême rallongé, de 3 mois, un peu drastique en termes de pénitence. Depuis 1 an, avec la Fraternité St Pierre, on a lancé le parcours Virtus pour ancrer son carême sur la prière, la pénitence et la charité.» 

«Boomers progressistes»

«Ce renouveau du catholicisme 'tradi' est d’autant plus intéressant que la presse catholique institutionnelle n’en parle pas volontiers, une génération de boomers progressistes détenant encore largement le pouvoir», commente Raphaël Pomey, fondateur du journal en ligne LePeuple.ch

Au bivouac de Hauteville, ce 27 septembre, Raphaël Pomey est venu marcher avec son fils. Chaussures de montagne aux pieds, il raconte son expérience, qu’il effectue pour la deuxième fois cette année. «Tu traverses les villes et villages, avec des prêtres en soutane, les jeunes parcourent la campagne en faisant des ‘Salut Marie’. On peut se confesser tout au long de la marche avec des prêtres. Il y a un aspect d’affirmation identitaire, mais le pèlerinage ne se veut pas politique et ne parle pas politique, personne ne vient faire campagne ici.»

Comparaison avec l'islam

Le regain d'intérêt pour un catholicisme assumé n'est pas indifférent à ce qui passe dans l'islam. «On réalise que l’islam monte, constate l’abbé Savy, et que nous, nous sommes une religion dépassée – forcément avec tous les scandales qui touchent l’Eglise – et donc c’est l’authenticité de la vie chrétienne que recherchent les catholiques de nouvelle génération. Nous n’avons rien à envier ou à copier aux musulmans, qui sont arrivés 6 siècles après le christianisme.»

Un pèlerin acquiesce: «On voit aussi, chez les musulmans, que les jeunes générations reviennent à une pratique plus rigoriste que leurs parents. Ce retour de balancier générationnel marche pour le catholicisme comme pour l’islam. A force de diluer les identités, de dire qu’on est tous pareils, les gens se lassent. On vit dans un pays, on a une culture, une tradition, on veut la vivre plus, pas juste dans les musées et les livres d’histoire.» 

Colombe, la co-organisatrice, ne dit pas autre chose: «On est une génération décomplexée, on voit les musulmans qui s’expriment dans l’espace public et on se dit: et pourquoi pas nous?»

Nostalgie de la Contre-Réforme

A l’origine de retour à la tradition, une nostalgie pour la Contre-Réforme, engagée par l’Eglise catholique. Lors du Concile de Trente, le pape Pie V avait promulgué en 1570 que la messe suivrait le rite romain traditionnel. Cette liturgie a perduré quatre siècles. Avant que tout ne change dans les années 1960-70, à la suite du concile Vatican II. Le pape Paul VI a alors changé certaines parties du rite (le propre, l’ordinaire, l’usage du latin, la position du prêtre, etc.). Ses messes «paul-sixtes» en français, qui sont la norme aujourd’hui, sont devenues le symbole d’une vision altérée de la religion pour les traditionalistes, attachés à la liturgie tridentine (en référence au Concile de Trente). 

En quête d’ancien, d’héritage rituel, de pratiques préservées durant des siècles, les «cathos tradis» reprochent à l’Eglise moderne ses écarts par rapport à la tradition. L'un d'eux nous confie: «Dans nos Eglises modernes, ils croient qu’en déstructurant tout, en commettant des abus liturgiques, cela va plaire à tout le monde. Or même les personnes immigrées sont plus conservatrices au niveau liturgique, mais elles ne veulent pas faire de problèmes. Si je me rends dans une église en Irak, je pense que je m’y sentirai mieux que chez moi, parce qu’il y a là-bas quelque chose qui a traversé les siècles.» D'où son attachement aux rites anciens.

Refus des étiquettes politiques

L’élan vers le catholicisme traditionnel provient souvent d’un manque ou d’un besoin spirituel dans la vie des reconvertis. Baptiste, étudiant, fils de protestants et catholiques non pratiquants, raconte le besoin qu’il a éprouvé de revenir à une religion davantage vécue. «Je n’en suis que plus heureux.»

«Il existe une forme de laisser-aller dans la société, un hédonisme qui ne convient pas à tout le monde, analyse l’abbé Savy. Les gens cherchent par-dessus tout à être heureux, mais le bonheur absolu n’est pas possible. Chez les jeunes, il y a une prise de conscience que pour atteindre le bonheur que Dieu promet, il faut s’engager sur le long terme, accepter ce que l’Eglise a toujours enseigné tant en matière de foi qu’en matière de morale.» 

Que dire à ceux qui voient là une idéologie très à droite? «Au sein de cette communauté, il y a les cathos, mais aussi des évangéliques, des réformés, répond Baptiste. On est transparents, on annonce le Christ, on n’annonce rien de politique. Nos profils sont divers. L’extrême-droite est accusée d’essentialiser les gens en fonction de leur appartenance. Alors ne tombons pas dans le piège d’essentialiser les chrétiens en les enfermant dans des étiquettes.» 

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