M6 s'intéresse à l'Helvétie
Pour la TV française, la Suisse est d'abord une forteresse

«Enquête exclusive» est l'émission vedette de la chaine française M6. Dimanche 18 septembre, celle-ci a fait escale en Suisse. Bienvenue dans un déluge de clichés.
Publié: 21.09.2022 à 11:29 heures
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Dernière mise à jour: 21.09.2022 à 17:20 heures
L'éloge caricatural de la Suisse sécuritaire et bien ordonnée: un miroir d'une France qui redoute le désordre et le chaos ?
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Attention, sortez vos parapluies rouges à croix blanche: une pluie de clichés va s’abattre sur vos têtes. Une pluie? Un orage plutôt, signé «Enquête exclusive», l’émission vedette de M6, la chaîne privée française qui vient par ailleurs d’annoncer l’abandon de son projet de fusion avec TF1, le géant du paysage audiovisuel hexagonal.

Impossible en effet de ne pas s’esclaffer, de ce côté-ci de la frontière, en regardant le reportage d’une heure diffusé dimanche 18 septembre sous le titre: «Nos étonnants voisins suisses». Bunkers, miliciens soldats tapis dans les montagnes et prêts à repousser l’ennemi, douaniers passés maîtres dans l’art de débusquer la viande achetée en France… La forteresse helvétique hier décriée pour son secret bancaire est présentée ici comme une sorte de cage alpine. Ne bougez pas: vous pourriez encourir une amende pour avoir fait un geste déplacé!

Brigade anti-crachats

Le commentaire est un peu exagéré? Possible. Il n’est pas question de geste déplacé, mais de brigade anti-crachats suivie dans les rues de Lausanne, et d’employés municipaux en embuscade, dès l’aube, pour débusquer le quidam coupable de placer ses déchets dans la mauvaise poubelle. Bien sûr, tout cela existe. Mais les journalistes de M6 ont décidé d’y consacrer leur film. La Suisse est membre de l’espace Schengen? Le nom est à peine prononcé. La Suisse vient d’appliquer les sanctions européennes contre la Russie, au risque de mettre sa sacro-sainte neutralité à l’épreuve? Ce basculement importe peu.

Mieux vaut filmer les fusils-mitrailleurs dans les armoires, les adolescents sur les stands de tir, et le sourire ravi des amateurs de cartouches en train de promettre qu’ils tireront «tant qu’ils le pourront» tout en jurant «ici, on n’est pas des cow-boys». On se demande pourquoi le yodel n’a pas été choisi en musique de fond, et pourquoi la fondue n’est pas servie au petit-déjeuner. La Suisse, si pittoresque, est une marmite montagnarde que M6 imagine au service d’une obsession unique: l’ordre qui doit, coûte que coûte, régner sur les bords de ses lacs.

Une prison dorée

Ne soyez pas étonnés si, demain, vos voisins français vous regardent l’air attristé, assorti de félicitations. Attristés, parce que vivre dans une telle prison dorée, où tout est quadrillé, ressemble vu de l’Hexagone à un calvaire soigné comme ces «minuscules villages» filmés sur les flancs des montagnes. Félicitations, parce que M6 raconte en fait, à travers la Suisse, l’envers des histoires qu'«Enquête exclusive» et son présentateur, Bernard de la Villardière, tournent d’ordinaire en France. Pas d’incivilités, à les en croire, sur les bords du Léman. Un civisme à toute épreuve qui transforme le pays en invincible hérisson défendu par des chars pilotés par des «monsieur tout le monde». Vus par ceux de Voltaire, les «descendants de Guillaume Tell» vivent au garde-à-vous. Ce qui, depuis les bureaux parisiens de M6 à Neuilly-sur-Seine, en périphérie de Paris toujours plus chaotique, ressemble il est vrai à une sinécure sur fond d’alpages.

On attend la RTS sur «Nos étonnants voisins français»

Il faudrait qu’un jour – mais peut-être qu’un tel reportage existe – la RTS se livre sur la France au même exercice. Transformer les clichés en évidences. Faire de l’anecdotique la règle. Bien s’assurer que les personnes filmées parlent toutes avec un lourd accent. «Nos étonnants voisins français» seraient peut-être un succès d’audience. A moins que les téléspectateurs suisses, familiers de cette France qu’ils connaissent presque par cœur, ne haussent les épaules et ferment leur téléviseur. En se disant qu’il vaut mieux en rire. Et laisser perdurer, puisqu’elles semblent distraire le grand public, les caricatures et les idées fausses.


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