«Les gens ont perdu tout ce qu’ils ne portaient pas sur eux»
Dans le village englouti de Blatten, des habitants dévastés

La catastrophe a dévasté Blatten, laissant les résidents sans foyer et bouleversant leur quotidien. Le président de la commune, Matthias Bellwald, reste déterminé à reconstruire le village valaisan, malgré les défis géologiques et logistiques considérables.
Publié: 01.06.2025 à 11:38 heures
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Hans-Peter Siegen est agriculteur dans le Lötschental.
Photo: ANDREA SOLTERMANN
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Robin Bäni

Un soldat se tient au bord de la route. Il demande à voir la carte de presse, la consulte brièvement, puis ouvre le passage. A partir d’ici, l’accès est interdit: seules les riverains, les secours et les journalistes sont encore autorisés à pénétrer dans le Lötschental valaisan.

Au début, la route serpente à travers une gorge. L’endroit est silencieux, désert. Peu après, les premières voitures apparaissent. Plus haut, un hélicoptère survole la forêt et les parois rocheuses. Et soudain, c’est l’arrêt brutal: un gigantesque amas d’éboulis long de deux kilomètres et haut de 35 mètres barre toute la vallée. D’après le GPS, un village devrait se trouver ici.

Mercredi, un éboulement a englouti Blatten – et par la même occasion le foyer de plus de 300 personnes, leur vie et leur quotidien. Pour eux, le cauchemar est devenu réalité, et le danger est loin d’être écarté. Au-dessus du Petit Nesthorn, la poussière continue de tourbillonner. Le sommet s’est effondré, entraînant le glacier dans sa chute et engloutissant le village. Dix millions de mètres cubes de roche, de glace et de débris recouvrent désormais la zone. Il faudrait pas moins de 100'000 camions pour les évacuer. Et les éboulements se poursuivent. Les géologues alertent: plusieurs centaines de milliers de mètres cubes pourraient encore se détacher.

Dix millions de mètres cubes de roche, de glace et d'alluvions gisent dans la vallée. Pour évacuer cette masse, il faudrait 100'000 camions.

Dans le village voisin de Wiler, la vie semble continuer. Le bus passe, un facteur distribue le courrier, le magasin Volg est ouvert. On pourrait croire à une journée ordinaire. Mais il suffit de regarder les visages. Devant un restaurant, un petit groupe s’est formé. Parmi eux, Hans-Peter Siegen, paysan de montagne de 62 ans, les deux mains fermement posées sur le capot d’une voiture, comme s’il avait besoin de s’y agripper.

Des vaches évacuées à deux reprises

«Mon exploitation agricole, toute ma...»: sa voix se brise, les mots restent coincés. Quelqu’un pose une main sur son bras, en signe de réconfort. Une voiture de patrouille approche. Un policier du village en descend, s’avance vers Hans-Peter Siegen et l’enlace. Ils se regardent, secouent la tête, écartent les bras. Peu de mots sont échangés, mais leur présence suffit. La douleur est indescriptible: leur terre, leur monde, a disparu en un instant.

Peu à peu, Hans-Peter Siegen retrouve sa voix. Il raconte. Il a une femme et quatre fils. Ensemble, ils exploitaient une ferme de bovins Galloway, une tradition familiale héritée de ses parents. Son plus jeune fils devait bientôt prendre la relève et conduire les vaches vers la Fafleralp pour l'été. Et maintenant? Le paysan de montagne soupire: «Heureusement, il me reste mes vaches.» Cinquante-deux bovins qu'il a dû évacuer à deux reprises.

La première fois, c’était il y a une semaine, alors que l’éboulement menaçait. La seconde évacuation a eu lieu jeudi. Un nouveau danger planait: la Lonza. La rivière avait été bloquée par le cône de déjection, formant un lac en amont. Un moment, les autorités craignaient une crue soudaine, voire une coulée de boue torrentielle. Mais entre-temps, l’eau a commencé à s’infiltrer à travers les éboulis, et le niveau du lac a baissé. Selon l’état-major régional de conduite, une nouvelle avalanche majeure d’éboulis est désormais peu probable. Seuls quelques blocs isolés pourraient encore dévaler la pente.

«Et maintenant?»

Après la première évacuation, Hans-Peter Siegen avait emmené ses vaches dans une zone qui, aujourd’hui, se trouve à son tour classée à risque. Il a donc dû charger à nouveau ses bêtes dans un fourgon et les déplacer ailleurs. «Les animaux sont maintenant en sécurité», dit-il. «Mais que faire maintenant?» Une question qui hante tous les habitants de la vallée. Et à laquelle personne ne semble avoir de réponse.

«
Ce que je ferai demain, je n’en ai aucune idée
Daniel Ritler, agriculteur
»

L’éleveur a perdu son étable, mais sa maison, située à Wiler, est toujours debout. Ce n’est pas le cas pour tout le monde. Daniel Ritler, lui, n’a plus rien. Sa maison et son exploitation sont dorénavant ensevelies sous les décombres. «Je repars de zéro», confie-t-il au téléphone. «Ce que je ferai demain, je n’en ai aucune idée.» Il doit raccrocher, dit-il, et s’excuse brièvement avant de mettre fin à l’appel.

Dans la vallée, beaucoup préfèrent garder leurs distances. Certains refusent de parler aux inconnus. Et on ne peut pas leur en vouloir. Des dizaines de journalistes venus du monde entier défilent à travers ce paysage blessé. Les personnes qui ont tout perdu ont trouvé refuge, pour l’instant, dans des appartements de vacances inoccupés, ou chez des proches, des amis, des connaissances dans les communes voisines. Une solution temporaire, qui pourrait bien s’éterniser.

Des moutons évacués par hélicoptère

Abandonner? Inenvisageable pour Matthias Bellwald. Sans minimiser l’ampleur de la catastrophe, le président de la commune veut insuffler du courage aux habitants de Blatten. «Les gens ont perdu tout ce qu’ils ne portaient pas sur eux», a-t-il déclaré lors de la conférence de presse de vendredi. «Mais ce qui était en nous, dans nos têtes et dans nos cœurs, a pu être sauvé.» Pour lui, une chose est sûre: son village doit renaître. Matthias Bellwald est catégorique: «Un Lötschental sans Blatten est impensable.»

Et samedi, il a réaffirmé sa position: dès la prochaine assemblée des citoyens, la commune présentera une «feuille de route pour la reconstruction». Il promet des «idées claires» et entend aussi «présenter un financement».

La volonté de reconstruire est partagée. Mais pour l’instant, beaucoup se sentent impuissants, accablés. Hans-Peter Siegen, le paysan de montagne, met des mots sur ce que d’autres n’osent dire: «Il n’y aura pas de nouveau Blatten. Je ne peux pas l’imaginer.» Certains se demandent même s’ils veulent rester dans la vallée. Un berger, qui avait réussi à sauver ses moutons par hélicoptère, envisage désormais de vendre tout son troupeau. «Il a tout arrêté», murmure-t-on dans le village.

Certains agriculteurs ont dû évacuer leurs animaux par mesure de sécurité.
Photo: Andrea Soltermann

Personne ne sait ce qui va se passer. Pas même les autorités. «Il est encore trop tôt pour répondre à cette question», écrit le service de presse du canton du Valais. Les décisions concernant l’avenir de Blatten prendront des semaines, voire des mois. Une seule chose est sûre: la Confédération et le canton ont promis leur soutien. La présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, a adressé un message aux habitants de la vallée: «Vous n’êtes pas seuls.»

Reconstruire Blatten – tout le monde le sait – serait un chantier titanesque. Le cône de déjection obstrue entièrement la vallée. La masse est instable, la glace n’a pas fondu. Il est interdit de marcher sur cette colline de débris. Même l’armée n’ose pas s’en approcher. Et si un jour cela devenait possible, que faire de toute cette roche? Il faudrait sans doute reconstruire le village ailleurs. Mais où?

Ensemble contre le néant

Le Lötschental est une vallée étroite, bordée de versants escarpés et densément boisés. Les surfaces constructibles y sont rares. Et même les quelques terrains suffisamment plats se situent souvent en zone rouge. Des secteurs à haut risque, menacés par des avalanches, des glissements de terrain ou des chutes de pierres. Un simple coup d’œil aux cartes des dangers suffit: dans une grande partie du Lötschental, construire est tout simplement impossible. Déjà avant la catastrophe, les terrains à bâtir se faisaient rares. Aujourd’hui, ils sont devenus quasi introuvables.

Dominant la vallée, le Bietschhorn veille du haut de ses 3934 mètres. Majestueuse, la montagne est un véritable emblème de la région, habituellement prisée des randonneurs et des alpinistes. Le 20 juin, le refuge de montagne devait rouvrir ses portes pour la saison. Mais deux des voies d’accès ont été ensevelies; la troisième passe par la zone à risque. Cornelia Wüthrich, la gardienne du refuge, en a le cœur serré: «Je crois qu’il n’y aura pas de saison.» Peut-être l’an prochain, espère-t-elle.

«
Je vais simplement redescendre dans la vallée et aider les gens
Cornelia Wüthrich, gardienne de refuge
»

Un été sans hôtes, elle peut l’encaisser financièrement. «Je vais simplement redescendre dans la vallée et aider les gens.» C’est, dit-elle, la chose la plus utile qu’elle puisse faire. «Aider, tout simplement.» C’est peut-être cela, aujourd’hui, qui tient la vallée debout : la solidarité. Des inconnus hébergent les sinistrés. Des paysans s’entraident pour sauver les animaux. Les habitants du Lötschental ont toujours formé une communauté soudée. Ils le sont plus que jamais.

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