Les entretiens exploratoires de la Suisse avec l’Union européenne (UE) battent leur plein. Dès la fin du mois de juin, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis veut présenter les grandes lignes d’un nouveau mandat de négociation.
C’est justement à ce moment-là que Livia Leu commencera à quitter le navire. Mercredi, la négociatrice en chef de l’UE a annoncé sa démission. Elle veut encore terminer les sondages avant de s’en aller. En automne, elle deviendra ambassadrice à Berlin.
«Un travail d’usure»
Pour la troisième fois, Ignazio Cassis cherche un nouveau chuchoteur pour les affaires européennes. «Le ministre des Affaires étrangères brûle des secrétaires d’État à tour de bras, critique un membre du Parlement. C’est effrayant.»
Le poste de négociateur en chef de l’UE a pourtant de quoi séduire. «C’est un travail d’usure», déclare le conseiller aux États libéral-radical Damian Müller. Ce dernier prend d’ailleurs la défense de son collègue de parti et trouve la pique injustifiée: «Le dossier est traité par la division Europe expérimentée du Département des affaires étrangères, la responsabilité incombe à l’ensemble du Conseil fédéral.»
Et celui-ci est critiqué de toutes parts. «Le Conseil fédéral ne fait pas son travail», estime le conseiller national socialiste Fabian Molina. C’est pourquoi le départ de Livia Leu ne change pas vraiment la situation de départ. «La Suisse ne sait pas ce qu’elle veut. C’est pourquoi il ne faut pas non plus attendre de miracle du successeur [au poste de Secrétaire d’État].»
De fausses déclarations d’Ignazio Cassis?
Qui va reprendre le flambeau? Selon le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), l’aptitude, les connaissances, l’expérience, les compétences et la situation familiale des candidats comptent. Seule une poignée de candidats entre en ligne de compte pour le poste de direction à Bruxelles.
Actuellement, c’est le nom d’Alexandre Fasel qui revient le plus souvent. Ce Fribourgeois a vécu le Brexit en tant qu’ambassadeur à Londres. En 2020, il voulait prendre la tête de la mission suisse auprès de l’UE à Bruxelles. Alexandre Fasel était considéré comme un candidat très sérieux. Pourtant, lorsque l’ensemble du Conseil fédéral a voulu procéder à sa nomination, Ignazio Cassis a fait savoir qu’Alexandre Fasel n’était pas du tout intéressé et qu’il préférait devenir ambassadeur au Caire.
Sauf que cela n’était pas vraiment le cas… Une situation qui n’est pas sans avoir provoqué des remous dans les milieux diplomatiques. Ignazio Cassis a été la cible de nombreuses critiques. Certains ont même parlé de «mobbing» ou de «stalinisme». Livia Leu, qui venait de prendre ses fonctions de négociatrice en chef de l’UE, s’est également retrouvée dans le collimateur. Car le DFAE a déclaré franchement: «Il va de soi que la nouvelle secrétaire d’État a participé à la désignation du chef de mission à Bruxelles.»
Des successeurs un peu trop pro-UE?
Ainsi, en 2021, Alexandre Fasel n’est pas parti pour Bruxelles, mais pour Genève, où il sert depuis lors en tant que «conseiller spécial pour la diplomatie scientifique». L’ambassadrice de l’UE a en revanche été Rita Adam, juriste, travaillant depuis 24 ans pour le DFAE. De 2014 à 2018, elle a été ambassadrice en Tunisie, puis à Rome. Mais en Italie, elle n’est restée – chose inhabituelle – que deux ans avant qu’Ignazio Cassis ne l’envoie à Bruxelles.
Et aujourd’hui, Alexandre Fasel et Rita Adam sont à nouveau pressentis pour le même poste. «Sur le plan professionnel, tous deux sont incontestés», déclare le conseiller national UDC Franz Grüter, président de la Commission de politique extérieure du Conseil national. «On peut toutefois se demander s’ils ne sont pas un peu trop pro-UE.»
Pour le conservateur, Livia Leu s’est battue avec fermeté pour les intérêts de la Suisse en tant que secrétaire d’État. «Elle a toujours dit clairement ce que la Suisse voulait et ce qu’elle ne voulait pas». Livia Leu ne s’est pas laissé courber à Bruxelles, affirme Franz Grüter. «Cela doit aussi s’appliquer à ses successeurs: ils doivent porter le chapeau suisse.»
On ne sait pas dans quelle mesure cela s’applique à Monika Schmutz Kirgöz. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est une candidate à prendre au sérieux. La politologue est entrée au DFAE en 1996, est devenue consule générale à Istanbul en 2011 et ambassadrice au Liban en 2017. De là, elle a fait un grand saut en 2021 – à Rome, où elle a hérité de Rita Adam.
Relations compliquées avec les diplomates
Le point commun d’Alexandre Fasel, Rita Adam et Monika Schmutz Kirgöz? Ce sont tous les trois des diplomates. «C’est leur point faible, estime un conseiller national sans ironie aucune. Cassis déteste les diplomates.» En effet, sous l’égide d’Ignazio Cassis, le nombre de départs dans le corps diplomatique a été supérieur à la moyenne. Les plaintes des émissaires sont régulièrement rendues publiques.
«L’idée que quelqu’un qui ne vient pas de la diplomatie devienne négociateur en chef n’est pas absurde», estime Franz Grüter. Le conseiller national fait référence à l’ancien manager de Schindler, Uli Sigg, devenu ambassadeur en Chine en 1995. «Le négociateur en chef de l’UE doit pouvoir mener des négociations difficiles, pointe le membre de l’UDC. Cela pourrait aussi être quelqu’un issu de l’économie.»
Ou un ancien chef des services de renseignement: le nom du secrétaire général du DFAE Markus Seiler se fait également entendre dans toute la Berne fédérale ces jours-ci. «Cassis aimerait bien envoyer Seiler à Bruxelles, assure un membre du Parlement. Les diplomates lui tapent sur les nerfs. Seiler, en revanche, est d’une loyauté sans faille.»
Ce n’est pas une idée absurde, soutient Franz Grüter. «Seiler est très intelligent et analytique. En outre, il aurait l’indépendance nécessaire.»
Une succession déjà sous pression
Il faudrait toutefois que le principal intéressé soit d’accord. «Markus Seiler n’est pas disponible», fait savoir le DFAE. Mais le secrétaire général du DFAE a bel et bien quelque chose à voir avec la succession de Livia Leu: «Il dirige la commission de recherche», annonce le département des affaires étrangères.
Alexandre Fasel, Rita Adam, Monika Schmutz Kirgöz – ou finalement un non-diplomate? Une chose est sûre: le successeur de Leu sera immédiatement sous pression. L’UE souhaite conclure les négociations d’ici à l’été 2024. «Mais ce n’est pas réaliste, argue Franz Grüter. Un éventuel accord doit d’abord passer par le Parlement, puis être soumis aux électeurs. Cela prendra au moins deux ans.»
Le successeur de Livia Leu sera-t-il encore en place à ce moment-là? «C’est un travail de kamikaze, compare Franz Grüter. L’un des mandats les plus difficiles qui soient.»