C’est un montant qui a fait sensation, même à la Confédération: 2,4 milliards de francs réclamés au titre de remboursement de l’impôt anticipé… par une seule entité juridique. Une somme d’abord enregistrée par l’Administration fédérale des contributions (AFC), avant d’être finalement annulée après examen par le département de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter.
La demande avait été déposée en 2024 par une personne résidant en Allemagne. Sur le papier, tout semblait en règle. Mais à y regarder de plus près, les autorités suisses ont identifié des irrégularités et bloqué le versement.
Une requête hors norme venue d'Allemagne
L’affaire reste une énigme. Sollicitée par Blick, l’administration fiscale invoque le secret fiscal et refuse de donner des détails. Ce que l’on sait, c’est que la demande de remboursement provenait d’Allemagne. Mais il reste une inconnue: s’agissait-il d’une personne physique ou d’une entreprise?
En Suisse, l’impôt anticipé agit comme une sorte de garantie. Lorsqu’un contribuable perçoit des dividendes ou des intérêts, 35% sont retenus à la source. Le remboursement est possible à condition que tout ait été correctement déclaré.
Les personnes domiciliées à l’étranger peuvent aussi bénéficier de ce remboursement, à condition qu’un accord bilatéral le permette entre la Suisse et le pays de résidence, et que leur administration fiscale confirme la régularité de la déclaration.
Dans ce cas, la démarche semblait conforme. Le demandeur allemand avait soumis sa requête en ligne en 2024, accompagnée à priori des justificatifs requis. L’AFC avait alors «réservé» 2,4 milliards de francs dans ses comptes.
Failles révélées
Après une analyse plus poussée, les fonctionnaires fédéraux ont découvert que les documents étaient incomplets ou incorrects. Selon l’AFC, cette erreur a été repérée grâce à une évaluation des risques automatique, puis confirmée par un employé chargé du dossier.
Pourquoi le versement n'a-t-il jamais eu lieu? L'administration fiscale a discrètement rendu publique cette correction inhabituelle de plusieurs milliards dans son rapport annuel. «La demande n’avait pas été remplie conformément aux instructions», explique l’administration. Il ne s’agirait pas d’une fraude délibérée. Certaines prétentions étaient tout simplement perdues, d’autres mal calculées.
La loi prévoit que toute demande de remboursement doit être déposée dans les trois ans suivant l’année de versement des revenus concernés. Passé ce délai, le droit s’éteint automatiquement.
Eligibilité incertaine
La personne avait-elle donc vraiment droit à ces milliards? L’administration laisse, là encore, la question en suspens. Les 2,4 milliards de francs représenteraient le montant total retenu à la source (si la demande avait été déposée correctement et dans les délais), ce qui impliquerait des revenus de capitaux avoisinant les 7 milliards de francs.
Un tel chiffre suggère un investisseur institutionnel, estiment les experts fiscaux interrogés par Blick. «Cela pourrait correspondre à d’importants dividendes versés à un gros investisseur ou au traitement de demandes groupées via des comptes de dépôt bancaires», avance l’un d’eux. Un autre s’étonne: «Si les autorités allemandes ont effectivement validé une telle demande, cela soulève des questions… transaction de masse ou pas.»
Et ensuite?
Selon l’accord fiscal entre la Suisse et l’Allemagne, les non-résidents ne peuvent récupérer qu’un maximum de 20% sur les 35% prélevés. Le solde reste en Suisse et est pris en compte dans le calcul de l’impôt en Allemagne.
Une demande erronée peut aussi avoir des conséquences pour le demandeur allemand. Des déclarations inexactes peuvent entraîner des sanctions dans le pays d’origine. Pour l’heure, une seule chose est certaine: les milliards restent en Suisse. Mais qui en était le bénéficiaire potentiel et ce qui se cache réellement derrière cette tentative demeure un mystère.