Toto Morand ne se reconnaît pas dans les propos des commerçants fâchés contre la Municipalité, réunis le 30 octobre avec les partis de droite. Lui-même commerçant depuis 37 ans au cœur de Lausanne et dans plusieurs villes de Suisse, le patron des enseignes de chaussures Pomp It Up et Pompes Funèbres a réagi sur Facebook: mettre la faute sur la mendicité, les manifestations pro-Palestine ou les incivilités et l’insécurité est «à côté de la plaque», face au «destin tragique mondial du commerce de détail», a-t-il répliqué.
Il envisage d'ailleurs de fermer deux magasins sur les dix qu'il a en Suisse l’année prochaine, a-t-il confié à Blick. Nous lui avons demandé de nous en dire plus sur ce qui explique les déboires du commerce dans le centre-ville de Lausanne.
Toto Morand, les commerçants n’ont-ils pas raison de blâmer la mauvaise gestion de la Municipalité?
Oui, le deal et la toxicomanie à la Riponne sont un vrai problème, de même que la politique anti-voitures, extrême, et les fautes d'urbanisme. Mais les toxicos ou les mendiants sont loin d'être des causes pouvant se mesurer aux effets d’Internet et de la cherté des loyers. Cela, c'est au moins 80% du problème.
Lausanne n’est pas une ville qui est rongée par l’insécurité, il faut arrêter de faire des amalgames racistes. Le problème est fondamentalement économique. Même pour les travaux, je peux témoigner que j'ai fait mes meilleures années de chiffre d’affaires au Flon pendant les travaux de 2000 à 2015. Cela montre bien qu’il faut relativiser cet aspect-là aussi.
Qu’est-ce qui vous a manqué dans les revendications des commerçants?
Je n’ai pas entendu un seul mot sur les effets du commerce en ligne, grand responsable de milliers de fermetures de boutiques et de magasins en Suisse. Je n’ai rien entendu non plus sur le géant Migros, qui a abandonné la rue, participant à une spirale vers le bas de la fréquentation des rues commerciales. Pas un mot non plus sur le monde de l’immobilier qui a tant renchéri les loyers que seules des chaînes internationales complètement verticalisées peuvent encore se payer des locaux dans les centres-villes.
Le commerce en ligne éclipse donc les autres causes?
Bien sûr. Si le marché de détail va aussi mal, c’est d'abord à cause d'Internet. J’ai des commerces dans toute la Suisse et j’ai des points de comparaison. Ce n’est pas qu’à Lausanne que les chiffres baissent. Le vrai drame, c’est qu’il n’y a plus d’enseignes, tout ferme à la rue de Bourg et dans d'autres rues commerçantes. A Genève, même chose, on voit des arcades fermées durant des années.
La diminution des magasins fait-elle un effet boule de neige?
Oui. En 10 ans, avec les fermetures de très nombreux magasins d’habillement, de meubles, de chaussures, cela a entraîné une baisse de la fréquentation des rues commerçantes. Les gens ne viennent plus et cela impacte le chiffre d’affaires des commerces restants, des boulangeries, etc. Même les restos souffrent aussi maintenant. Le problème est général, on l'observe aussi à Genève, Bâle, Zurich.
A qui profitent ces fermetures?
Principalement à des groupes allemands. Migros a vendu Hotelplan, SportX et M Electronics à des groupes allemands, tandis qu’Interio et Pfister sont partis en mains autrichiennes. La Suisse est une colonie allemande au niveau du commerce de détail. Et puis il y a l'enseigne suisse Voegele, qui auparavant avait 300 magasins en Suisse, et qui a disparu. Désormais, à part Migros et Coop, il n’y a quasiment plus d'enseignes suisses.
Les autorités peuvent-elles agir contre le commerce en ligne?
On a laissé faire le groupe allemand Zalando, qui a capté une part démesurée des achats des Suisses. Or une simple taxation des consommateurs sur les retours de colis excessifs aurait réglé le problème. Au moins 55% des articles commandés sur Zalando sont retournés, ce qui est énorme. Taxer le consommateur, à des fins environnementales, est le seul moyen pour freiner ces excès. Mais au niveau politique, personne n’a voulu s’emparer de cette question.
La consommation online peut-elle vraiment être freinée?
Arrêter le online est évidemment impossible. Après les groupes allemands, ce sont à présent les plateformes chinoises, comme Shein, qui arrivent et qui ouvrent même de vrais magasins à Paris. C’est ce qu’on va avoir en bientôt en Suisse. Shein vend tout pour 15-20 euros, directement sorti d’usine.
Et que faire contre les loyers trop élevés?
Pour ma part, j'essaie d'aider les jeunes. Je me suis associé avec une équipe d'Economie Région Lausanne afin que nous persuadions des propriétaires de transformer certaines arcades, restées longtemps fermées, en popup stores pour de jeunes commerçants qui se lancent, avec des loyers modérés.
La Municipalité n’est-elle pas quand même largement à blâmer?
Bien sûr, la Municipalité fait preuve d’un échec total à régler les problèmes de la Riponne, qui est l’endroit le plus glauque de Lausanne actuellement. Le problème de la drogue est là depuis 20 ans. A l’époque déjà, la Ville m’avait proposé des locaux dans les anciens bureaux de la Poste, et c’était déjà la zone. J’avais refusé. D’autres erreurs urbanistiques et de gestion se cumulent, et la politique anti-voitures est extrême et dommageable.
Quels exemples pouvez-vous citer?
Parmi les grosses fautes d’urbanisme, la pire est la route de Genève, qui est fermée aux voitures pour laisser place au tram. Elle arrive en cul-de-sac sur la Place de l’Europe. Connaissez-vous une autre ville où un tram arrive au centre-ville en cul-de-sac? Dès lors, toutes les voitures qui viennent du Nord et de l’Est rentrent par la côte de Montbenon. Davantage de voitures rentrent dans le Flon pour accéder au parking. Cela aurait coûté 80 millions pour l'arrivée au Flon du tram en sous-sol, ce n’était pas beaucoup, et on aurait pu laisser l’accès libre aux voitures sur la route de Genève.
Autre exemple, la rue Centrale est fermée pour le marché du samedi matin, jusqu’à 15h, ce qui empêche les voitures de passer par là, et cela bouchonne à St François et empêche les gens d’aller se garer dans les 3 parkings du Centre, de Montbenon et de la Migros. C’est là aussi une bêtise d’avoir fermé cet axe de fluidité. A croire que la Municipalité ne consulte pas du tout les commerçants avant de faire des changements.