Mardi soir 19 août. Un avion de ligne atterrit à Genève. A bord, des passagers ordinaires… et quatre terroristes. Ce sont des représentants des talibans, la milice islamiste qui domine l'Afghanistan depuis 2021. Pour la première fois depuis leur prise de pouvoir, les autorités migratoires suisses accueillent leurs émissaires. La Confédération les a officiellement invités et leur a fourni des visas.
Mais ces hommes ne sont pas venus pour admirer la Suisse. La raison de leur déplacement? Identifier treize hommes qui seraient originaires d'Afghanistan.
Parmi eux, deux d'entre eux veulent rentrer volontairement et onze sont des délinquants que la Confédération souhaite expulser. Mais avant d'en arriver là, les talibans doivent vérifier leur nationalité – par exemple en évaluant leur dialecte.
Tout ça pour ça?
Comme ils ne se sont pas déplacés volontairement, c’est la Confédération qui règle la facture. Les billets d'avion ont coûté près de 9700 francs, en «classe économique», comme l'a indiqué le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) à la demande de Blick.
Les frais d'hébergement et de restauration s'élèvent, eux, à 2208 francs. Au final, près de 12'000 francs ont été dépensés pour les représentants d'un régime qui bannit les femmes de la vie publique et opprime les minorités.
Qui plus est, un mois après la visite des talibans, les treize hommes se trouvent toujours en Suisse. Seuls les quatre islamistes ont repris l’avion, toujours aux frais de la Confédération.
Le SEM écrit qu'il s'efforce de rapatrier le plus rapidement possible les criminels condamnés. «Les préparatifs sont en cours.» Le service des migrations ne veut toutefois pas donner de date concrète pour le rapatriement. «Il faut d'abord que toutes les conditions nécessaires à un tel rapatriement soient remplies.» Et c'est là que le bât blesse: ces conditions sont dictées par les talibans.
Le Conseil fédéral face à un dilemme
Le bilan de la Suisse en matière de renvois vers l'Afghanistan est modeste. Pendant des années, les autorités ont argumenté qu'un renvoi n'était pas possible pour des «raisons opérationnelles». Puis le ministre de l'asile Beat Jans a fait volte-face: en septembre 2024, il a déclaré que les Afghans ayant commis des crimes graves devaient être systématiquement rapatriés. «Aussi vite que possible», avait alors déclaré le secrétaire d'Etat du SEM Vincenzo Mascioli à Blick. Depuis lors, la Suisse a renvoyé cinq criminels en Afghanistan.
Mais peu après la volte-face de Beat Jans, les talibans ont modifié les règles à Kaboul. Ils n'acceptent désormais plus que les documents de voyage qu'ils délivrent eux-mêmes et ne reconnaissent plus les documents de l'ancienne ambassade afghane à Genève.
Le Conseil fédéral se trouve ainsi dans une position difficile. D'une part, il souhaite expulser des Afghans criminels. D'autre part, il doit pour cela coopérer avec les talibans, ce qui signifie, entre les lignes, qu'il les reconnaît indirectement comme détenteurs légitimes du pouvoir.
L’invitation à Genève constitue donc un premier pas vers les talibans. Mais il n'est pas certain que ces derniers s'en contentent. L'Allemagne n'a pu renvoyer 81 criminels qu'après avoir accrédité deux employés consulaires envoyés par les talibans. Une victoire politique pour les islamistes. La Suisse ira-t-elle un jour aussi loin? Jusqu'à présent, les talibans n'ont fait que manger et dormir aux frais du contribuable.