Le 8 août, un lecteur de Blick nous a posé la question suivante: «Pourquoi la Suisse ne ferait-elle pas transiter au moins une partie de ses marchandises par le Liechtenstein, qui est taxé lui à 15%, pour contourner les droits de douane américains de 39% imposés à la Suisse?»
A première vue, l’idée est ingénieuse. D’autant que, techniquement, la Suisse a le droit de faire transiter des marchandises par le Liechtenstein pour les exporter vers d’autres pays. Sauf que, de là à faire passer ces marchandises pour des produits liechtensteinois, c’est une tout autre affaire. Explications.
Un espace douanier commun
Certes, on pourrait se dire que la Suisse et le Liechtenstein ne forment pratiquement qu’un espace au niveau commercial, car ils partagent une même monnaie, le franc suisse, et sont liés par une union douanière, qui se traduit par une même administration des douanes et par l’application des mêmes droits de douane aux produits qu’ils importent de l’étranger. Les deux pays sont aussi liés par un accord de libre-échange, qui permet à leurs marchandises de circuler entre eux sans droits de douane.
Mais pour autant, cela ne suffit pas à permettre à la Suisse d’utiliser la petite principauté voisine pour modifier l’origine de ses marchandises et les exporter de là vers les Etats-Unis sous étiquette liechtensteinoise. En effet, le problème surviendrait assez vite au moment où ces marchandises arriveraient à la douane des Etats-Unis.
Origine des marchandises
La douane américaine applique ses tarifs selon le pays d'origine des produits, et non selon le pays d’expédition. Si la question de l’origine n’était pas scrutée de près, les possibilités de contournement des droits de douane seraient infinies. Pour prévenir le risque de contournement des tarifs, les douanes américaines appliquent une série de règles claires, visant à déterminer l’origine exacte de ce qui est importé sur le territoire américain.
Les autorités peuvent réclamer un certificat d’origine qui en atteste. Un produit fabriqué en Suisse, même s’il transite par le Liechtenstein, restera «d'origine suisse» aux yeux des douanes américaines. S’il est présenté comme «originaire du Liechtenstein», il sera vérifié, et considéré comme suisse s’il est avéré que son point de départ est la Suisse. Pour qu'il soit qualifié de liechtensteinois et bénéficie d'un taux de 15%, il faut des conditions précises.
Valeur ajoutée significative
Ces conditions sont en réalité drastiques: il faut que le produit ait subi au Liechtenstein une «transformation substantielle». Cette notion, largement établie en commerce international, est précisée sur le site du département du commerce du gouvernement américain.
Il en ressort qu’il ne suffirait pas d’un entreposage ou d’un changement d’emballage: il faudrait modifier la nature du produit, ou en augmenter significativement la valeur ajoutée sur place, c’est-à-dire au Liechtenstein, dans le cas d’espèce. «La transformation passe par un processus de production et de fabrication dans le pays qui prétend à l’origine», peut-on lire sur le site du gouvernement américain. Le changement doit ajouter une «valeur significative» au bien concerné, comparé à la valeur qu’avait le bien (ou ses composants) avant d’être exporté depuis le pays initial.
Ajouter 40% de valeur au chocolat et montres
Par exemple, exporter du chocolat suisse au Liechtenstein et simplement le remballer ne changerait pas la nature du produit, et donc n’affecterait pas son origine. Mais transformer du lait suisse en chocolat au Liechtenstein lui conférerait une origine liechtensteinoise. D’après une règle couramment utilisée dans les accords commerciaux internationaux, il faudrait qu’au moins 40% de la valeur finale provienne du pays de réexportation. Cela inclut matières premières, main-d’œuvre, frais de production.
Autre exemple: si la Suisse expédie des montres finies vers le Liechtenstein, et que celui-ci les renvoie telles quelles aux USA, l’origine reste naturellement suisse, et le taux américain de 39% s’applique. Mais si les fabricants envoient les mouvements, cadrans et bracelets au Liechtenstein et les assemblent entièrement sur place, avec au moins 40% de valeur ajoutée locale, l’origine peut devenir liechtensteinoise, et des droits américains de 15% pourraient potentiellement s’appliquer.
On l’aura donc compris: une telle «transformation substantielle» nécessiterait d’engager des coûts élevés de main-d'œuvre qualifiée ou d’équipements, et coûterait cher au final aux entreprises exportatrices suisses, avec de fortes chances d’éliminer largement ce qui serait gagné en droits de douane.
«Mais surtout, la Suisse courrait le risque de fâcher son partenaire américain (encore plus qu’aujourd’hui), met en garde un ancien haut diplomate suisse: s’il est établi que la Suisse a cherché à contourner les droits de douane américains, les États-Unis pourraient étendre le tarif de 39% au Liechtenstein – qui y perdrait gros – et envisager d’autres représailles contre la Suisse.»
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