La Suisse dans l'illégalité?
Ces 10 pays livrent des armes à Israël

Israël, offensif sur le plan militaire, reçoit des armes de plusieurs pays. Les voici.
Publié: 11:44 heures
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Dernière mise à jour: 12:08 heures
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Les Etats-Unis sont de loin le plus gros fournisseur d'Israël, mais la Suisse aussi a augmenté ses ventes vers l'Etat hébreu.
Photo: Getty Images
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Myret ZakiJournaliste Blick

Offensif sur le plan militaire, engagé dans une guerre toujours plus meurtrière contre les pays musulmans qui l’entourent, Israël est le pays ayant mené le plus de bombardements dans un périmètre régional ces dernières années. 

6 territoires bombardés

L’Etat hébreu a attaqué l’Iran en ce mois de juin 2025, en vue de détruire ses capacités nucléaires, après avoir bombardé massivement le territoire occupé de Gaza durant 16 mois, suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. 

Ces offensives font suite à une série d’attaques menées depuis 2020, lors desquelles Israël a bombardé tour à tour le Liban, le Yémen, la Syrie et l’Irak, l’Etat hébreu cherchant à traquer le Hezbollah libanais, les Houtis du Yémen et les milices pro-iraniennes du Levant. 

Au total, six pays ou territoires ont été la cible d’attaques israéliennes en l’espace de cinq ans. Soit tous les pays du Moyen-Orient sauf les monarchies arabes et l’Egypte. 

Des opérations illégales

Ces opérations se sont traduites par le déploiement d’une quantité phénoménale d’armes par Israël, de l’ordre de dizaines de milliers de bombes et de missiles. 

Au plan du droit international, ces interventions sont considérées illégales ou fortement contestées en raison de leur bilan humain tragique. Surtout dans les territoires palestiniens, comme en attestent 3 ordonnances de la Cour Internationale de Justice de janvier, mars et mai 2024 sur la prévention du crime de génocide, qui ont réitéré et souligné la dégradation de la situation. Mais Israël a bénéficié du soutien des Etats-Unis, son premier allié, et en particulier de l’administration Trump. 

Production d'armes en continu

Le pays, gouverné durant 18 ans sur les 29 dernières années par Benjamin Netanyahu, dispose d’une industrie de défense très développée, avec les groupes Elbit, IAI et Rafael, qui fabriquent eux-mêmes une grande part des missiles, bombes et drones de frappe utilisés dans ces attaques. 

Depuis le 7 octobre, le ministère de la Défense israélien a indiqué produire des armes «24 heures sur 24» pour ses guerres, mais aussi pour l’exportation. D’un autre côté, Israël importe de grandes quantités (30% à 50%) de ses armes à d’autres pays. Qui fournit l’Etat hébreu? 

Les Etats-Unis, soutien n°1

Sans surprise, Israël compte avant tout sur les Etats-Unis, qui lui livrent des bombes guidées, des avions de chasse et des systèmes antimissiles, à travers des ventes ou de l’aide militaire. Les frappes contre des pays comme l’Iran, la Syrie ou l’Irak peuvent combiner des missiles israéliens (Delilah, Harop, LORA) et des bombes américaines (JDAM, GBU).

Les Etats-Unis exportent aussi à Israël des véhicules blindés et des équipements de renseignement. Le géant de l’armement Lockheed Martin fournit à Israël des F-16 et F-35, qui servent de plateformes de lancement des frappes. Mais également les fameuses bombes GBU-31/32 et GBU-39, responsables de très nombreuses morts civiles à Gaza, et utilisées contre la Syrie et parfois l’Iran. 

En outre, l'Américain Raytheon fournit à Israël des missiles air-sol, utilisés contre Gaza et la Syrie, et des composants pour son «Dôme de fer». Enfin, Boeing fournit des chasseurs et bombardiers, ainsi que des kits pour transformer des bombes conventionnelles en munitions de précision, utilisés contre Gaza, la Syrie et le Liban.

Dizaines de milliards d'aide

Le soutien américain se traduit aussi par une aide militaire substantielle, d’environ 3,8 milliards de dollars par an. C’est l’aide structurelle la plus importante que les Etats-Unis accordent à un pays. Une aide indispensable, qui a largement rendu ces opérations militaires possibles tout en réapprovisionnant constamment la défense aérienne de l’Etat hébreu, selon des experts cités par le «New York Times»

En dehors de l’aide régulière, dans les 10 mois qui ont suivi l’attaque du Hamas, Washington a approuvé une aide record à Israël, incluant des armes, à hauteur de 17,9 milliards de dollars, d’après une estimation prudente des chercheurs de Brown University. 

En février et mars 2025, en plein désastre humanitaire à Gaza, l’administration Trump a contourné deux fois le Congrès pour faire passer par les «autorisations d’urgence» une aide militaire à Israël (incluant plus de 35'000 bombes d’une tonne, des bulldozers et des missiles) d’une valeur de 12 milliards de dollars.

La Suisse, pas neutre

La Suisse n’est pas un gros acteur dans le commerce d’armes avec Israël, mais elle figure parmi ses fournisseurs. En 2024, les exportations de biens à double usage (civil et militaire) vers Israël ont atteint un record de 16,7 millions de francs et continué leur progression au premier trimestre 2025, malgré le climat de contestation internationale face à la tragédie de Gaza. 

Sur les 16,7 millions de francs d’exportations suisses, seuls 500'000 étaient destinés à des fins exclusivement militaires. Mais «les «biens à double usage» peuvent être utilisés dans la production d’armement», rappelle Jean-Daniel Ruch, ancien ambassadeur suisse à Tel Aviv de 2016 à 2021.

Légalement problématique

La Suisse et les pays de l’Union européenne sont signataires du traité des Nations unies sur le commerce des armes (TCA). Ce dernier, dans son article 6, interdit aux Etats la vente d'armes s'ils ont «connaissance que ces armes pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l'humanité (...) ou d'autres crimes de guerre». Les Etats-Unis et Israël n’ont pas ratifié ce traité. 

«Cette situation est clairement inadmissible, estime Pierre-Henri Heizimann, vice-président de la Société militaire de Genève. A fortiori pour un pays comme la Suisse, qui se doit d’être exemplaire en matière d’application des traités qu’il a signé. Voilà encore une position que notre pays payera cash dans un futur proche».

«Ce ne sont pas seulement les obligations internationales qui ne sont pas respectées, estime Jean-Daniel Ruch. Du point de vue du droit de la neutralité suisse, nous n’avons pas le droit de procurer un avantage comparatif à un pays par rapport à un autre dans un conflit. Par ailleurs, notre législation interdit de livrer de l’armement à des pays en conflit en général, encore moins lorsqu'ils violent le droit international.»

La loi suisse sur l'exportation de matériel de guerre est très bien faite, souligne Alexandre Vautravers, colonel d'état-major général et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse. «Elle exige le feu vert de l'armée, des Affaires étrangères, et du Secrétariat à l'économie (Seco), ce qui lui confère tous les garde-fous nécessaires. Il suffit à nos responsables politiques de l'appliquer dans l'esprit et la lettre.»

La BNS toujours dans Elbit

Autre élément contesté, notamment par des ONG comme «Groupement pour une Suisse sans armée», les investissements de la Banque nationale suisse (BNS). Parmi ses placements figure le fabricant d'armes Elbit, qui avait vendu en 2015 pour 300 millions de francs de drones israéliens à la Confédération. D’après le portefeuille de la BNS du premier trimestre 2025 (que seules les autorités américaines publient, et non les autorités suisses), la part actuelle de la banque centrale helvétique dans Elbit s’élève à 29 millions de dollars, alors qu’elle était négligeable la décennie précédente. 

Allemagne, France, Royaume-Uni et Italie

L’Allemagne fait également commerce d’armes avec Israël dans certains domaines, comme les sous-marins Dolphin (adaptés pour des armes nucléaires) et les pièces détachées et technologies pour chars et véhicules blindés.

De son côté, la France compte Israël comme client pour certains composants ou technologies. Le rapport au Parlement 2024 sur les exportations d’armement établit qu’entre 2014 et 2023, la France a livré pour 205 millions d'euros de matériel militaire à Israël, dont 30 millions en 2023.

L’Italie coopère avec l’Etat hébreu dans l’aéronautique, via la livraison de composants, et le Royaume-Uni vend des équipements à usage civil et militaire, mais aussi des composants pour avions, missiles et systèmes de communication.

Les experts et diplomates reprochent au Traité sur le commerce des armes son caractère inapplicable; en effet, ce mécanisme de l'Onu dispose d'un secrétariat basé à Genève, mais il n'est pas doté d'une autorité judiciaire ou d'inspection, et n'a donc aucun pouvoir coercitif. 

Tchéquie, Canada, Australie, Inde

D’autres pays vendent ponctuellement des composants électroniques, de l’optique militaire, des drones, ou des systèmes de ciblage à Israël, même si ces transactions restent modestes en comparaison aux Etats-Unis. 

La République tchèque a exporté en 2024 pour 33,95 millions de dollars d’armes et munitions vers Israël. Le Canada a augmenté ses exportations vers Israël en 2023, à hauteur de 42 millions, qui comprenaient des bombes, torpilles, roquettes, explosifs et autres équipements, avant de suspendre en mars 2024 tous les permis d’exporter du matériel létal.

Quant à l’Australie, elle a aussi augmenté ses permis d’exportation d’armement en 2023, mais les a réexaminés et les a fortement réduits en 2024, modifiant ou annulant des permis d’exporter.

Co-entreprise indo-israélienne

L’inde, pour sa part, aurait livré des armes à Israël, sous les radars, sans confirmation officielle. Notamment des drones Hermes 900 fabriqués autour de mars 2024. A cette époque, l’administration Biden avait suspendu une livraison d’armes à Israël, qui s’apprêtait alors à attaquer Rafah, considérée comme le dernier refuge pour plus d'un million de Palestiniens déplacés. 

Les drones indiens sont issus d’une co-entreprise entre le géant indien Adani Defence and Aerospace et l’israélien Elbit en Inde. Toujours sans confirmation officielle, des cargaisons indiennes de roquettes et explosifs destinées à Israël auraient également été identifiées par des médias et des Ong, qui se sont basés sur des fuites de documents du Parlement européen.

Vitrine funeste pour ventes d'armes

De son côté, Israël n’a jamais vendu autant d’armes au reste du monde, doublant en une décennie ses exportations, qui passent de 5-7 milliards en 2012-2016, à près de 15 milliards en 2024. Dans un communiqué de juin 2025, le ministère israélien de la défense a vanté les exploits de ses armes pour expliquer l'envolée des ventes. «Les résultats opérationnels de la guerre et les performances avérées des systèmes israéliens sur le champ de bataille ont suscité une forte demande internationale pour la technologie de défense israélienne, ce qui a permis de conclure l'année 2024 sur une note remarquablement élevée avec des contrats d'exportation record».

Une défaite pour le droit

«Un pays en train de réaliser un génocide sur un territoire ne devrait plus bénéficier d’aucune arme, c’est certain, déplore Georges Martin, ambassadeur retraité ayant œuvré 37 ans au service du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Mais avec Israël, plus aucune règle du droit international n’est appliquée, et nous voyons qu’il est très compliqué, même en Suisse, pour Ignazio Cassis à la tête du DFAE, de rappeler le droit international».

Pour l'expert militaire Alexandre Vautravers, «aucun pays n'a jamais gagné une guerre en commettant des crimes de guerre et en violant le droit international. L'histoire nous l'enseigne, et elle ne connaît aucune exception.»

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