Les couples connaissent généralement déjà la réponse. Et pourtant, l'officier d'état civil zurichois Roland Peterhans entend encore régulièrement cette question: «Mais les doubles noms n'existent plus?»
Une interrogation qui, souvent, laisse transparaître un certain regret. De nombreuses personnes souhaitant se marier déplorent l'impossibilité d'exprimer leur lien conjugal par un double nom – surtout les femmes. Depuis 2013, il n'est en effet plus possible de faire passer le nom de famille de son partenaire avant le sien, du moins officiellement.
Il est certes encore possible de faire inscrire un nom dit d'alliance sur sa pièce d'identité – la fameuse variante avec trait d'union – comme le porte par exemple Karin Keller-Sutter. Mais le registre officiel ne mentionne qu'un seul nom de famille. Dans le cas de la conseillère fédérale, il s'agit de Keller. Les mariés doivent donc faire un choix, et pas des moindres: garder leur propre nom ou prendre celui de leur partenaire.
L'officier supérieur de l'état civil demande une libéralisation
Mais ce dilemme pourrait bientôt disparaître. Le double nom serait sur le point de faire son retour. Jeudi, le Conseil national débattra d'un nouveau droit du nom. A l'avenir, la femme et l'homme auront beaucoup plus de possibilités de choix qu'actuellement, notamment en ce qui concerne le nom de famille des enfants.
Supposons que Monsieur Hoxha et Madame Ferrari se disent oui. Si l'on en croit la commission juridique du Conseil national, la mariée aura dorénavant les choix suivants: Ferrari, Hoxha, Ferrari-Hoxha ou Ferrari Hoxha. Idem pour le marié. Le Conseil fédéral veut même aller encore plus loin et laisser aux couples le choix de l'ordre des noms de famille. Il serait donc possible d'opter pour Hoxha-Ferrari ou Hoxha Ferrari.
Roland Peterhans a spécialement pris sa matinée pour suivre l'avancée des débats. Le président de l'Association suisse des officiers de l'état civil pense que la législation actuelle est «totalement insatisfaisante»: «Il faut une libéralisation!»
L'ancienne conseillère nationale socialiste Susanne Leutenegger Oberholzer partage cet avis. Elle a été la première parlementaire à porter un double nom. Mais c'est aussi elle qui, il y a plus de 20 ans, avait donné l'impulsion au Conseil national pour abolir le double nom. Son argument? L'égalité dans le choix du nom. A l'origine, les doubles noms étaient une option réservée aux femmes comme alternative à l'abandon complet de leur propre nom. Un arrêt de la Cour de justice européenne de 1994 a ensuite permis aux hommes de porter une double appellation.
«La situation s'est détériorée pour les femmes»
Le Parlement avait donc pris la décision de supprimer purement et simplement les doubles noms. Onze ans plus tard, ce choix ne semble pas avoir porté ses fruits. La suppression des doubles noms n'a pas favorisé l'égalité, bien au contraire. Un rapport de la commission juridique du Conseil national tire une conclusion bien opposée aux projections: «Au final, la situation s'est même détériorée pour les femmes.»
Car au lieu de conserver leur propre nom, comme c'est actuellement prévu, la grande majorité des femmes continuent à prendre le nom de leur mari. 68% d'entre elles l'ont fait en 2022. Seuls 3% des hommes ont pris le nom de leur femme. Selon le Conseil fédéral, la pression sociale exercée sur les femmes pour qu'elles prennent le nom de leur mari est encore bien ancrée.
«L'abolition était une erreur»
«C'était une erreur de supprimer la possibilité de porter un double nom», déclare Fleur Weibel, sociologue à l'Université de Bâle. L'experte connait bien le sujet: elle a rédigé sa thèse sur le mariage en Suisse, et s'est entre autre intéressée au sujet du choix du nom. Ses recherches lui ont montré que partager un nom en commun est très important pour bon nombre de couples.
Car pour la grande majorité des hommes, il n'est pas question de changer de nom. «Une personne interrogée m'a dit: en fin de compte, on prend la décision seule en tant que femme», raconte Fleur Weibel. Une décision qui a des conséquences, notamment sur les enfants. Lorsque la femme décide de conserver son nom, certains hommes en profitent pour utiliser ce choix comme un argument pour imposer leur propre nom de famille à l'enfant.
Les enfants, eux aussi, pourront à l'avenir porter un nom composé, que leur parent – mariés ou pas – aient eux-mêmes plusieurs noms de famille. En outre, les couples déjà mariés ou vivant en concubinage pourront, eux aussi, opter pour un double nom.
Les «noms d'infirmes» sont de plus en plus populaires
La personnalité socialiste Susanne Leutenegger Oberholzer félicite toutes les femmes qui décident de garder leur nom. Lors d'un débat au Conseil national, l'ancienne élue de gauche a qualifié son propre double nom de «nom d'infirme».
Mais depuis, elle estime que les choses ont beaucoup évolué. La variante à deux noms a le vent en poupe. Alors qu'elle était jadis une exception, 20 des 246 parlementaires portent aujourd'hui un double nom ou un nom d'alliance. Une libéralisation qui correspond à l'évolution de la société, estime l'ex-politicienne.
De son côté, Roland Peterhans espère une modification rapide de la loi. Récemment, il a dû renvoyer deux couples chez eux parce qu'ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur le choix du nom. Les deux voulaient absolument un double nom officiel. L'affaire est désormais entre les mains du Parlement qui décidera ou non d'exaucer leur vœu.