«Les arguments de l'UDC sont fallacieux!»
La directrice de l'aide aux réfugiés s'insurge contre l'initiative de protection des frontières

L'UDC veut endiguer la migration irrégulière, en fermant les frontières. Mais cela ne résout pas le problème, explique Miriam Behrens, directrice de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés. En cas d'acceptation de l'initiative, les demandes d'asile augmenteraient.
Publié: 10:39 heures
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Dernière mise à jour: il y a 29 minutes
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Miriam Behrens, chef de l'association d'aide aux réfugiés, critique vivement cette initiative.
Photo: Zamir Loshi
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Robin Bäni

Contrôler strictement les frontières, renvoyer systématiquement les migrants, restreindre drastiquement le droit d'asile: l'UDC exige des mesures radicales. Mercredi, le parti déposera son «initiative pour la protection des frontières». Miriam Behrens, directrice de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR), est l'une des opposantes les plus virulentes du projet. Elle attaque frontalement l'initiative populaire et n'hésite pas à faire des reproches à l'Union démocratique du centre.

Miriam Behrens, 400'000 demandes d'asile ont été déposées en Suisse en l'espace de vingt ans. Pensez-vous que c'est beaucoup?
Miriam Behrens: Non, c'est faisable. Cela représente 20'000 demandes par an. D'autant plus que la plupart d'entre eux finissent par quitter la Suisse. Les autorités peuvent gérer cela.

Les cantons et les communes se plaignent de centres d'asile pleins. L'hébergement de nombreux demandeurs d'asile est un défi.
La situation est tendue, c'est vrai. Mais nous ne devons pas oublier que l'Europe est en guerre. En plus des demandeurs d'asile, nous avons aussi 70'000 Ukrainiens, fuyant la guerre de Poutine.

L'UDC veut faire baisser ces chiffres et lance la semaine prochaine son initiative pour la protection des frontières. Celle-ci demande des «contrôles systématiques à la frontière nationale».
Les contrôles aux frontières ne résolvent pas le problème. Les gens fuient à cause de la situation de leur pays d'origine. Ouvrir ou fermer les frontières n'y change rien. Aucun pays ne peut simplement s'isoler: un tel cavalier seul est voué à l'échec. Il faut une stratégie européenne commune.

Mais des pays comme l'Allemagne se dérobent. Le gouvernement allemand mise depuis des mois sur un régime frontalier plus strict. Pourquoi la Suisse, en tant que pays voisin, ne devrait-elle pas suivre la tendance?
La politique frontalière allemande est polémique et inefficace. Il n'y a pas de contrôles systématiques aux frontières: si c'était le cas, il y aurait des refoulements en masse à la frontière allemande. Cela aurait à son tour pour conséquence d'augmenter le nombre de nouvelles entrées dans les centres fédéraux d'asile suisses. Mais cela ne se produit pas. Le nombre reste constant, comme le confirme le Secrétariat d'État aux migrations.

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De facto, l'UDC veut abolir le droit d'asile
Miriam Behrens, directrice de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés
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En Allemagne, les demandes d'asile ont pourtant fortement diminué.
Oui, mais pas à cause des contrôles aux frontières. D'autres facteurs sont décisifs, comme la taille de la diaspora: les gens ont tendance à fuir là où vivent leur famille, leurs amis ou leurs connaissances. L'Allemagne a une communauté syrienne bien plus importante que la Suisse, et depuis la chute du régime d'Assad, ils sont moins nombreux à se réfugier en Allemagne.

Outre les contrôles aux frontières, l'UDC demande d'autres mesures dans son initiative. Les personnes arrivant d'un pays tiers sûr ne devraient plus pouvoir déposer de demande d'asile. Qu'en pensez-vous?
Rien. Je n'y crois pas du tout. Bien plus de 90% des personnes en fuite passent par des pays tiers sûrs. La Suisse n'est entourée que de tels pays. De facto, l'UDC veut abolir le droit d'asile.

L'entrée par voie aérienne resterait possible. L'initiative prévoit en outre qu'un maximum de 5'000 personnes pourraient obtenir l'asile chaque année. Ce n'est pas une abolition, mais une limitation.
Non, c'est une abolition, car selon l'UDC, les personnes devraient déjà avoir le statut de réfugié avant de pouvoir fouler le sol suisse. Il n'y aurait de fait plus de procédure d'asile dans notre pays. Les admissions provisoires seraient également exclues – et cela concerne précisément les personnes qui fuient des régions en guerre. Au lieu de leur offrir une protection, la Suisse les refoulerait.

La Suisse ne peut pas accueillir tout le monde. Notre pays est trop petit pour cela.
C'est vrai, la Suisse ne peut pas accueillir tous ceux qui fuient. Ce ne serait en effet pas supportable, mais les chiffres actuels ne sont pas si élevés. L'UDC attise délibérément les peurs et exige des mesures bien trop radicales.

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Ce parti accuse les réfugiés, et leur incombe la responsabilité de tous les problèmes possibles et imaginables de la Suisse. C'est absurde et perfide
Miriam Behrens, directrice de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés
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Pour l'UDC, il s'agit aussi et surtout d'endiguer la migration irrégulière. L'initiative s'intitule: «Halte aux abus en matière d'asile!»
J'aimerais savoir où se produisent les «abus». Il est tout à fait légal de venir en Suisse et de déposer une demande d'asile. Les arguments de l'UDC sont fallacieux.

Vous ne pouvez tout de même pas reprocher au plus grand parti de Suisse d'avoir des arguments «fallacieux».
La taille du parti ne justifie pas le fait qu'il discrimine délibérément les autres, et l'incitation à la haine contre les personnes en fuite n'est pas légitimée par une élection démocratique. Au lieu de discuter objectivement, ce parti accuse les réfugiés, et leur incombe la responsabilité de tous les problèmes possibles et imaginables de la Suisse. C'est absurde et perfide.

L'UDC aborde des peurs liées à la croissance qui sont largement répandues parmi son électorat. Par exemple, le logement se fait plus rare, et les loyers augmentent. Pourquoi ignorez-vous ces inquiétudes?
Je ne les nie pas. Je peux simplement dire que le domaine de l'asile ne représente que 2,5% de la population résidente permanente. C'est peu. Pourtant, oui, il y a un stress lié à la densité démographique. Mais faut-il alors s'attaquer aux plus faibles? Est-ce vraiment la solution?

Quelle serait donc la solution pour endiguer la migration irrégulière?
Une réponse européenne commune sera bientôt disponible: le pacte sur l'asile entrera en vigueur en juin 2026. Nous le jugeons certes de manière très critique, mais les Etats ont décidé d'agir ensemble.

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Aucun autre pays n'a renvoyé autant de personnes en fuite, par habitant, dans d'autres Etats que la Suisse
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Vous parlez de l'accord de l'UE sur les migrations. Celui-ci mise sur des procédures rapides aux frontières extérieures de l'UE et sur une répartition solidaire des personnes en fuite. Le Parlement débat actuellement pour savoir dans quelle mesure la Suisse doit y participer.
L'UE veut la même chose que l'UDC: endiguer la migration irrégulière. Mais le mécanisme de solidarité ne fonctionne que si tous les pays y participent de manière contraignante – y compris la Suisse.

On ne sait pas si le pacte sur l'asile sera un jour efficace. Les accords précédents n'incitent pas à l'optimisme. Le système de Dublin, par exemple, a partiellement échoué: l'Italie refuse depuis des années de reprendre les réfugiés alors qu'elle devrait le faire.
Malgré cela, la Suisse profite énormément du système de Dublin. Aucun autre pays n'a renvoyé autant de personnes en fuite, par habitant, dans d'autres Etats que la Suisse. Et d'ailleurs, si l'initiative de l'UDC devait être acceptée, les demandes d'asile augmenteraient chez nous.

Pourquoi?
Parce que la Suisse sortirait alors du système de Dublin et qu'il ne serait plus possible de procéder à des renvois. Or, ces personnes en fuite se trouvent déjà ici. La Suisse devrait donc entrer en matière sur leurs demandes d'asile. Parallèlement, l'initiative nous ferait sortir de la libre circulation des personnes, ce qui mettrait en danger les accords bilatéraux avec l'UE. Les dommages causés par l'initiative seraient considérables.

L'UDC ne demande toutefois pas l'abandon direct des accords migratoires, mais d'abord de nouvelles négociations. Ce n'est qu'en cas d'échec de celles-ci que les accords devraient être résiliés.
Oui, mais dans quelle mesure est-il réaliste que l'Europe se montre prête à renégocier les accords de Schengen-Dublin? Cela n'arrivera pas, donc cela se résume à une résiliation. En outre, la question fondamentale est de savoir si l'initiative de l'UDC est valable.

Pourquoi ne le serait-elle pas?
Elle viole le droit international impératif. Nous refuserions aux personnes en fuite le droit à une procédure d'asile et nous les refoulerions en bloc à la frontière. Nous romperions alors également avec la Convention européenne des droits de l'homme et la Convention de Genève sur les réfugiés. Cette dernière a vu le jour après la Seconde Guerre mondiale, justement parce que des pays comme la Suisse avaient refoulé les Juifs et les Roms à la frontière. Une telle situation ne doit pas se reproduire.

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