Gianna Hablützel est l'escrimeuse la plus titrée de Suisse. L'ancienne numéro un mondiale a remporté des médailles aux championnats d'Europe et du monde. En 2000, elle a décroché deux fois l'argent aux Jeux olympiques de Sydney. Mais cette dernière est aussi politicienne. Depuis 2017, elle siège pour l'UDC au parlement cantonal de Bâle-Ville. Or, un homme dont elle a déjà croisé la route, Gabriel Nigon, du Parti libéral-démocrate (LDP), fera également de la politique à partir de l'automne prochain.
Cet éminent avocat bâlois a été pendant trois décennies la figure dominante de la fédération suisse d'escrime Swiss Fencing: en tant qu'entraîneur, directeur sportif et membre du comité directeur. Mais en 2021, Gabriel Nigon a été révoqué par l'assemblée générale de la fédération – après une campagne électorale houleuse au cours de laquelle un groupe de réformateurs avait défié la vieille garde autour du membre du LDP et du président sortant Olivier Carrard.
A l'époque, Gianna Hablützel avait soutenu les réformateurs et a publié un message lourd de conséquences sur Facebook et Linkedin, juste avant ladite assemblée générale. Elle y accusait Gabriel Nigon et les candidats qui lui étaient liés d'acheter des voix, ce qui a conduit ces derniers à obtenir une décision superprovisionnelle forçant Gianna Hablützel à retirer ses posts.
Sur le pied de guerre depuis vingt ans
Par la suite, la fédération d'escrime, Gabriel Nigon et d'autres plaignants ont engagé une procédure juridique contre l'ex-no1 mondiale, procédure qui n'est toujours pas terminée à ce jour. Selon l'avocat de l'ancien membre du comité directeur de Swiss Fencing, qui s'est confié à Blick, ses déclarations sont illégales et relèvent du droit pénal. Gianna Hablützel n'aurait pas accepté les décisions déjà rendues dans cette affaire et serait donc responsable des suites de la procédure.
Celle-ci déclare: «Ils veulent me faire taire et me ruiner financièrement. C'est ainsi que la fédération d'escrime traite les critiques depuis que Gabriel Nigon et Olivier Carrard ont pris les commandes.» Depuis vingt ans, elle est en froid avec eux. A l'époque déjà, l'éminent avocat avait engagé une procédure juridique contre l'escrimeuse pour le compte de Swiss Fencing. En 2004, la fédération a spécialement créé une «Lex Hablützel» pour l'empêcher de participer à des compétitions internationales.
Avant-hier, le tribunal pénal de Bâle a condamné Gianna Hablützel pour diffamation. Elle fait appel de cette décision. Pourtant, l'accusation d'achat de voix n'est de loin pas la seule que l'ancienne escrimeuse de haut niveau adresse à Swiss Fencing. «Sous la direction de Gabriel Nigon et d'Olivier Carrard, le népotisme et le mobbing se sont installés au sein de la fédération», explique cette dernière. «Les postes sont attribués à des proches, les athlètes sont traités de manière inégale, les critiques sont réduites au silence par tous les moyens. Il règne une culture du manque de transparence et de la méfiance.»
Consommation excessive d'alcool
Est-ce simplement une icône de l'escrime vindicative qui parle? Qu'y a-t-il de vrai dans ses accusations? Blick a posé la question à des membres actifs et anciens de Swiss Fencing – escrimeurs, entraîneurs, membres du comité directeur. Ils estiment que les accusations sont fondées, mais souhaitent rester anonymes, car ils ont peur de la réaction de la fédération.
Trois noms reviennent régulièrement dans les conversations avec les initiés: Nigon, Carrard et Lamon. La famille de l'ancienne escrimeuse de haut niveau Sophie Lamon est solidement ancrée dans la fédération depuis des décennies. Son père était vice-président, sa mère avait l'arbitrage sous ses ordres. Sophie Lamon elle-même est devenue directrice générale de la fédération pendant quelques années après sa carrière active.
Son mari s'est vu confier le poste d'entraîneur national de la relève. Pour cela, un diplôme est nécessaire. De nombreuses fédérations sportives exigent de leurs entraîneurs le diplôme de l'association faîtière Swiss Olympic – la formation nécessaire pour l'obtenir dure plus d'un an. Pour la Fédération suisse d'escrime, il a apparemment suffi que le mari de Sophie Lamon suive un cours de diplôme d'une semaine en Pologne.
Et ce dernier a vraisemblablement provoqué des remous à plusieurs reprises. Plusieurs sources font état d'escapades alcoolisées. Le matin, après une nuit de beuverie, il aurait raté son vol pour un tournoi en Russie. La jeune athlète qu'il aurait dû encadrer est partie sans l'entraîneur. Mais il ne serait pas le seul à avoir parfois dépassé les bornes. «La consommation excessive d'alcool au sein du personnel d'entraînement est un grave problème, surtout pendant les tournois», a déclaré l'un des initiés à Blick.
La réaction de la fédération d'escrime: «Swiss Fencing prend très au sérieux les indications de consommation excessive d'alcool.» Aucune indication fondée n'aurait été reçue au cours des deux dernières années.
Critères de sélection en faveur de candidats privilégiés
Plusieurs sources citent auprès de Blick un autre problème connu des athlètes: Celui qui n'est pas ami avec la bonne famille n'a guère de chances de réussir sur le plan sportif. Les critères de sélection pour les grands tournois seraient modifiés en faveur de candidats privilégiés. Il en va de même pour l'attribution des subventions: Contrats de prestations, RS sport – au final, ce ne sont pas les performances qui sont décisives, mais la proximité avec les dirigeants de la fédération.
Swiss Fencing souligne: «Les critères pour la saison 2022/23 ont été simplifiés et communiqués avant le début de la saison. La commission de sélection s'est tenue aux critères définis lors des sélections pour les compétitions pour le titre.»
Il est également question de harcèlement régulier des athlètes. Un initié parle d'un membre de l'équipe nationale qui devait sans cesse écouter les commentaires de l'entraîneur sur son poids – devant l'assemblée. Les convocations à l'entraînement de cet escrimeur seraient souvent programmées de telle manière qu'il ne lui serait pas possible de les honorer. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il n'abandonne, comme l'a déjà fait un autre membre de l'équipe victime de harcèlement.
Swiss Fencing déclare à ce sujet: «La fédération est consciente que les situations d'encadrement peuvent donner lieu à des divergences d'opinion, parfois perçues comme injustifiées par les athlètes. Des informations dans ce contexte sont également parvenues jusqu'à la direction.» Swiss Fencing appliquerait la tolérance zéro en matière de harcèlement moral.
Désormais directeur
Le mari de Sophie Lamon a entre-temps quitté son poste d'entraîneur. Swiss Fencing l'a nommé directeur général et il dirige désormais le domaine du sport de compétition. Le deuxième directeur, responsable de l'administration, est également vice-président, responsable de la communication et du marketing de Swiss Fencing. Il est en outre vice-président du club d'escrime de Lugano. En d'autres termes, il assume simultanément diverses fonctions de direction stratégique et opérationnelle.
De plus, la directrice d'une agence de marketing, dont le vice-président de la fédération d'escrime est partenaire, organise le sponsoring de cette dernière. Le responsable du sponsoring de la fédération est quant à lui – le vice-président.
Swiss Fencing souligne que les principes éthiques et les règles de bonne gouvernance sont régulièrement contrôlés et respectés. L'association dément les accusations de népotisme.
Le comité directeur, présidé par Lars Frauchiger, a encore un autre problème: en 2022, Swiss Fencing a enregistré un déficit de 250'000 francs. L'une des raisons serait les salaires élevés versés aux entraîneurs et aux managers. La fédération affirme que «la perte résultait essentiellement du soutien généreux des athlètes lors des compétitions et des entraînements.» Ce qui est clair, c'est que les athlètes ressentent les conséquences de ce déficit. Ils doivent désormais verser une taxe administrative lorsqu'ils se rendent à des compétitions à l'étranger. Plusieurs tournois de la relève ont été annulés.
Plusieurs athlètes s'expriment de manière critique
Népotisme, mobbing, alcool, mauvaise gestion, la liste des reproches adressés à Swiss Fencing est longue. La fédération est notamment financée par des fonds de Swiss Olympic, à hauteur de plus d'un million de francs par an. L'association faîtière a entre-temps pris connaissance de la situation chez les escrimeurs, comme elle le confirme à Blick: «Swiss Olympic a connaissance de certains reproches qui concernent la fédération, mais aussi et surtout des membres de la fédération, et est intervenue dans ces cas – conformément à son rôle – pour clarifier et soutenir.»
Ainsi, Swiss Olympic a mené en 2021 une enquête auprès des sportifs de la relève soutenus par la fédération faîtière et a constaté «que plusieurs athlètes de Swiss Fencing se sont exprimés de manière critique sur des processus internes à la fédération ou au club».
La marge de manœuvre de Swiss Olympic en matière d'intervention est limitée, souligne l'association faîtière. «Ce qui est sûr, c'est que Swiss Olympic tient beaucoup à ce que non seulement les comportements individuels fautifs, mais aussi les dysfonctionnements structurels de toute nature soient adressés, examinés et corrigés de manière transparente.»
Les prochaines élections du comité directeur de Swiss Fencing auront lieu en 2024. Gianna Hablützel: «J'espère que la fédération retrouvera le plus rapidement possible des structures démocratiques et transparentes.»