Surveillance secrète d’activistes à Genève
«Ce n'est pas un procureur qui a exagéré, c’est tout le système qui autorise des enquêtes abusives et disproportionnées»

Pour avoir tracé une piste cyclable fictive, des militants écologistes ont été ciblés par une enquête d’ampleur exceptionnelle. Le Tribunal des mesures de contrainte vient d’en valider une partie, révèle «Le Temps». Joël, principal prévenu, s’exprime dans Blick.
Publié: 15.07.2025 à 17:09 heures
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Dernière mise à jour: 15.07.2025 à 17:12 heures
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Une opération de marquage au sol, en 2023, a déclenché cette enquête hors norme, jugée abusive par la défense des activistes.
Photo: Extinction Rebellion Genève
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Ils ont tracé une piste cyclable jaune sur une route cantonale. Pour ce marquage nocturne, évalué (à la hausse) à 8899 francs de dégâts, les militants d’Extinction Rebellion Genève (XR Genève) ont été traités comme des délinquants de haut vol. Analyses ADN, rétroactif téléphonique sur six mois, saisies de données EasyJet, fiscales et bancaires: en avril, Blick révélait l’ampleur inédite des moyens mobilisés par la justice genevoise. Une enquête qui avait coûté près du double du prix des dégâts.

Aujourd’hui, cette procédure XXL trouve un premier cadrage judiciaire. Dans une série d’ordonnances dévoilées par «Le Temps», le Tribunal des mesures de contrainte (TMC) donne partiellement raison au Ministère public. Il valide une grande partie de l’enquête, tout en retorquant plusieurs actes jugés excessifs ou non pertinents.

Limites posées… mais les dépassements restent nombreux

Concernant le principal prévenu, Joël, la plupart des documents saisis sont jugés utiles à l’instruction. Mais les données transmises par EasyJet ne pourront pas être utilisées. Pour rappel, une recherche avait été faite auprès de la compagnie aérienne, sur une période de trois ans et demi, pour trouver d'éventuelles réservations aux noms des membres du groupe écologiste.

Certaines transactions bancaires de Joël, liées à des dons à des ONG comme Greenpeace, sont aussi formellement exclues du dossier. En revanche, le tribunal a validé le recours à un rétroactif téléphonique couvrant six mois, incluant les relevés d’appels et leur géolocalisation, pour Joël et d'autres militants.

Dans l'affaire, quatre personnes ne sont pas prévenues, car considérées comme des personnes appelées à donner des renseignements (PADR). Trois d’entre elles ne peuvent invoquer la protection de leur sphère privée, puisqu'elles ne sont pas formellement prévenues. Un quatrième individu, décrit comme le « logeur » de Joël par «Le Temps», voit ses données partiellement protégées. Il a effectué des versements en faveur d’avocats, qui sont couverts par le secret professionnel.

Joël, activiste ciblé, témoigne

L’un des principaux visés, Joël, a confié à Blick son ressenti après la décision du TMC. «C’est pesant, estime le porte-parole d'XR Genève. C’est une procédure très formelle avec des points de détails pas évidents à suivre. C’est une charge mentale importante et je dois me mobiliser pour bien comprendre ce qui m’arrive.»

L'activiste n'avait pas, avant cette affaire, connaissance du TMC. «En voyant qu'il avait validé certains des actes disproportionnés en amont, je me suis demandé quel était donc ce tribunal? En creusant un peu, j'ai compris qu'il validait environ 95% des demandes des procureur-es, donc à mon sens sans réellement les lire. Suite à cela, je ne m'attendais même pas à ce qu'il ouvre notre dossier avant de se prononcer. J'étais étonné en bien qu'il ait pris le temps de le faire, mais sa réponse reste tout de même timorée», déplore le jeune homme.

Abus systémiques

Selon Joël, les ordonnances rendues par le Tribunal prouvent que le système tout entier cautionne ces actes d'enquête qu'il juge abusifs. «J’ai pensé que le jour où quelqu’un se pencherait vraiment sur le dossier, cette personne réagirait et réaliserait à quel point l’enquête a été abusive. Le fait que le TMC ait lu notre dossier et n’a pas réagi comme ça, c’est décevant. Ça montre qu’il ne s’agit pas d’un procureur qui a exagéré, c’est tout le système qui autorise des enquêtes abusives et disproportionnées», analyse le militant.

Concernant son cas, les limites posées par le TMC, notamment pour les demandes de la justice genevoise à EasyJet relèvent plutôt d'une «image de respectabilité». Il développe: «C’était un des actes d’enquête les plus absurdes et aberrants et heureusement, ils s’en sont aperçus. C’était pour moi l’un des faits les plus graves. Mais tout est grave, finalement. Quatre ans de relevés fiscaux épluchés, six mois de rétroactifs téléphoniques, c’était de toute façon démesuré. La réponse du TMC est donc frileuse.»

Des droits contournés

Au-delà de son cas personnel, Joël s’inquiète pour les personnes indirectement visées, les PADR, sans statut de prévenu, mais néanmoins surveillées. «Elles ne sont pas protégées par les droits procéduraux. Ça veut dire que les procureurs peuvent mener une enquête les concernant, en fouillant assez librement dans leurs vies, sans être inquiétés», s'inquiète le porte-parole d'XR Genève. En effet, une surveillance rétroactive des appels et des messages de la maman d’une PADR a été effectuée. 

Pour Joël, la logique de l’enquête dépasse la simple vérification de sa responsabilité. «Ça aurait eu du sens si tous ces actes d'enquête cherchaient uniquement à confirmer la culpabilité de la personne prévenue... Or, là, il y a eu clairement une recherche d’autres accusés, sans que ces personnes appelées à donner des renseignements ne soient protégées.»

La confrontation entre la défense et le Ministère public autour des données saisies n’est pas terminée. Si le TMC a tranché une première fois, le dernier mot reviendra probablement au Tribunal fédéral, déjà saisi par l’avocat de Joël.

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