Beat Jans s'est-il trompé?
«Il faut faire comprendre aux Afghans qu'ils n'ont pas d'avenir en Suisse»

Depuis le début de l'année 2025, la Suisse ne peut plus expulser les criminels Afghans, car Kaboul les lui renvoie directement. Le conseiller fédéral Beat Jans doit-il négocier directement avec les talibans, comme semble le faire l'Allemagne?
Publié: 10:24 heures
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Dernière mise à jour: 10:40 heures
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Damian Müller, responsable de la politique migratoire du PLR, souhaite que la Suisse négocie avec les talibans.
Photo: Keystone
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Raphael Rauch

Le conseiller fédéral Beat Jans (PS) était tellement fier de sa nouvelle politique d'asile, mais rien ne s'est passé comme prévu. En octobre dernier, il a annoncé que la Suisse allait à nouveau expulser des criminels Afghans, pour la première fois depuis 2019. Hormis l'Allemagne, la Suisse est le seul pays européen à avoir réussi des expulsions vers Kaboul. Mais ce que Beat Jans ne nous a pas dit, c'est que depuis le mois de décembre, la situation est déjà chaotique.

Le dimanche 8 décembre 2024, des agents de la police cantonale vaudoise accompagnent un criminel afghan dans un avion de la Turkish Airlines à destination d'Istanbul. «Il a été placé seul dans un avion à destination de Kaboul. Son départ a été confirmé», détaillent les rapports du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) que Blick a pu consulter grâce à la loi sur la transparence.

L'homme a atterri comme prévu à Kaboul, mais les autorités afghanes ne l'ont pas laissé entrer dans le pays. «Pour des raisons que nous ignorons, les autorités afghanes ont refusé son retour, malgré les efforts du personnel du SEM», notent les fonctionnaires. Un collaborateur du SEM écrit: «Mon contact sur place n'a pas dit un mot concernant l'identité/la nationalité de l'homme renvoyé. Il n'y a donc aucun doute, car je lui ai transmis tous les documents concernant cette personne».

Kaboul fait la sourde oreille

Par téléphone, le SEM finit par apprendre que l'Afghan doit rentrer en Suisse, une décision incompréhensible pour le service: «En Suisse, il doit obtenir le document nécessaire auprès des autorités afghanes. Lorsque je leur ai demandé 'auprès de quelles autorités afghanes en Suisse?', ils ont du comprendre que nous n'avions pas d'autorités afghanes en Suisse. Il m'a ensuite dit qu'il devait en discuter à nouveau», raconte un collaborateur du SEM. 

Si Kaboul était encore prêt à faire des concessions l'automne dernier, à présent les talibans sont devenus plus durs en affaires. La demande de la Suisse de trouver un «laissez-passer» – un document de voyage qui aurait permis d'entrer dans le pays – est rejetée. Le collaborateur du SEM écrit à Berne: «Mon contact m'a informé qu'ils ne voulaient pas reprendre l'homme expulsé, même avec un laissez-passer du consulat général afghan. Je lui ai demandé de reconsidérer la question».

Retour volontaire ou involontaire?

Mais sans succès. L'Afghan reprend l'avion le lendemain pour Istanbul. La Suisse ne veut pas se laisser faire, «nous pensons avoir trouvé une solution», peut-on lire dans un autre document. Des représentants du consulat général afghan à Istanbul se seraient dit prêts à «délivrer un document de voyage en bonne et due forme, à condition qu'ils puissent passer demain un bref appel vidéo avec le rapatrié afghan. Au cours de cet appel, il devra déclarer qu'il retourne volontairement dans son pays d'origine, l'Afghanistan».

C'est le comble: un homme expulsé de Suisse contre son gré devrait affirmer avoir volontairement quitté le pays pour retourner en Afghanistan. Dans ce même document, le SEM explique pourtant clairement qu'il s'agit d'un «retour involontaire». En fin de comptes, le criminel afghan est bien monté dans un avion, mais pour retourner en Suisse, escorté par des fonctionnaires suisses venus exprès d'Istanbul.

Depuis cet échec d'expulsion vers Kaboul, aucun autre rapatriement n'a réussi. Le SEM explique: «Les autorités afghanes à Kaboul ont modifié leurs conditions d'entrée au cours des derniers mois. Le SEM examine actuellement ce que ces nouvelles conditions impliquent pour le retour des personnes sans papiers».

Un nouveau départ dans la politique afghane

Que tirer du bilan de Beat Jans en Afghanistan? Il a expulsé cinq criminels Afghans l'année dernière et une vingtaine d'autres attendent d'être expulsés. «Pour ces derniers, les préparatifs de rapatriement se poursuivent. Le SEM vérifie en permanence la mise en œuvre des renvois», souligne le service.

D'autres pays aussi ont aussi du mal à expulser des personnes vers l'Afghanistan. Mais la semaine dernière, l'Allemagne a réussi, grâce à la médiation du Qatar, à organiser un vol d'expulsion de Leipzig vers Kaboul. En contrepartie, Berlin a accepté que deux fonctionnaires consulaires, envoyés par le régime des talibans, renforcent l'ambassade afghane à Berlin et le consulat général d'Afghanistan à Bonn. Ces fonctionnaires devront participer à la gestion des futures expulsions.

Si l'Allemagne est parvenue à ses fins, la Suisse devrait y arriver aussi, estime Damian Müller (PLR), politicien en matière de migration. Il demande un nouveau départ pour la politique suisse en Afghanistan. «La plupart des migrants illégaux viennent d'Afghanistan. Il est temps que le SEM fasse de Kaboul une priorité absolue», déclare le conseiller aux Etats lucernois. «Je ne comprends pas pourquoi le SEM est sur place à Bagdad, mais pas à Kaboul. Le conseiller fédéral Beat Jans devrait réagir au plus vite s'il ne peut pas transférer le fonctionnaire du SEM d'Islamabad à Kaboul».

Damian Müller demande aussi des discussions directes avec les talibans. «Pour les rapatriements, nous avons besoin du feu vert des autorités sur place. Actuellement, les talibans sont incontournables, que cela nous plaise ou non. Nous devrions, à l'instar d'autres Etats, inviter des fonctionnaires consulaires afghans qui pourraient nous aider lors des expulsions. Et nous devrions renforcer notre personnel à Kaboul».

Damian Müller estime qu'il est «irresponsable» que la Suisse soit présente à Kaboul seulement pour l'aide au développement avec le bureau de la DDC. «Nous avons besoin de personnes qui s'occupent de la politique étrangère en matière de migration et qui fassent comprendre aux Afghans qu'ils n'ont pas d'avenir en Suisse». Damian Müller trouve «incompréhensible» que la DDC puisse «négocier l'aide humanitaire avec les talibans, mais pas le SEM de la réadmission des ressortissants afghans».

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