15 ans après une crise diplomatique
Hannibal Kadhafi: l’ennemi d’hier supplie-t-il aujourd’hui Genève de lui offrir l’asile?

Quinze ans après avoir provoqué une crise diplomatique entre la Suisse et la Libye, Hannibal Kadhafi, fils du dictateur déchu, lance des appels à l'aide depuis sa prison libanaise. Détenu sans jugement depuis 2015, il aurait désormais demandé l'asile à Genève.
Publié: 11.06.2025 à 10:58 heures
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Dernière mise à jour: 11.06.2025 à 14:40 heures
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Hannibal Kadhafi, le fils du dictateur libyen déchu, aurait déposé une demande d'asile à Genève. (Image d'archives datant de 2011)
Photo: AFP
Sid Ahmed Hammouche

De la provocation à la supplique. Quinze ans après avoir déclenché une crise diplomatique majeure entre la Suisse et la Libye, Hannibal Kadhafi, fils du dictateur déchu Mouammar Kadhafi, lance aujourd’hui des appels à l’aide depuis sa prison libanaise.

Ironie de l’histoire: c’est à Genève, la ville qu’il avait quittée sous escorte, qu’il souhaite désormais trouver refuge. Ce revirement soulève autant de malaise que d’interrogations.

2008: le point de rupture

Retour en juillet 2008. Hannibal Kadhafi est arrêté à Genève, soupçonné de mauvais traitements sur deux domestiques. Les images de son interpellation font le tour du monde. La réaction de Tripoli est brutale, presque théâtrale: menaces d’armes, coupures de pétrole, arrestation d’hommes d’affaires suisses, fermeture de l’ambassade helvétique en Libye. Le régime promet de «réduire la Suisse en cendres» et traite le pays de «repaire de criminels». Ce conflit diplomatique d’une rare intensité laissera des traces profondes.

Mais cette époque semble révolue. Le clan Kadhafi n’a plus d’Etat, plus d’armée, plus d’ambassade. Le patriarche a été lynché en 2011, son régime balayé par les révolutions arabes et l’intervention de l’OTAN. Hannibal Kadhafi, prince héritier d’un royaume de sable et de peur, croupit aujourd’hui dans une cellule libanaise, presque oublié.

Le prisonnier de Beyrouth

Depuis 2015, Hannibal est détenu sans jugement au Liban, dans le cadre de l’enquête sur la disparition de l’imam chiite Moussa Sadr, disparu en 1978 à Tripoli, en Libye. Problème? Hannibal n’avait que trois ans au moment des faits. Officiellement, il est accusé de «rétention d’informations». Officieusement, il est une pièce d’échange dans un bras de fer politico-religieux entre Tripoli, Beyrouth et les partisans chiites du clerc disparu.

Hannibal Kadhafi et Aline Skaf en 2011.
Photo: AFP

Enlevé en Syrie puis transféré au Liban dans des circonstances troubles, il est depuis maintenu dans une forme de limbes judiciaires, sans perspective de procès équitable. Ses avocats, son épouse, l’actrice libanaise Aline Skaf, ses deux enfants, Hannibal Junior et Alissa, ainsi que sa sœur Aïcha, réfugiée à Dubaï, dénoncent une détention arbitraire, motivée par la vengeance et la pression politique.

Une demande d’asile… en Suisse?

C’est dans ce contexte qu’Hannibal Kadhafi a, selon des proches de sa famille et plusieurs sources libanaises, exprimé le souhait de demander l’asile… notamment à Genève. Une ville qu’il connaît bien, où il a mené une vie fastueuse dans les années 2000, entre hôtels de luxe – notamment le Wilson –, voitures de sport et garde rapprochée. Une ville où il dispose encore d’un vaste réseau et d’amis de son épouse Aline Skaf. Aujourd’hui, il en rêve comme d’un havre de neutralité, loin des chaînes et des chantages d’un Liban en crise.

«
Nous vous confirmons que le SEM examine chaque demande d'asile individuellement et conformément aux dispositions légales en vigueur
Nicolas Cerclé, porte-parole du SEM
»

Charbel Khoury, son avocat, s’active pour lui trouver une terre d’accueil en Europe… en Suisse? Contacté, l’homme de loi reste muet sur les démarches d’asile de son client. Même silence du côté des autorités suisses: à Berne, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) n’a émis aucun commentaire sur le cas Hannibal Kadhafi et renvoie au Secrétariat d’État aux migrations (SEM), seul compétent en la matière. Sollicité à son tour, le SEM indique ne pas fournir d’informations sur des cas individuels, pour des raisons de confidentialité et de protection des données.

«Nous vous confirmons, par ailleurs, que le SEM examine chaque demande d’asile individuellement et conformément aux dispositions légales en vigueur», souligne Nicolas Cerclé, porte-parole au Secrétariat d’État aux migrations.

Le passé, lui, n’est pas oublié. Pour les diplomates helvétiques, le nom d’Hannibal Kadhafi reste associé à l’humiliation, à l’arrogance, à un chantage d’État qui a marqué un tournant dans la politique étrangère du pays. Accorder l’asile à Hannibal aujourd’hui reviendrait à rouvrir une plaie que la Suisse a mise des années à refermer. Et pourrait bien raviver une crise politique.

Les proches de Kadhafi à l’offensive diplomatique

Ces derniers mois, les proches d'Hannibal Kadhafi ont intensifié leurs démarches auprès d’instances internationales. Ils ont écrit au président Donald Trump, au secrétaire général des Nations unies António Guterres, ainsi qu’à diverses institutions onusiennes basées à Genève, pour alerter sur sa détention depuis plus de 10 ans.

Plusieurs requêtes invoquent l’application des Conventions de Genève, le considérant comme une victime de détention arbitraire. Le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a été saisi.

L’asile politique: une hypothèse légalement envisageable?

Dans sa situation actuelle, est-il juridiquement possible pour Hannibal Kadhafi de demander l’asile politique auprès d’un pays tiers – comme la Suisse – tout en étant détenu au Liban? Le droit international prévoit que, dans certains cas, une personne détenue arbitrairement peut introduire une demande d’asile par voie diplomatique, via une ambassade ou une organisation humanitaire mandatée.

Toutefois, son extraction physique du territoire de détention suppose la coopération des autorités locales – ce qui, dans le cas libanais, semble très improbable sans résolution du contentieux autour du chef spirituel chiite Moussa Sadr.

Quels critères pour la Suisse?

Si la Suisse devait examiner une telle demande, plusieurs critères seraient pris en compte: le risque de persécution en cas de retour en Libye, le respect des droits fondamentaux du requérant, ainsi que l’évaluation de son passé. Hannibal Kadhafi reste cependant une personnalité controversée, marqué par des soupçons de crimes de guerre, de violences, une vie extravagante et une complicité supposée avec le régime de son père, Mouammar Kadhafi.

Mouammar Kadhafi est mort le 20 octobre 2011, en Libye. (Photo d'archives datant de 2004)
Photo: imago/Belga

Ce dernier, «Guide de la Révolution» et dictateur de la Libye de 1969 à 2011, est mort le 20 octobre 2011 à Syrte, sa ville natale, tués par les rebelles libyens. Il est important de rappeler que l’asile n’est pas un pardon, mais un acte humanitaire fondé sur le droit. La Confédération devra donc trouver un équilibre entre son obligation morale et les enjeux de mémoire diplomatique.

Quelles protections du droit international?

Les Conventions de Genève, la Convention contre la torture, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont autant de textes susceptibles de s’appliquer à sa situation. En tant que détenu sans procès équitable, soumis à un traitement potentiellement inhumain, Hannibal Kadhafi pourrait, en théorie, bénéficier de la protection de plusieurs instruments juridiques internationaux. Mais leur application dépend de la volonté des États concernés.

Le cas Hannibal Kadhafi au Liban: un dossier sensible entre mémoire et diplomatie

Détenu au Liban depuis 2015, Hannibal Kadhafi, fils du défunt dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, est au cœur d’un imbroglio politico-judiciaire mêlant vengeance historique, luttes d’influence et diplomatie régionale. Officiellement, il est poursuivi pour «rétention d’informations» sur la disparition de l’imam chiite libanais Moussa Sadr et de ses deux compagnons, en 1978, lors d’une visite officielle en Libye. Un épisode resté douloureux pour la communauté chiite libanaise, notamment le mouvement Amal, fondé par Sadr lui-même.

Récemment, des déclarations contradictoires sur sa libération ont ravivé le dossier: le Ministère de la Justice d’un gouvernement libyen rival, autorités de Benghazi, annonçait sa remise en liberté, mais son avocat a immédiatement démenti. En toile de fond, la montée en puissance du président libanais Joseph Aoun semble avoir donné un nouvel élan aux appels à sa libération, relayés par sa sœur Aïcha et des acteurs internationaux. Washington aurait même engagé des contacts pour résoudre l’affaire. Tripoli, de son côté, presse le Liban d’extrader Hannibal, afin de le juger en Libye, à Tripoli. 

Mais Beyrouth reste ferme: pas de libération sans progrès dans l’enquête sur Moussa Sadr. Les autorités libanaises réclament des preuves concrètes que la Libye peine à fournir. Un accord de coopération judiciaire signé en 2014 n’a jamais été activé. A ce jour, la justice libanaise attend toujours des réponses précises. Le juge d’instruction Zahir Hamadeh, en charge du dossier, a laissé entendre qu’il pourrait envisager une libération si Tripoli livrait des éléments nouveaux. Dans ce feuilleton diplomatique à tiroirs, Hannibal Kadhafi reste une pièce d’échange entre passé non résolu et enjeux de pouvoir actuels.

Détenu au Liban depuis 2015, Hannibal Kadhafi, fils du défunt dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, est au cœur d’un imbroglio politico-judiciaire mêlant vengeance historique, luttes d’influence et diplomatie régionale. Officiellement, il est poursuivi pour «rétention d’informations» sur la disparition de l’imam chiite libanais Moussa Sadr et de ses deux compagnons, en 1978, lors d’une visite officielle en Libye. Un épisode resté douloureux pour la communauté chiite libanaise, notamment le mouvement Amal, fondé par Sadr lui-même.

Récemment, des déclarations contradictoires sur sa libération ont ravivé le dossier: le Ministère de la Justice d’un gouvernement libyen rival, autorités de Benghazi, annonçait sa remise en liberté, mais son avocat a immédiatement démenti. En toile de fond, la montée en puissance du président libanais Joseph Aoun semble avoir donné un nouvel élan aux appels à sa libération, relayés par sa sœur Aïcha et des acteurs internationaux. Washington aurait même engagé des contacts pour résoudre l’affaire. Tripoli, de son côté, presse le Liban d’extrader Hannibal, afin de le juger en Libye, à Tripoli. 

Mais Beyrouth reste ferme: pas de libération sans progrès dans l’enquête sur Moussa Sadr. Les autorités libanaises réclament des preuves concrètes que la Libye peine à fournir. Un accord de coopération judiciaire signé en 2014 n’a jamais été activé. A ce jour, la justice libanaise attend toujours des réponses précises. Le juge d’instruction Zahir Hamadeh, en charge du dossier, a laissé entendre qu’il pourrait envisager une libération si Tripoli livrait des éléments nouveaux. Dans ce feuilleton diplomatique à tiroirs, Hannibal Kadhafi reste une pièce d’échange entre passé non résolu et enjeux de pouvoir actuels.

Droit à l’oubli, ou à la rédemption…

Hannibal a peut-être du sang sur les mains. Il fut l’un des enfants les plus féroces du colonel Kadhafi, complice de la répression de la révolte libyenne aux côtés de ses frères Saïf al-Islam et Mouatassim. Aujourd’hui, c’est un homme affaibli, physiquement diminué selon son avocat, isolé dans un pays qui ne le juge pas, mais ne le libère pas non plus.

L’affaire Hannibal Kadhafi est loin d’être close. Son sort reste suspendu aux calculs géopolitiques entre la Libye, le Liban et des puissances influentes comme les États-Unis, qui auraient, selon la presse libanaise, intensifié leurs pressions sur Beyrouth pour une issue au dossier. La Suisse, elle, reste pour l’instant spectatrice, mais pourrait-elle être appelée à jouer un rôle? Discret, diplomatique, humanitaire?

Après avoir été l’étincelle d’une crise entre nations, Hannibal Kadhafi cherche aujourd’hui à devenir le symbole d’une justice qui transcende les rancunes. Reste à savoir si la Confédération est prête à écouter les appels de la famille de ce fils d’un tyran déchu, qui jadis menaçait «le pays d'Heidi», et qui, aujourd’hui, l’appelle à l’aide.

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