Gain de bien-être, frein à la croissance
La quête de confort de la population freine l'économie

La Suisse est menacée par une grave pénurie de main-d’œuvre. L’économiste Johannes von Mandach a calculé que le vieillissement de la population freine bien moins l'économie que le désir insatiable de temps libre.
Publié: 28.07.2025 à 19:05 heures
Partager
Écouter
1/6
Plutôt dans un parc que dans un bureau ou derrière un établi: l'économie suisse manque de main-d'œuvre.
Photo: Keystone
RMS_Portrait_AUTOR_377.JPG
Martin Schmidt

La Suisse manque de bras: selon une étude de la Banque nationale suisse, l’économie helvétique pourrait se retrouver à court d’environ 400'000 salariés d’ici dix ans. En cause: un taux de natalité trop bas, une immigration moins dynamique – car l’âge moyen augmente aussi dans les autres pays industrialisés – et une vague imminente de départs à la retraite chez les baby-boomers.

De plus en plus de retraités, de moins en moins d’actifs pour financer les rentes et faire tourner l’économie: ce déséquilibre menace à long terme la croissance du pays. Mais le vieillissement n’est pas le seul frein, selon l’économiste Johannes von Mandach, de chez Wellershoff & Partners: «Le désir croissant de temps libre freine davantage la croissance économique que le vieillissement de la population.»

Ceux qui le peuvent se permettent de moins travailler

Les chiffres sur le moral au travail des Suissesses et des Suisses alimentent le débat. On cite volontiers une donnée peu significative: le temps de travail hebdomadaire moyen des personnes actives. Aujourd’hui, les employés travaillent en moyenne 30 heures par semaine, contre 38 heures en 1980. Certains y voient déjà un signe de paresse croissante. Mais la comparaison est trompeuse: beaucoup plus de femmes participent aujourd’hui à la vie active – et souvent à temps partiel. En réalité, le temps de travail annuel par personne en âge de travailler a peu changé au cours des 15 dernières années.

Johannes von Mandach s’est penché sur le temps de travail des employés à plein temps. Résultat: celui-ci a diminué de 2,5% au cours des dix dernières années. En cause: plus de jours de vacances, une réduction de la durée hebdomadaire du travail et une augmentation des absences pour cause de maladie. «A partir d’un certain niveau de richesse, on renonce à un revenu supplémentaire au profit de plus de temps libre», explique-t-il.

Mais un peu plus de temps libre pourrait aussi atténuer un autre problème: «Les absences pour cause de maladie ont augmenté, en particulier dans les métiers physiques», explique Adrian Wüthrich, président de TravailSuisse, la faîtière des travailleurs. «La charge de travail élevée provoque un niveau de stress important chez les employés, ce qui entraîne des arrêts de travail», ajoute-t-il.

Comme dans de nombreux autres pays, le temps de travail réglementaire diminue aussi en Suisse, et ce, depuis un certain temps déjà. Vers la fin du XXe siècle, il est tombé à 42 heures par semaine, et aujourd’hui, la semaine de 40 heures est devenue la norme dans de nombreux secteurs.

L'IA pourrait désamorcer la situation

C’est certes une évolution positive, reconnaît Johannes von Mandach, mais elle a aussi des conséquences négatives. Il a fait les calculs: la perte de croissance due à la réduction du temps de travail réglementaire est 3,5 fois plus importante que l’effet démographique. «On parle sans cesse du vieillissement de la population. Mais nous devrions prendre conscience que la réduction du temps de travail a un impact bien plus fort», explique-t-il.

Du point de vue de la population, le temps libre supplémentaire représente un gain en bien-être. Mais pour l’économie, le manque de main-d’œuvre constitue un frein à la croissance. S’il n’y a pas assez de personnel en Suisse, les entreprises ne peuvent pas se développer comme elles le souhaiteraient. «Le scénario le plus positif serait évidemment que la productivité augmente fortement et que la croissance se fasse par ce biais», indique Johannes von Mandach. Mais ces dernières années, seule l’industrie pharmaceutique est parvenue à devenir plus productive, comme le montre une analyse de Wellershoff & Partners. «La plupart des autres secteurs ont stagné», constate l’économiste.

A l’avenir, l’intelligence artificielle pourrait apporter une aide. Pour combler le gigantesque déficit de main-d’œuvre qui se profile, la Banque nationale suisse propose dans son étude plusieurs mesures: allonger les journées de travail, relever l’âge de la retraite ou augmenter l’immigration. «Mais ces trois approches rencontrent des résistances politiques», avertit Johannes von Mandach, tempérant ainsi les espoirs du monde économique.

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la