Les vrais patrons de Nestlé, ce sont eux: les actionnaires, qui élisent le Conseil d’administration et qui avaient nommé Paul Bulcke à la présidence du groupe en avril 2017. Dans deux articles parus le 3 et le 13 septembre dans le Financial Times, des investisseurs ont exprimé leur rupture de confiance face à la gouvernance de Nestlé, qui a eu 3 CEO en l'espace d'une année, et ont critiqué la baisse du cours de l’action, réclamant le départ accéléré de Paul Bulcke. Le 16 septembre, sa démission était annoncée par le groupe, avec effet immédiat.
Les vrais patrons de Nestlé
Parmi les faits reprochés à Bulcke, des personnes, qui semblent parler au nom d'investisseurs, ont confié au FT avoir conseillé au président de licencier le CEO Laurent Freixe, pour sa liaison amoureuse non déclarée, plusieurs semaines auparavant. Mais le Belge aurait refusé et diligenté une deuxième enquête avant de se décider à le licencier le 1er septembre. Cela aurait beaucoup affecté la «confiance» dans la supervision et la gouvernance de Bulcke.
C'est là l’occasion de s’intéresser de plus près aux actionnaires de Nestlé et à leur influence. Ceux qui pèsent plus de 3% du capital sont divulgués par l’entreprise, et on les retrouve sur le site de la Bourse suisse sous la rubrique «actionnaires significatifs». Les règles de gouvernance suisses veulent qu’il y ait un minimum de transparence, car les gros actionnaires ont une voix prépondérante à l’Assemblée générale (AG), influencent la stratégie, et peuvent aussi, du fait de leur poids dans le capital, déstabiliser le cours de l’action s’ils décident de vendre.
BlackRock à hauteur de 5%
Sur le site de la bourse suisse, on découvre, sans grande surprise, que le géant new-yorkais BlackRock détient actuellement 5,04% du capital de Nestlé. C’est donc l’investisseur qui perd le plus, dans l’absolu, quand le cours chute, comme c’est le cas pour Nestlé depuis 4 ans. Le plus gros gérant de fonds au monde, avec 12’000 milliards de dollars d’actifs, détient aussi une part de 5% dans d'autres groupes suisses, dont Novartis et Givaudan, par exemple.
L’incontournable Larry Fink
La firme d'investissement est dirigée par Larry Fink, son CEO et co-fondateur depuis 1988, qui a côtoyé, financé ou conseillé des présidents comme Obama, Trump et Macron, et dont les lettres d’investissement annuelles sont devenues, ces dernières années, plus influentes que celles de Warren Buffet.
Bien entendu, Larry Fink envoie des représentants de BlackRock aux assemblées générales comme celle de Nestlé, et ne s’y rend pas lui-même. Mais les voies de l’influence ne passent pas que par les AG: en témoigne l'impact des citations d'actionnaires dans le FT, suivies de la démission avancée de Paul Bulcke, alors qu’il devait se retirer lors de l’AG du 16 avril 2026. «Bulcke a perdu le respect et la confiance des investisseurs», ont glissé au FT des «actionnaires parmi les 30 plus gros».
Michael C. Gitlin
Autre actionnaire significatif de Nestlé, qui a pu peser sur la démission de Bulcke: The Capital Group, un autre gros fonds institutionnel, californien quant à lui, qui détient 3% de Nestlé. Avec plus de 2600 milliards de dollars d’actifs, la firme est géante… mais quatre fois plus petite que BlackRock. Pourtant, elle détient elle-même 5% du capital de BlackRock! Son patron, nettement plus discret que Larry Fink, est Michael C. Gitlin, qui vient d’arriver en 2024. CEO et président de cette firme, ce financier de Los Angeles a fait un détour jadis par Credit Suisse Asset Management. On retrouve Capital Group comme actionnaire d’Adecco, Vontobel ou Siegfried, parmi la cote suisse.
Et enfin, le troisième actionnaire important de Nestlé n’est autre… qu’UBS, la banque dirigée par Sergio Ermotti, qui détient 5,547% de la multinationale veveysanne. Cela est tout récent: cela date du rachat de Credit Suisse par UBS. C’est depuis lors qu'UBS Fund Management, l’unité qui gère les centaines de fonds de placement de la banque, a absorbé son équivalent, Credit Suisse Funds, et que leur part combinée a dépassé les 5% dans Nestlé. L'entité des fonds est représentée par le patron du département «UBS Asset Management», Aleksandar Ivanovic, issu de la London Business School et qui a 25 ans de maison.
Les actionnaires qui sont sous le seuil des 3%, même s’ils détiennent 2,99% du capital, ne sont pas divulgués. Ce qui ne les a pas empêchés d’être influents et actifs pour réclamer la démission de Bulcke. A l’image du family office AS Investment Management et du fonds britannique J. Stern & Co, qui ont parlé à visage découvert au FT, pour réclamer le départ de Bulcke, 3 jours avant l'annonce. Derrière cette impatience: la chute du cours de Nestlé, quasi ininterrompue depuis 2022.
Pertes élevées des actionnaires sur 4 ans
Ensemble, les trois plus gros actionnaires précités représentent 14% du capital de Nestlé. Une participation qui, sur une capitalisation boursière de 184 milliards, équivaut à 25 milliards de francs. Et justement, la valeur de cette part a diminué, car l’action a perdu 40% depuis fin 2021. «Not so Sweet», a ironisé le FT à propos de l'action du producteur de branches Cailler, de Smarties, de KitKat et de Nesquick.
La capitalisation du groupe est passée de 304 à 184 milliards de francs, après un creux à 164 milliards (soit une perte de 46% entre le plus haut et le plus bas sur 4 ans). Nos trois principaux actionnaires, BlackRock, Capital Group et UBS, ont donc collectivement perdu 17 milliards sur ce placement, sur les années 2022 à 2025. Par contraste, l'action du concurrent Danone s'est envolée de 44% sur la période, et celle d'Unilever de 12%.. A l'assemblée générale d'avril dernier, 9,7% des actionnaires avaient voté contre la réélection de Bulcke, et 5,4% s'étaient abstenus. C'était avant l'affaire Freixe.