Certains PLR réclament sa démission!
Pourquoi Karin Keller-Sutter est en train de perdre son propre parti

La présidente sortante de la Confédération encaisse beaucoup de coups durs, y compris de la part de ses collègues de parti. Mais elle n'entend pas partir pour autant. Bien au contraire.
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La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter fait face à de nombreux vents contraires au Parlement.
Photo: Keystone
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Reza Rafi

Les rumeurs sont en quelque sorte le carburant de la politique. A Berne, elles servent à freiner ou à accélérer des dossiers, à affaiblir des responsables et même écarter des candidats. Les médias, eux, profitent allègrement de ces bruits de couloirs.

En ce moment, nombre d'entre eux visent la ministre des Finances Karin Keller-Sutter. La conseillère fédérale du Parti libéral-radical (PLR) découvre ce que signifie passer du rôle de chasseuse à celui de proie. Avant son année présidentielle – qui prendra fin le 31 décembre prochain – elle était considérée comme une figure incontestée de la politique fédérale et de son propre parti. 

En 2023, Blick la décrivait comme la «marraine du PLR». Ses adversaires, eux, donnaient du grain à moudre aux journalistes en assurant que Karin Keller-Sutter et Albert Rösti – son collègue de l'Union démocratique du Centre (UDC) – avaient pris la tête d'un «bloc bourgeois» ultra-dominateur face à la minorité de centre-gauche. D'aucuns désignaient même – avec une rare amnésie historique – les ministres du PLR et de l'UDC de «bande des quatre», un terme pourtant associé à un groupe de meurtriers ayant sévi dans la Chine de Mao Zedong.

Rumeurs folles sur son mari

Il y a un an, le duo de choc formé par Karin Keller-Sutter et Albert Rösti avait poussé Viola Amherd à quitter la tête du Département de la défense (DDPS). Mais aujourd’hui, alors que l’année présidentielle de Karin Keller-Sutter touche à sa fin, on ne fait plus mention d'un quelconque bloc bourgeois hégémonique.

La ministre doit désormais composer avec des rumeurs invraisemblables: on a par exemple pu entendre que son mari attendait impatiemment qu’elle quitte enfin son poste pour lui. Un véritable fantasme, dont il convient maintenant de savoir à qui il profite.

Plus délicat encore: certains cadres du PLR ont laissé entendre en interne qu’ils souhaiteraient la voir démissionner d’ici au début de la nouvelle année. Ce calcul viserait avant tout à préserver le siège alémanique du parti, au cas où le Centre ravirait au PLR son second siège au Conseil fédéral après les élections de 2027. Un scénario qui, avec la configuration actuelle, ferait du Tessinois Ignazio Cassis le seul représentant de la droite libérale au gouvernement.

Or, les prétendants alémaniques ne manquent pas, qu'il s'agisse des conseillers aux Etats Thierry Burkart et Petra Gössi (qui ont tous deux dirigé le parti), de l’ancienne présidente du Conseil national Maja Rinike, de la coprésidente actuelle Susanne Vincenz-Stauffacher, ou encore du sénateur Damian Müller.

Les Zurichois ont désamorcé la «Lex UBS»

Selon plusieurs sources, Karin Keller-Sutter n’a pas du tout réagi comme ses adversaires l’espéraient. Elle aurait martelé son intention de rester en fonction, par devoir envers la population et dans l’intérêt du pays. «KKS» est de celles qui se renforcent dans la tourmente. Et quitter la scène après une année marquée par les critiques sur sa gestion conflit douanier, ce n’est pas son style.

Avoir des ennemis dans son propre camp n’a rien de nouveau en politique, mais pour Karin Keller-Sutter, les obstacles venant de l'intérieur se multiplient. Elle avait déjà été très irritée au printemps dernier par les libéraux zurichois, qui avaient joué un rôle clé dans l’affaiblissement de la régulation Too big to fail au bénéfice d'UBS.

Les tensions ont atteint leur paroxysme cette semaine, lorsque le très bourgeois gouvernement cantonal zurichois s’est rangé du côté du géant bancaire helvétique, avec un message clair: le Canton profite de sa place financière, tandis que la Confédération assume les risques. Une posture face à laquelle «KKS» ne peut se contenter de rester les bras croisés.

Des battons dans les roues

Le paquet de mesures visant à réduire drastiquement les dépenses de la Confédération – autre projet phare de la ministre des Finances – a lui été tellement remanié par les groupes d’intérêts et les lobbyistes au Parlement qu’il en est devenu méconnaissable. Ce remaniement en profondeur également été rendue possible par le soutien actif de plusieurs élus PLR, surtout au Conseil des États.

Ainsi, la réduction de 19 millions de francs des fonds alloués à des «dinosaures médiatiques» comme Swissinfo ou 3sat a été bloquée grâce, entre autres, à des voix et à des abstentions dans le camp libéral-radical. Le mystérieux «fonds de développement régional», un instrument au nom séduisant, constitue un autre exemple parlant. Destinée à renforcer les régions périphériques en soutenant des projets innovants, cette enveloppe d'un milliard de francs ne peut même pas être entièrement utilisée, et pourtant une majorité a obtenu que la Confédération continue d’y injecter chaque année des millions.

La «Dame de fer» n'a pas dit son dernier mot

Que les partisans de la dépense publique, à gauche comme au centre, s’opposent à sa suppression n’a rien d’étonnant. Mais voir des représentants du PLR prendre part à ce mouvement, eux qui défendaient autrefois le slogan «Moins d’Etat, plus de liberté», a de quoi irriter la gardienne en chef du frein à l’endettement. Cette versatilité doctrinale du PLR s’ajoute à la longue liste des défis auxquels la ministre doit faire face.

Karin Keller-Sutter perd en influence jusque dans son propre camp, notamment depuis que son proche allié Thierry Burkart a quitté la présidence du parti. Mais la Saint-Galloise est tenace. En privé, elle aurait déjà confié son admiration pour la légendaire Première ministre britannique Margaret Thatcher. La «Dame de fer» avait mené une politique de libéralisation radicale et encaissé critiques et hostilités avec un sang-froid resté célèbre.

Notre «Dame de fer» à nous s’apprête désormais à remettre la présidence de la Confédération à son collègue Guy Parmelin. Le ministre de l’Economie est au sommet de sa carrière. Karin Keller-Sutter l'était avant d'entamer son année présidentielle. Un an plus tard, la voilà contrainte de laisser passer l'orage. Et elle a l’endurance nécessaire pour y parvenir. Les rumeurs? Pour elle, ce n’est que du bruit.

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