Le plan décoiffant du candidat Basit Igtet
Ce leader politique libyen veut relancer son pays en confiant son pétrole à Genève

Sous-traiter la gestion du pétrole libyen à Genève, afin de l’arracher à la corruption qui ruine son pays: c'est le plan surprenant de Basit Igtet, un Libyen expatrié qui brigue le poste de Premier ministre à Tripoli. Coulisses d’un projet audacieux et radical.
Publié: 05:33 heures
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Dernière mise à jour: 06:43 heures
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Le candidat Basit Igtet en est persuadé: la Libye a besoin du savoir-faire suisse pour se développer.
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Myret ZakiJournaliste Blick

Genève pourrait jouer un rôle de premier plan dans les exportations du pétrole libyen. Du moins si l’on pense que Basit Igtet a une chance de réussir son pari. Cet homme d’affaires expatrié, qui vit actuellement au Portugal après avoir vécu en Suisse, brigue le poste de Premier ministre en Libye. Désunie, empêtrée dans la guerre des milices, la Libye pourrait en effet organiser prochainement la nomination d’un nouveau chef de l’exécutif, sous l’égide de l’ONU.

Cerveau genevois

C’est au cœur de la cité de Calvin qu’un Genevois a élaboré le business plan qui pourrait faire la différence dans le programme de Basit Igtet. Nous l'avons rencontré dans ses locaux du boulevard Helvétique. «C’est ici que j’ai conçu les aspects économiques et pétroliers du projet de Basit Igtet. Je suis convaincu que ce projet est bon pour le pays», nous murmure le conseiller du candidat libyen, devant la machine à café, avant de nous conduire à la salle de conférence pour l’entretien.

Basit Igtet connaît bien la Suisse. L’homme qui a travaillé dans l’industrie, l’immobilier et l’hôtellerie a longtemps résidé à Zurich. Il a par ailleurs été l’un des acteurs de l’insurrection libyenne de 2011, soutenu par l’OTAN et par Joseph Hagin, l'influent insider de Washington qui fait actuellement partie de l'administration Trump.

Ex-mari de Sara Bronfman

Exilé depuis ses jeunes années en Europe, Basit Igtet a continué à compter sur ses soutiens américains pour tenter d’accéder au pouvoir en Libye. En 2014, il a brigué sans succès déjà le poste de Premier ministre. Pour les Libyens, il était alors un parfait inconnu. Durant ces années, il était marié à Sara Bronfman, l’héritière du milliardaire juif Edgar Bronfman, patron de Seagram et président du Congrès juif mondial de 1981 à 2007. 

Sara Bronfman aurait financé l’entrée de Basit Igtet dans la politique libyenne. Divorcé depuis 2023, et se disant complètement indépendant de toute étiquette, il retente sa chance en Libye, avec un plan se voulant pragmatique. Ses chances, il les estime «à 60%». 

Fonds souverain basé à Genève

«Depuis ma dernière candidature, mon projet a mûri», nous raconte-t-il au téléphone. «Il faut se rendre compte qu’en Libye, il n’y a pas d’économie, les groupes armés sont hors de contrôle et la corruption est endémique. La Libye est une plaque tournante de l’immigration vers l’Europe. J’ai vécu un temps au sud de la France et j’ai vu les problèmes sécuritaires que cela crée, avec la montée de l’extrême droite ici. Tout est lié. Il faut restaurer l’Etat de droit et réindustrialiser le pays.»

Basit Igtet en est convaincu: le salut du pays viendra de l’extérieur. Il veut extraire l’argent du pétrole des griffes de la corruption locale. Quitte à sortir la manne pétrolière du pays, pour la réinjecter ensuite dans le développement de la Libye. C’est à Genève qu’il veut faire gérer les exportations et les avoirs du pétrole libyen. Les profits seraient placés dans un fonds souverain, domicilié au bout du lac.

Collaboration discrète

Genève occuperait donc une place de choix dans cette stratégie. Ceci, en raison des compétences de haut niveau qui s’y trouvent. Il y a quatre mois, Basit Igtet a en effet pris contact avec son conseiller genevois. Cela fait 15 ans qu'il connaît ce vétéran du pétrole et du shipping, fin connaisseur du négoce d’hydrocarbures. Le discret bureau de sa société, qui a eu de fréquents contacts avec la Chambre du commerce et de l’industrie Suisse-Libye, se spécialise aussi dans la gestion d’actifs financiers, principalement liés à l’énergie et à la logistique. 

Si Basit Igtet devenait Premier ministre, Genève pourrait devenir la plateforme internationale du pétrole libyen. Tandis que le politicien serait installé à Tripoli, ce bureau suisse serait chargé d’assurer les exportations de brut libyen à travers le monde, et d’en gérer les recettes, en veillant à les préserver de toute forme de détournement. Le tout serait mené en proche collaboration avec le ministère libyen du pétrole, qui, selon Basit Igtet, a besoin de ce savoir-faire. «En réalité, nous Libyens n’avons pas besoin d’argent de l’Europe, ni de sécurité, mais bien de savoir-faire», résume le candidat. 

Pas de conflits d’intérêt

Pourquoi Genève? «D’une part, la Suisse n’a pas de conflits d’intérêt, répond l’homme d’affaires, contrairement au Royaume-Uni, à la France ou à l’Italie, qui ont des compagnies pétrolières dans le pays, avec leurs propres agendas. D’autre part, le système bancaire suisse nous servira de modèle pour réformer le système bancaire libyen.»

Basit Igtet espère dans le même temps accroître les exportations de gaz libyen en direction de l’Europe. «Cela permettrait à l’Europe de disposer d’un fournisseur supplémentaire, et à la Libye de diversifier ses produits exportés et les devises reçues, valide son conseiller. Mais des investissements seraient nécessaires pour améliorer la production.»

Offrir des emplois

Une gestion professionnelle du fonds souverain passerait aussi par un contrôle de la volatilité des revenus. Comme tous les pays, la Libye dépend des prix mondiaux du pétrole, qui fluctuent fortement. Dès lors, il s’agira de lisser les flux: une partie serait allouée au budget de l’Etat libyen pour le long terme et une autre serait réinvestie dans le fonds, et servirait coussin pour amortir les variations de prix et planifier le budget. 

En parallèle, Basit Igtet veut bénéficier de l’expertise européenne pour redévelopper l’agriculture – auparavant un des piliers de l’économie libyenne – et pour réindustrialiser le pays. «Cela permettra d’offrir des emplois aux nombreux jeunes qui n’ont actuellement pas d’autres choix que de quitter le pays pour aller en Europe ou ailleurs.»

Socar, un précédent réussi

Reste à savoir si la Libye possédera encore son pétrole. «Evidemment que les actifs pétroliers et gaziers appartiennent à la Libye, clarifie immédiatement Basit Igtet. Nous allons simplement sous-traiter à l’extérieur la gestion et la planification à long terme à des professionnels, qui n’ont aucun conflit d’intérêt. Le plan est conçu pour durer 8 à 12 ans.»

La Libye ne serait pas la première à passer par Genève: la filiale genevoise de Socar, la société pétrolière azerbaïdjanaise, agit aussi comme le bras d’exportation du pays vers le reste du monde. C’est depuis ses bureaux de la rue du Rhône qu’elle écoule le pétrole azéri à l'international. 

Au sein même des pays pétroliers, le savoir-faire étranger est partout, rappelle le conseiller genevois d’Igtet: «La plupart des pays pétroliers manquent de savoir-faire; ils font venir les compagnies pétrolières externes, qui s’occupent du forage et de l’investissement. Ce sont des service providers. Puis, il y a un partage de bénéfices avec le gouvernement. Il ne s’agit nullement de vendre les réserves, mais de faire appel à la maîtrise technique étrangère.»

Expatrié mais réaliste

Pour Basit Igtet, «de toute façon rien n’est pire que la corruption endémique qui y sévit actuellement». Dans l’immédiat, son projet visera à augmenter de 50% les revenus du pétrole dans un délai de trois ans, ce qui représenterait 10 à 15 milliards de dollars de recettes annuelles supplémentaires. Les pipelines et les infrastructures devront être refaits dans ce but.

Actuellement en campagne à l’international, Basit Igtet cherche à capitaliser sur son réseau occidental. Son point faible: pour les locaux, il reste un Libyen de l’étranger, même s’il est un peu plus connu au pays qu’il y a 10 ans. «C’est le seul qui ait un programme crédible et réaliste sur le long terme qui permette de développer ce dont le pays a tant besoin, à savoir l’éducation, les hôpitaux et les infrastructures», conclut son conseiller. 

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