Alberto Mocchi quitte ses fonctions
«Pour avoir la paix, je devais éviter une rue de mon village»

Alberto Mocchi, figure écologiste vaudoise, quittera sa fonction de syndic du village de Daillens le 31 août prochain. Celui qui est par ailleurs député au Grand Conseil dénonce un climat politique toujours plus agressif. Interview.
Publié: 19:15 heures
Partager
Écouter
Alberto Mocchi quittera sa fonction de syndic de Daillens fin août 2025.
Photo: Blaise Kormann
ANTOINE ZOOM (1).png
Antoine Hürlimann
L'Illustré

C’est un phénomène sans précédent en France. Depuis leur élection en 2020, environ 2200 maires ont rendu leur écharpe. Difficultés à faire aboutir les projets, tensions et agressivité croissante… les raisons sont multiples. Une réalité inquiétante à mille lieues de la Suisse? Pas si vite.

Il y a quelques semaines, le syndic socialiste d’Yverdon-les-Bains, Pierre Dessemontet, annonçait à nos confrères du «Temps» qu’il ne se représenterait pas aux prochaines élections. L’édile tirait la sonnette d’alarme et dénonçait un climat politique exécrable dans les murs de la deuxième ville du canton de Vaud.

A en croire Alberto Mocchi, syndic de Daillens (VD), député au Grand Conseil et ancien président de la section vaudoise des Vert-e-s, une tendance préoccupante se dessine. Cette figure écologiste de 38 ans quittera l’exécutif de «son» village du Gros-de-Vaud le 31 août prochain. Lui aussi pointe du doigt «des dérives» et appelle à une prise de conscience rapide pour préserver la vitalité de notre démocratie.

Alberto Mocchi, après le retrait surprise du syndic d’Yverdon-les-Bains, voici maintenant votre démission. Le climat politique est-il pourri à ce point dans nos villes et villages?
D’abord, dans mon cas, ma démission s’explique avant tout par une charge de travail importante à côté de mon mandat de syndic de Daillens et par le fait que je suis récemment devenu père. Après, il est vrai que certaines dérives et une agressivité croissante en lien avec la politique locale m’ont également poussé dans cette direction.

Subissez-vous le même genre d’attaques que vos collègues de la capitale du Nord vaudois?
A Yverdon-les-Bains, la situation était particulièrement tendue lors de la dernière campagne, notamment sur les réseaux sociaux. Nous avons assisté à une personnification des enjeux, particulièrement en ce qui concerne le deal de drogue, et – chose particulièrement grave à mes yeux – à la recherche de boucs émissaires. Sans prise de conscience générale, ces manières de faire cavalières à la Donald Trump pourraient devenir la norme. Je n’ai personnellement pas vécu de choses aussi dures. Néanmoins, à la suite d’un climat de travail que nous estimions particulièrement virulent, la municipalité a décidé de faire intervenir le préfet pour qu’il rappelle le cadre adéquat à des commissions du Conseil communal. Je n’aurais jamais pensé cela nécessaire.

«
L’agressivité que je mentionnais précédemment, en lien avec ma fonction de syndic, se ressentait aussi dans ma vie privée
Alberto Mocchi
»

Qu’une commission fasse son travail avec vigueur et pousse un exécutif dans ses retranchements, est-ce vraiment un problème? C’est le propre de notre politique de compromis. Si une personne finit par faire un pas dans notre sens, c’est souvent parce qu’on lui a préalablement brisé le genou opposé.
Je ne partage pas complètement votre vision, même si les rapports de force sont effectivement essentiels en politique. Dans le cas qui était le nôtre, la limite de la confrontation musclée mais acceptable était, aux yeux de la municipalité, clairement dépassée. Plus généralement, l’agressivité que je mentionnais précédemment, en lien avec ma fonction de syndic, se ressentait aussi dans ma vie privée. Peu importe son camp: personne ne devrait avoir à vivre cela.

Pouvez-vous donner un exemple concret des désagréments que vous évoquez?
Nous avons dû faire face à un habitant pour le moins compliqué. Disons que j’ai eu personnellement affaire à lui.

Pouvez-vous expliciter?
Il s’agit d’un vrai quérulent. Ce dernier m’insultait à chaque fois que je passais devant chez lui. Je suis un politicien local et un député au Grand Conseil de milice. Cela signifie qu’en plus de ma vie de famille, j’ai un travail à côté. A la fin de la journée, si je voulais avoir la paix, je devais éviter la rue de mon village dans laquelle habitait ce monsieur, faute de quoi c’étaient des insultes et des engueulades gratuites. C’est surréaliste et pourtant… Des exemples de ce genre, moins extrêmes certes, mais aussi de propos agressifs ou blessants, j’en aurais bien d’autres, malheureusement.

«
Cela m’inquiète pour la vitalité de notre démocratie
Alberto Mocchi
»

Cette réalité difficile, estimez-vous qu’elle se ressent à tous les niveaux politiques?
Les fronts se durcissent, c’est certain. Dans le canton de Vaud, le rôle de syndic est particulier. Les habitantes et habitants pensent souvent que le syndic est un chef qui a les pleins pouvoirs. En cas de problème, peu importe sa nature, c’est à lui qu’ils veulent parler. Cette fonction cristallise l’attention et les tensions. Mais, en discutant avec des collègues d’un peu partout, j’ai remarqué que tout le monde, ou presque, faisait le même constat. Cela m’inquiète pour la vitalité de notre démocratie.

Que faire pour remédier à la situation que vous décrivez?
C’est une bonne question. Dans l’absolu, il est évidemment positif que les figures d’autorités puissent être critiquées. Dans un passé pas si lointain, l’instituteur, le pasteur ou encore le syndic pouvaient dire et faire tout ce qu’ils voulaient. C’est bien que tout ce petit monde soit redescendu de son piédestal. J’ai toutefois le sentiment que nous basculons progressivement dans l’autre extrême. Alors que les élus étaient autrefois excessivement respectés, ils deviennent la cible de toutes les frustrations. Il y a un équilibre à trouver. Si nous n’y parvenons pas, je suis convaincu que les bonnes volontés qui accepteront de s’engager pour la collectivité se feront de plus en plus rares.

Vous siégez dans un exécutif et dans un législatif. La problématique est-elle la même dans ces deux configurations?
Nous sommes davantage exposés dans un exécutif. Et c’est normal. C’est la fonction qui veut cela. Dans un législatif, nous sommes un peu noyés dans la masse et ce n’est pas directement de nous que dépendent les décisions. Ceci dit, l’actualité nous a montré à plusieurs reprises que des conseillères et conseillers nationaux avaient reçu des courriers d’insultes et de menaces. Plus personne n’est épargné.

Au moment de quitter votre engagement local, avez-vous un pincement au cœur?
Oui, même si, une fois encore, je souhaite insister sur le fait que je ne pars pas uniquement parce que le climat politique se fait plus rude. Aujourd’hui, je n’ai pas le temps d’être à la fois un bon syndic, un bon père et un bon employé. Si vous regardez mon parcours, j’ai fait partie de quasiment toutes les sociétés locales de Daillens. La politique était un prolongement logique de mon engagement pour ma commune. Alors c’est une page qui se tourne avec émotion, c’est certain. Je ne veux cependant pas être défaitiste et continue de croire qu’il y a encore un avenir pour une politique de milice où la proximité avec la population sera respectée et reconnue pour ce qu’elle apporte. C’est, quoi qu’on en dise, le meilleur des systèmes.

Un article de «L'illustré» n°29

Cet article a été publié initialement dans le n°29 de «L'illustré», paru en kiosque le 17 juillet 2025

Cet article a été publié initialement dans le n°29 de «L'illustré», paru en kiosque le 17 juillet 2025

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la