Peut-on qualifier l’UDC de raciste, xénophobe et homophobe lorsqu’on est un artiste engagé? Telle est la question qui était portée devant le Tribunal de Sion, ce mardi 18 novembre. Le procès s'annonçait singulier, avec deux avocats fortement politisés de part et d'autre: à la défense, l'ancien conseiller d'Etat socialiste vaudois Pierre Chiffelle. Et, mandaté par les plaignants, le conseiller national UDC Jean-Luc Addor, lui-même condamné en 2020 pour discrimination raciale et incitation à la haine.
Les deux artistes prévenus répondaient de diffamation, voire de calomnie. Le premier est l’auteur d’une grille de mots-croisés «subversive» publiée dans le quotidien valaisan «Le Nouvelliste» le 18 novembre 2023, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’association faîtière des arts visuels Visarte. A la définition «parti politique suisse raciste, xénophobe, homophobe, antiféministe, antiécologiste, antipauvre, nationaliste», les lecteurs devaient répondre avec l’acronyme de la formation politique.
Ministère public absent
Le second, curateur dans le cadre de cet événement, avait défendu publiquement la position du premier ainsi que son travail. Fin 2023 et début 2024, l’UDC du Valais romand (UDCVR) avait déposé plainte contre les deux artistes, soulignant notamment que les griefs de racisme et d’homophobie se rapportent à une infraction pénale.
La procureure, qui n'était pas présente à l'audience, requiert pour chacun d’entre eux une peine pécuniaire de trente jours-amende avec sursis durant deux ans, ainsi qu’une amende de 300 francs.
Les deux prévenus ont maintenu leur position devant la cour. Nicholas Marlof, curateur, estime que l’idéologie d’un parti transparaît à travers «les campagnes et les actes de ses représentants», et non pas via ses statuts. La défense met ainsi en avant de nombreux articles traitant de la position de l'UDC sur les thématiques soulevées dans la grille de mots-croisés, qui attesteraient de la bonne foi des deux artistes. Elle rappelle également que plusieurs membres de l’UDC ont été condamnés pénalement pour racisme.
Espaces de réflexion
Auteur de la grille incriminée, Leo Thiakos a expliqué vouloir créer des espaces de réflexion, en tant que citoyen et artiste. Il craint la «banalisation d'une mentalité fasciste dans nos sociétés occidentales», amenant à «une restriction des libertés individuelles», la désignation d'un «ennemi intérieur» et la «peur des étrangers.» Il se dit prêt à faire de la prison pour défendre ses idées.
Avocat de l'UDCVR, Jean-Luc Addor a estimé que le but des prévenus était de «discréditer l’UDC du Valais romand et faire passer cette section pour un parti extrémiste, infréquentable et qui agirait en dehors de la loi.» Selon lui, «cela dépasse la limite de ce qui est acceptable dans un discours, qu’on le qualifie de politique ou artistique.» Il a ajouté que l'UDC s'engage «pour défendre les Suisses, mais aussi tous les étrangers qui travaillent à la prospérité de notre pays», sans «distinction de race ou de nationalité».
Au sujet de la qualification d'homophobie, Jean-Luc Addor a ajouté que «l'UDC du Valais romand a dans ses rangs des homosexuels, qui sont même parfois des amis personnels.» L'avocat a en outre mis en avant le fait que «Le Nouvelliste» s'est distancié de la publication incriminée et a présenté ses excuses à l'UDC.
Campagne des «moutons noirs»
Quant à Pierre Chiffelle, qui assurait la défense, il a rappelé que les mots-croisés incriminés étaient «clairement désignés comme subversifs.» Citant les campagnes marquantes de l'UDC, comme celle des «moutons noirs» en 2007, il a ajouté que la «polémique agressive » et «l’outrance» étaient selon lui «le mode d’expression public préféré» du premier parti de Suisse, lequel «joue aujourd'hui les offusqués».
L'avocat a par ailleurs souligné que «le racisme n’est pas un délit en soi, c’est l'incitation à la haine ou à la discrimination qui en est un. » Pierre Chiffelle estime enfin qu'il faut «protéger le droit des artistes engagés à dénoncer les germes d'idéologies nauséabondes et les dérives d’un capitalisme sans scrupule».
Sur fond de montée des extrêmes droites en Europe, Pierre Chiffelle aurait voulu un débat de fond sur la liberté d'expression, avec notamment le témoignage à la barre du dessinateur de presse Patrick Chappatte – ce qui lui a été refusé par la cour. Au final, le sujet aura été traité comme «une petite affaire pénale», relève l'avocat de gauche en sortant du tribunal. Le verdict sera rendu d'ici à la fin du mois.