Christoph Blocher, après le sauvetage de l'UBS en 2008, s'était battu pour que les grandes banques soient scindées. Oswald Grübel a dirigé à la fois l'UBS et le Credit Suisse. Jean-Pierre Danthine a été membre de la direction de la Banque nationale suisse de 2010 à 2015.
Tous trois ont un point commun: dans un entretien accordé au SonntagsBlick, ils affirment ne pas vouloir qualifier d'aide de l'État le fait que la BNS ait dû mettre 50 milliards de francs à disposition de Credit Suisse - bien que la grande banque n'aurait sans doute pas obtenu sur le marché libre les liquidités nécessaires pour honorer ses engagements.
«Ce que nous avons vu cette semaine n'était pas un sauvetage de l'Etat», affirme Jean-Pierre Danthine. Selon lui, la Banque nationale n'a fait que mettre des liquidités supplémentaires à la disposition de Credit Suisse et a reçu des garanties en échange. «C'est quelque chose de tout à fait normal pour une banque centrale», explique à son tour l'ancien vice-président de la BNS Thomas Jordan.
Oswald Grübel juge lui aussi que cette action n'a rien d'extraordinaire: «La BNS ne fait que remplir sa mission: elle stabilise le système financier suisse.»
Les petites banques n'ont pas ce soutien
Christoph Blocher rappelle également que la BNS a reçu des titres et des hypothèques en garantie de son injection financière. Il fait même espérer une fin heureuse pour la grande banque: «Credit Suisse devra un jour rembourser de tels prêts - intérêts compris.»
D'un point de vue purement formel, ces messieurs ont peut-être raison. Mais le sentiment de la population est un peu différent. Car ceux qui sont indépendants ou dirigent une PME en particulier le savent: ils doivent maîtriser leurs finances, sinon ils coulent.
Cela vaut également pour les petites banques régionales indépendantes comme la Spar ou la caisse de prêt de Wynigen. L'établissement financier de l'Emmental ne compte certes que 6,9 postes à temps plein, mais il existe depuis 1929, ce qui n'est pas une existence aussi longue que celle de Credit Suisse, dont les racines remontent à 1856. En revanche, la mini-banque dispose d'un ratio de fonds propres nettement plus élevé que la grande banque - et donc d'un coussin plus confortable en cas de problème.
Le ratio de fonds propres comme «assurance-vie»
«Nous avons un taux de fonds propres de 12%, explique le directeur de la banque Erich Pfister à Blick. C'est beaucoup par rapport à d'autres banques régionales - et même beaucoup par rapport aux grandes banques.» Effectivement: Credit Suisse a un taux de fonds propres de 5,4%, l'UBS de 4,4%.
Erich Pfister qualifie le taux de fonds propres élevé de sa banque d'«assurance-vie». Il sait en effet que «si les choses devaient se gâter, nous ne pourrions pas compter sur la Banque nationale pour nous venir en aide. Contrairement à Credit Suisse, nous ne sommes pas d'importance systémique.»
Les milliards de la Banque nationale sont-ils alors un privilège des grandes banques?
Des fonds propres volontairement plus importants
La BNS ne veut pas s'exprimer sur ce sujet. Son ancien vice-directeur, Jean-Pierre Danthine, déclare: «Je n'exclurais pas qu'une petite banque régionale reçoive également une aide de la BNS en cas d'un tel manque de liquidités - pour autant que la banque soit solvable.» Mais il est encore plus probable, selon lui, que les autorités mettent en place une reprise par une plus grande banque dans un tel cas.
Le professeur d'économie bernois Aymo Brunetti, l'un des pères de la réglementation «too big to fail», confirme aussi que tout le monde n'est pas égal devant la BNS: «La BNS ne peut accorder l'Emergency Liquidity Assistance qu'aux banques d'importance systémique dont la solvabilité est attestée par la Finma.» Les grandes banques disposent ainsi d'un filet de sécurité supplémentaire, selon Aymo Brunetti. Mais en contrepartie, elles doivent satisfaire à des exigences plus élevées en matière de capital et de liquidités que leurs concurrentes plus petites.
Voilà pour la théorie. Dans la pratique, les petits établissements disposent généralement, en proportion, de bien plus de fonds propres que les grandes banques. «Ce n'est pas nouveau, confirme l'ancien banquier Jean-Pierre Danthine. Les grandes banques vont davantage vers les limites lorsqu'il s'agit du ratio de fonds propres.»
Jean-Pierre Danthine ne peut pas dire de manière définitive quelles en sont les raisons. Il suppose qu'il y a un lien avec le fait que les grandes banques ressentent plus de pression de la part des marchés pour obtenir un rendement élevé.
«Les grandes banques bénéficient d'une garantie implicite de l'État»
Mais les représentants des petites banques ont une autre explication pour la plus grande propension des grandes banques à flirter avec le risque: «Cela est probablement aussi lié à la garantie implicite de l'État dont les grandes banques continuent de bénéficier.» Cette déclaration émane d'un initié du secteur qui souhaite rester anonyme au vu de la situation actuelle plutôt tendue.
Pour lui, il est clair que «les banques d'importance systémique profitent d'une distorsion de la concurrence.» Les distorsions de concurrence ont une longue tradition dans le secteur financier: la plupart des banques cantonales bénéficient d'une garantie illimitée de l'État. En cas de faillite, le canton propriétaire répondrait de toutes les dettes en cours - donc également des fonds d'épargne des clientes et des clients.
Mais contrairement aux grandes banques, les banques cantonales paient chaque année beaucoup d'argent pour leur garantie d'État. Rien qu'en 2021, les 24 banques cantonales ont versé aux cantons des indemnités d'un montant d'environ 1,7 milliard de francs. «Avec 1,04 milliard de francs, les indemnités pour les garanties de l'État et les versements légaux de bénéfices en constituent la plus grande part», indique l'Union des Banques Cantonales Suisses sur demande.
L'injection de fonds de la BNS ne suffira probablement pas
Les grandes banques, en revanche, sont épargnées par de telles obligations. Mais la pression monte désormais pour que cela change. Le «Tages-Anzeiger» a tonné hier dans un éditorial: «Cette culture de la gratuité doit prendre fin.» Le journal préconise une compensation financière pour la garantie de fait de l'État, à l'instar d'un intérêt pour un crédit. «Cela changerait immédiatement le comportement commercial des banques d'importance systémique, c'est-à-dire qu'elles prendraient moins de risques.»
À Credit Suisse, il est peut-être déjà trop tard pour changer cette culture du risque - qui est aussi à l'origine de la crise actuelle, comme les cas Archegos et Greensill. Il apparaît de plus en plus clairement que l'injection de fonds de la BNS ne suffira pas à rétablir la confiance dans la grande banque. Dans cette mesure au moins, Christoph Blocher, Oswald Grübel et Jean-Pierre Danthine ont donc définitivement raison lorsqu'ils affirment que nous n'avons pas assisté cette semaine à un sauvetage de Credit Suisse.
(Adaptation par Lliana Doudot)