Quel est le niveau de français des élèves en Suisse alémanique à la fin de leur scolarité obligatoire? La réponse est claire, il est mauvais. Ou du moins, loin d’être satisfaisant. C’est ce que révèle une nouvelle étude commandée par la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP).
Les résultats sont catastrophiques: un peu plus de la moitié seulement des élèves de 9e année atteignent les exigences minimales en compréhension écrite et orale en français, langue étrangère. À titre de comparaison, ils sont environ 80% à atteindre ce niveau en anglais.
Arrêter l'enseignement précoce du français?
Ce constat risque de raviver le débat politique, déjà intense, sur la stratégie linguistique à l’école. Même la faitière des enseignants suisses (LCH) ne considère plus l’enseignement de deux langues étrangères dès le primaire comme un principe intangible, comme l’affirme sa présidente Dagmar Rösler dans l’entretien qu’elle nous a accordé. Et ce n’est pas tout: pour la première fois, la principale représentante du corps enseignant remet ouvertement en question l’introduction précoce du français, pourtant déjà fortement contestée.
Dagmar Rösler, les connaissances en français des élèves suisses alémaniques sont catastrophiques. Qu'est-ce qui ne va pas?
Il nous faut procéder à une analyse rigoureuse pour le découvrir. Les résultats sont inquiétants et indiquent qu'il faut réfléchir à des adaptations.
Qu'est-ce qui doit changer?
Il est trop tôt pour le dire. Lorsque les cantons ont décidé en 2004 d'enseigner deux langues étrangères dès l'école primaire, ils ont fixé des objectifs terriblement ambitieux. Avec le niveau de langue que les élèves devaient atteindre à la fin de la 9e année scolaire, on a trop promis à la société et à la politique. En revanche, l'association faitière des enseignants suisses a toujours mis en garde contre la création d'attentes trop élevées. En effet, au vu des circonstances actuelles dans les salles de classe, aucun miracle n'a pu et ne peut être réalisé. Les résultats des tests le confirment.
Il est facile de dire maintenant que l'on a toujours su. L'association des enseignants a toujours défendu la stratégie des deux langues étrangères à l'école primaire.
En même temps, l'association a toujours clairement indiqué que la stratégie ne pouvait être efficace que dans des conditions clairement définies. Avec deux ou trois leçons par semaine, sans demi-classes ni groupes de niveau, les objectifs élevés de l'enseignement du français ne peuvent pas être atteints.
Pourquoi pas?
Un bon enseignement des langues étrangères implique que les élèves soient beaucoup en action. Les enfants doivent parler le plus possible, lire beaucoup, écouter beaucoup de choses dans la langue étrangère. Avec parfois 25 enfants dans une classe, il est difficile pour chacun d'avoir suffisamment la parole. Tout cela peut sembler être des excuses…
...parce que les mêmes conditions s'appliquent aussi à l'enseignement de l'anglais. Mais les élèves y réussissent bien mieux.
C'est pourquoi l'enseignement du français devrait à l'avenir être traité différemment de celui de l'anglais.
Que voulez-vous dire?
Les élèves sont aussi souvent en contact avec l'anglais dans la vie quotidienne et pendant leurs loisirs, sur les services de streaming, dans les réseaux sociaux, dans la musique. L'accès et le rapport au français sont moins évidents, bien qu'il s'agisse d'une langue nationale. C'est alarmant, car il en va aussi de la cohésion des communautés linguistiques en Suisse. Nous devrions donc aussi parler de la motivation des élèves lorsqu'il s'agit d'apprendre le français.
Pouvez-vous cela?
C'est un fait que les élèves sont moins motivés dans l'enseignement du français, surtout à l'adolescence. Il faut souvent beaucoup d'énergie aux enseignants pour motiver les élèves à s'investir dans les cours. Ce faisant, je doute que les enseignants conçoivent l'enseignement du français de manière fondamentalement différente. Le français n'est pas moins bien enseigné que l'anglais! Les enseignants s'investissent quotidiennement et avec beaucoup d'engagement pour un enseignement réussi des langues étrangères.
Que faire alors contre la démotivation? Le français, comme les mathématiques, est de plus en plus considéré comme une matière haïe.
Beaucoup de choses sont déjà faites pour établir un lien avec la langue nationale. De nombreuses écoles ont des échanges avec des écoles de Suisse romande, on organise des camps et des voyages scolaires dans la partie francophone de notre pays, on entretient des relations épistolaires avec des classes francophones. Il ne faut pas oublier que la langue française est difficile à apprendre, surtout au début.
Avec les mauvais résultats des tests, la pression politique sur l'enseignement précoce du français va encore augmenter. A juste titre?
Il faut discuter sérieusement de l'attitude future à adopter vis-à-vis de l'enseignement des langues étrangères. Pas seulement en politique, mais aussi au sein de notre association. Ce sera un processus intense, car la situation est très différente d'un canton à l'autre.
Il ne s'agit pas d'un engagement clair. Deux langues étrangères à l'école primaire, est-ce une de trop?
Nous entendons des enseignants dire que deux langues étrangères peuvent être trop exigeantes, surtout pour les élèves les plus faibles. Je peux comprendre que l'accumulation de devoirs en allemand, en mathématiques, en français et en anglais puisse être une charge pour les élèves du primaire, mais je mets en garde contre le fait de faire porter tous les problèmes sur les langues étrangères.
Bannir l'anglais de l'école primaire pourrait apporter un soulagement, et renforcer à nouveau la langue nationale, le français.
La question de savoir si une langue nationale suffit au niveau primaire est désormais en débat. Deux langues étrangères ne restent justifiées que si les cantons prennent des mesures qui permettent d'atteindre des objectifs élevés. Sinon, une réorientation des objectifs de la stratégie des langues de la Conférence des directeurs de l'instruction publique doit être discutée ouvertement.