C’est Mike Horn lui-même qui m’accueille, ce jeudi matin, à Château-d’Œx. Enfin… son portrait, peint sur l’un des murs du souterrain qui mène au parvis de la gare de la commune vaudoise, perchée à 958 mètres d’altitude. Toutes les personnes qui sortent du train passent immanquablement sous son regard, dont la détermination le dispute à la tendresse.
Pas besoin de lire son prénom ni son nom, inscrits en lettrage blanc, pour reconnaître les traits dessinés du très médiatique aventurier né en 1966 en Afrique du Sud, en plein apartheid. Il est ici chez lui, quasi depuis son arrivée «hasardeuse» en Suisse, en 1990, et fait la fierté des habitantes et habitants de la région depuis des décennies. La bombe incendiaire lâchée par mes confrères de «Temps Présent» l’a-t-elle amoché?
Des faits d’armes… troubles
Revenons d’abord à ce 19 janvier. Mike Horn, qui n’a jamais caché son passé militaire, se débat face aux caméras de la RTS. Confronté à un travail d’investigation qui ne souffre d’aucune approximation, il reconnaît avoir rejoint volontairement le sanguinaire bataillon 101, lors de son service militaire obligatoire en Afrique du Sud, alors qu’il n’avait pas 20 ans.
Le bataillon 101? «Une unité de contre-insurrection spécialisée dans la traque et l’élimination de l’ennemi», rappelait ce mardi la députée socialiste Jessica Jaccoud, dans une interpellation dévoilée en primeur par Blick, le 24 janvier. Un texte qui questionne le rôle de Mike Horn au sein de Vaud Promotion, organe qui a pour but d’accroître la notoriété, la compétitivité et l’attractivité du plus grand canton romand.
Pire: cette tristement célèbre unité était réputée pour son efficacité, sa brutalité et sa cruauté. «On y pratiquait des chasses à l’homme grandeur nature et des exécutions de civils et d’insurgés, relevait encore l’élue au Grand Conseil. Ses membres pouvaient fusiller les ennemis, voire leur rouler dessus grâce à leurs blindés légers.»
Dans le reportage de «Temps Présent», Mike Horn assure d’abord qu’il a pris cet engagement — soit la traque d’insurgés namibiens pour le compte d’un régime raciste — comme une bonne expérience, parce que cela l’a formé comme aventurier. Avant de, finalement, préciser sa pensée. Il affirme alors, dans une prise de position ultérieure, n’avoir jamais soutenu l’apartheid et regretter «d’avoir participé à ces opérations, bien [qu’il] assume parfaitement tout ce [qu’il a] fait dans sa vie».
Qu’en pense-t-on à Château-d’Œx?
Malgré ce semi-rétropédalage, le mal est-il fait? Le passif guerrier trouble de la star des plateaux télé, suivie par plus de deux millions de followers sur les réseaux sociaux, a-t-il fini par lui exploser au visage? C’est ce que j’ai voulu savoir en me rendant dans son fief, capitale de la montgolfière en milieu alpin de 3500 âmes, qui vit actuellement au rythme de la 43e édition du festival international de ballons.
Plantons le décor. Le centre de la localité «d’en haut» a des allures de Gstaad, en cette période festive. Un couple — anglophone — traîne ses diamants à l’annulaire et pousse sa valise Louis Vuitton à quatre roulettes. Derrière, des Italiens tout en fourrure profitent du soleil éclatant, bien au chaud malgré le thermomètre qui gèle. La rue centrale est formidablement animée. Tant mieux: les personnes à interroger ne manquent pas.
Oui, mais — car il y a un gros «mais». Je vais très vite comprendre qu’ici, on ne touche pas au monstre sacré qu’est Mike Horn. Celui que tout le monde connaît de près ou de loin paraît n’avoir que des amies et des amis. Juste avant de tourner les talons, certains me vantent, en quelques syllabes et sur un ton sec, «sa générosité». D’autres, «sa simplicité, sa sincérité». Je les relance systématiquement: l’image idéale que vous vous faites du binational a-t-elle été émaillée par l’enquête de «Temps Présent»? «No comment», me répondent en substance celles et ceux qui font l’effort d’ajouter des mots à leur soupir.
Le silence est le maître mot
À Château-d’Œx, on s’interroge en silence, me résume un homme à peine plus verbeux, qui fume une cigarette devant le restaurant de l’Hôtel de Ville, banalement nommé «Le Bistrot». À ses côtés, trois copains ou collègues. «Bien sûr que les éléments de la RTS sur Mike posent des questions, mais ça n’est pas un sujet de discussion! Garde ta langue pour aller manger, tu perdras moins de salive.» Ok. Bon appétit et… au revoir.
À l’intérieur de l’établissement, même topo: il y a foule. Une cinquantaine de personnes dînent. Minimum. Une serveuse, très occupée, me dirige vers un couvert de l’arrière-salle. Elle se confond en excuses: une panne de wifi rend impossible tout paiement par carte et toute impression de quittance. Pas grave. Je commande le menu du jour à 19 francs — salade mêlée suivie d’un bœuf Stroganov accompagné de ses pommes duchesse — et je la laisse reprendre sa course endiablée. Je lui tirerai les vers du nez plus tard.
Comme pour renforcer le sentiment d’omerta qui règne sur la commune, le restaurant est bondé, mais on entendrait une mouche voler. Des chuchotements indéchiffrables s’échappent parfois des cliquetis nés de la rencontre des services en métal et des assiettes blanches, probablement en imitation porcelaine. Et encore: il faut tendre l’oreille.
Je me tourne discrètement vers mon voisin de table, toujours armé des mêmes questions. Ce retraité de Bex (VD) a ses habitudes dans le coin. De Mike Horn, il connaît la bête intrépide. Ses yeux s’illuminent: «Je l’ai toujours admiré! C’est un homme exceptionnel humainement et sportivement, ses exploits le démontrent. C’est toujours un homme exceptionnel, d’ailleurs.» Malgré ses présumés faits militaires pour le moins critiquables? «Dans la vie, tout le monde, y compris vous et moi, a des hauts et des bas. Allez, bonne suite de reportage!»
«Les gens ne sont pas surpris»
Encore un vent. J’attrape la serveuse, lui demande un expresso, et la supplie d’accepter de prendre un peu de hauteur: pourquoi tout le monde refuse de se prononcer sur celui qui fait l’actualité? «Détrompez-vous, les gens en parlent, il y a beaucoup de potins. Ils ne sont pas surpris.»
Comment ça? Personne n’est étonné par les actes qui lui sont reprochés? «Si, certains sont choqués. Mais globalement pas. Dans le sens où tout le monde sait que Mike est quelqu’un de très courageux et qu’il va toujours au bout de ce qu’il doit faire.» Elle gonfle le torse, contracte ses biceps et esquisse un large sourire: «Physiquement, il n’est pas tendre, c’est un dur. D’ailleurs, la dernière fois qu’il est venu ici et qu’il a voulu me dire bonjour, il a failli me casser deux côtes!»
Je règle la note par Twint et me dirige vers la gare, prêt à redescendre sur Lausanne. Par acquit de conscience, j’apostrophe une dernière personne, qui attend un bus. L’homme vient de Rougemont (VD). «J’ai entendu parler du 'Temps Présent' mais cela ne m’a pas donné envie de le voir.» Pourquoi? «Parce qu’on ne cause que de guerre ces jours et qu’on est coincé dans cette dualité entre les gentils qui font le bien et les méchants qui font le mal. Ça ne m’intéresse pas, c’est trop simpliste.»
Même quand ça concerne la star que lui aussi semble apprécier? «Il n’y a que Mike qui sache ce qu’il a fait. Et le passé, c’est le passé…» Il sursaute: «Vous ne m’avez pas enregistré, au moins?» Je le rassure: «Non, et personne ne pourra vous reconnaître, je ne vous ai même pas demandé votre nom.» «Je ne vous l’aurais de toute manière pas donné», me lance-t-il, en guise d’adieu.
Mike Horn restera toujours Mike Horn
Sur les rails du retour, un constat me prend aux tripes. Mike Horn serait lâché par Vaud Promotion et Suisse Tourisme, dont il est également l’homme-sandwich, honni par des politiques et une large partie de la société civile, que cela ne changerait rien.
À Château-d’Œx, on refuse de regarder la face d’ombre de l’ex-barbouze devenu, au fil du temps et des coups de main donnés de bon cœur et sans compter, «un gars bien de chez nous». Un membre de la famille qu’on aime d’un amour inconditionnel, malgré l’odeur nauséabonde de la poudre. Malgré le sang. Malgré l’horreur et, surtout, malgré la peine incommensurable des proches des victimes du bataillon 101 qui n’obtiendront jamais justice.