Fin de partie pour Les Pitchounets
Une crèche lausannoise ferme ses portes… faute d'une terrasse pour bébés

A Lausanne, la crèche Les Pitchounets a définitivement fermé ses portes en août. Non pas pour des raisons de sécurité ou de gestion, mais parce qu’elle ne dispose pas d’une terrasse. Les parents, désolés, vont devoir trouver ailleurs.
Publié: 05:31 heures
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Dernière mise à jour: 08:05 heures
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La directrice Myriam Asigbetse perd son bébé d'adoption, la crèche Les Pitchounets.
Photo: Lucie Fehlbaum
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Les jouets sont rangés dans leurs boîtes, les petites vestes ont disparu des patères et les dessins ont été décrochés des murs. Ce mois d'août, la crèche Les Pitchounets, au chemin du Devin, à Lausanne, ferme définitivement ses portes.

Non pas pour un problème de sécurité, ni de gestion. Mais parce qu’elle n’a pas de terrasse pour accueillir les bébés de 0 à 18 mois — une exigence du Service cantonal de l’accueil de jour des enfants (SCAJE), selon une décision que Blick a pu consulter.

Petit jardin pas suffisant

«C’est un crève-cœur. C’est mon bébé d’adoption, Les Pitchounets», témoigne la directrice Myriam Asigbetse. Depuis 2018, elle portait la direction pédagogique, avant de reprendre l’exploitation en 2022.

La directrice avait pourtant obtenu de la gérance de l'immeuble qu’un espace du parc public voisin soit sécurisé et réservé aux enfants. Dix mètres à peine séparent ce petit jardin de la crèche. Mais le SCAJE a estimé que cela ne suffisait pas. Sans bébés, l’équilibre économique de la structure s’est effondré.

Parents déçus et liste d’attente envolée

Aux Pitchounets, la vie s’organisait autrement. Trois éducatrices encadraient huit bébés — mieux que la norme, qui prévoit une personne pour cinq enfants. Chaque jour, le groupe partait à Chailly voir les chèvres ou jouer dans le jardin sécurisé, obtenu à force de négociations. Les parents saluaient cette ambiance familiale. «Ils nous ont dit qu’on allait leur manquer, qu’ils étaient très contents ici», confie Myriam Asigbetse.

L’établissement affichait toujours complet. «J’ai toujours eu une liste d’attente incroyable, surtout pour les bébés. Certains m’ont même proposé de l’argent pour avoir une place, ce que je n’accepterais jamais», assure la directrice.

Deux ans de combat administratif

Cette dernière a multiplié les démarches pour sauver son institution: projets d’architectes pour transformer la butte voisine en jardin, négociations avec la gérance, création du petit espace protégé dans le parc. «Mais la gérance a refusé les travaux, et le SCAJE n’est plus entré en matière, même pour ce jardin», souffle-t-elle.

Pendant deux ans, elle s’est battue, soutenue par les parents. «La décision du SCAJE a créé une monstre panique. On ne pouvait plus accueillir les petits frères ou les petites sœurs, donc les parents retiraient le grand pour avoir les deux au même endroit.»

Résultat: la crèche a lentement perdu ses forces. «On était encore quatre ou cinq à la fin, un petit groupe solidaire, dont une collègue qui était là depuis 25 ans. Mais j’ai dû me résoudre à fermer. C'est une immense injustice», regrette la directrice.

Le canton assume

Du côté du canton, le message est clair: les règles sont les règles. Les directives imposent qu’une nurserie dispose d’un espace extérieur privé et attenant, afin de garantir des sorties sécurisées pour des enfants non autonomes. Le SCAJE, qui surveille près de 870 crèches vaudoises, peut octroyer des dérogations aux institutions anciennes, mais uniquement avec des mesures de compensation.

«Si l’espace extérieur n’est pas directement attenant, cela nécessite un encadrement supplémentaire», explique Charles Super, porte-parole du département des institutions. Dans le cas des Pitchounets, «cela aurait supposé de mettre à disposition du personnel supplémentaire afin de permettre la sortie des bébés, développe-t-il. Un tel cas de figure représente un coût important, en particulier pour une institution de taille réduite et qui propose principalement des places en nurserie, soit les places qui engrangent le moins de recettes au regard du taux d’encadrement nécessaire».

Myriam Asigbetse est interloquée. «Si j'avais trois adultes pour encadrer les bébés, c'était justement pour avoir une personne supplémentaire pour les sorties! s'étonne la directrice. Financièrement, j'y arrivais très bien! Ce qui a entraîné la fin des Pitchounets, c'est la perte des bébés, pas devoir travailler avec une troisième personne pour les encadrer. C'est une excuse bidon», tonne-t-elle.

Veiller aux finances des crèches

Le porte-parole souligne aussi que la crèche n’était pas intégrée au réseau lausannois et ne recevait donc pas de subventions. «Nous devons veiller à une équité de traitement entre les institutions du canton.»

Le SCAJE doit également évaluer si l’institution a une base économique sûre. «Il veille dès lors à ce que le modèle économique soit pérenne, dans l’intérêt des enfants et de leurs familles», précise Charles Super.

Fermer, alors que les places sont rares

Pourtant, certains, à commencer par les parents, s’étonnent de voir fermer une crèche qui n’a jamais eu de problème sécuritaire, alors que d’autres institutions doivent, chaque matin, inspecter leurs terrasses pour retirer seringues et canettes laissées par le trafic alentour. «Les situations ne sont pas comparables», répond le canton, qui affirme appliquer partout les mêmes règles. Dans le cas des Pitchounets, il s'agit ainsi de l'application d'une règle en vigueur.

Reste une contradiction criante: supprimer vingt places de crèche alors que la Ville vise la fin des listes d’attente en 2026. «J’avais de la force, des idées, j’ai investi beaucoup de ma personne, confie Myriam Asigbetse. J’y ai mis mon cœur et mon temps. Quand ils vont me reprendre les clés, ça va être dur. Mais pour le moment, je m'efforce de ne pas y penser.»

Le canton assure pour sa part que le nombre de places en garderie a plutôt augmenté. «Le réseau de la commune de Lausanne, le réseau-L, a fortement augmenté son offre d’accueil et poursuit cette croissance de l’offre», affirme ainsi Charles Super.

Faire son deuil

Dans les locaux désormais silencieux, une table à langer presque neuve attend un repreneur. Et une stagiaire a dû être remerciée, faute de perspectives. La société Les Pitchounets a été liquidée.

Et pour Myriam Asigbetse, l’avenir est incertain «Je dois faire mon deuil. Peut-être recommencer avec des remplacements. Ce qui me manquera le plus, c’est d’apporter mon expérience aux familles, à l’équipe et aux stagiaires. Humainement, ça m'a beaucoup apporté.»

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