En Suisse, les adolescentes qui mettent au monde un enfant sont particulièrement seules. En 2023, environ 200 bébés sont nés de femmes de moins de 20 ans – seules 13 des mères avaient 16 ans ou moins.
«C'est positif», déclare l'assistante sociale Karine Rossel. «Mais c'est un énorme défi pour chaque mère adolescente. Ce sont elles qui souffrent le plus de la stigmatisation et de l'isolement.» Karine Rossel sait de quoi elle parle: elle est elle-même devenue mère à 16 ans, avant de fonder l'association «JeunesParents» en soutient aux jeunes parents de moins de 25 ans.
Les jeunes mères souffrent de honte
Karine Rossel fait partie du projet photographique «Girl interrupted» du photographe zurichois Felix Bucher. Les portraits montrent des mères adolescentes de Suisse et de Tanzanie – deux mondes qui ne pourraient être plus différents. En Tanzanie, près d'une fille sur cinq a un enfant avant ses 18 ans. La pauvreté, le manque d'éducation sexuelle ou les abus sexuels en sont souvent la cause. De nombreuses filles sont rejetées par leur famille, contraintes d'abandonner l'école et les complications lors de l'accouchement ne sont pas rares.
Selon l'assistance sociale, ce qui unit les jeunes mères des deux pays, c'est la honte. «Il faut beaucoup de courage pour se montrer – c'est pourquoi ces portraits me touchent beaucoup. Il est important que les mères adolescentes soient visibles.» Si la situation en Suisse est plus sûre, elle n'en reste pas moins difficile. «Devenir parent avant ses 25 ans, c'est risquer de tomber dans le piège de la pauvreté. Surtout lorsqu'on perd le soutien de ses propres parents ou que le père de l'enfant disparaît. Cela fait une énorme différence.»
L'absence de formation mène à la pauvreté
Souvent, la formation est laissée de côté. «Cela n'a rien à voir avec de la paresse – un enfant en bas âge est un travail à plein temps. Beaucoup ne peuvent tout simplement pas se le permettre», explique Karine Rossel. Sans filet de sécurité, un cercle vicieux dévastateur s'installe et Karine Rossel l'a fréquemment constaté dans son travail d'assistante sociale: «En tant que mère isolée et célibataire, il est quasiment impossible de terminer un apprentissage. Sans d'argent, sans logement, sans possibilités de garde d'enfants... C'est ainsi que de nombreuses jeunes mères finissent dans la pauvreté.»
Karine Rossel s'engage désormais pour cette cause au niveau politique. En février, elle a rédigé un policy brief en collaboration avec Michèle Theytaz Grandjean, membre de la Commission fédérale pour les questions familiales (COFF) et secrétaire générale de Pro Familia Vaud. Le rapport rassemble des recherches et des recommandations visant à mettre en lumière la réalité des jeunes parents – notamment le risque de basculer dans la pauvreté, sans diplôme et le manque de structures d'accueil abordables. Pour remédier à cette situation, les autrices appellent à un meilleur accès à l'éducation et à la garde d'enfants. Si le nombre de jeunes parents en Suisse demeure faible, leur situation reste «précaire et politiquement sous-estimée», affirme Karine Rossel.
Les mères sont de plus en plus âgées
Le nombre de mères adolescentes a fortement diminué – en 1970, 3'560 enfants naissaient de mères âgées de moins de 20 ans, contre environ 200 aujourd'hui. Cette situation s'explique par une meilleure éducation, un accès facilité à la contraception et l'évolution de la société: de nombreuses jeunes femmes veulent d'abord terminer leur formation ou entamer une carrière avant de devenir mères. Cela se reflète dans l'augmentation de l'âge moyen des parents. Aujourd'hui, les femmes ont 31,3 ans en moyenne à la naissance de leur premier enfant.
Et pourtant, les questions restent les mêmes. Comment gérer sa formation, la garde des enfants et le revenu quand on est soi-même à peine majeure? «Selon le milieu social, les jeunes mères peuvent rapidement se retrouver seules», explique Karine Rossel. Mais devenir mère jeune n’a pas que des inconvénients, selon elle. «J'avais plus d'énergie pour me lever la nuit et je m'inquiétais beaucoup moins de tout ce qui pouvait mal tourner que lors de mes grossesses ultérieures.»
L'assistante sociale a eu son troisième enfant à 21 ans et a obtenu son baccalauréat. Entre-temps, elle est devenue grand-mère. «C'est un plaisir d'avoir une petite-fille à un si jeune âge!» Elle prépare actuellement un doctorat en travail social à l'ITTS de Neuchâtel. «Il est crucial que les jeunes parents partagent leurs expériences et soient soutenus, sans avoir honte.»
«Girl Interrupted», exposition de photos et discussion de l'ONG On Board Together, animée par Astrid von Stockar, samedi 11 octobre, 15h, Art1418@Gynhealth, Tessinerplatz 12, Zurich