Un tabou qui fait souffrir
«La plupart du temps, les gens développent leur fétichisme pendant l'enfance»

Dans le langage populaire, on parle souvent de fétichisme pour désigner des préférences sexuelles inhabituelles. Mais toutes les préférences ne sont pas des fétichismes. Et il n'y a presque rien qui n'existe pas, explique une sexothérapeute.
Certains aiment le vernis et le cuir, d'autres les pieds. S'agit-il d'une préférence sexuelle ou déjà d'un fétiche? Une sexologue nous éclaire.
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Fabienne Eichelberger

Certains aiment les matières comme le vernis ou le cuir, d'autres préfèrent certaines parties du corps comme les pieds, alors que certaines personnes sont excitées par les coups ou l'étranglement. De nombreuses personnes indiquent aujourd'hui ouvertement ces préférences – même si elles restent souvent anonymes – sur les plateformes de rencontre.

D'autres préférences sont plus tabous. Il y a par exemple des personnes qui sont excitées par le fait de porter des couches, d'uriner en jeans ou d'être humiliées de manière extrême. Si elles ne peuvent ressentir d'excitation sexuelle que de cette manière, il ne s'agit pas d'une simple préférence, mais d'un fétiche. Dans le langage courant, ces deux termes sont régulièrement assimilés.

Les fétiches peuvent se rapporter à un objet, une partie du corps, un liquide corporel, une action, une odeur ou un son. «Au fond, il n'y a rien qui n'existe pas», explique la sexothérapeute Lea von Mühlenen. Le fétichisme devient seulement clinique lorsqu'il provoque une souffrance.

Les fétiches entraînent souvent des problèmes relationnels

«La plupart des personnes qui viennent consulter à mon cabinet ont des problèmes de couple et de désir sexuel», explique Lea von Mühlenen. Par exemple, cela pourrait s'apparenter aux situations où l'un des partenaires menace de rompre ou lorsqu'il y a des problèmes érectiles, liés à l'absence de désir. Les personnes concernées ne ressentent de l'excitation que lorsqu'elles vivent leur fétichisme. Une sexualité «normale» en couple n'est donc parfois pas possible.

Lea von Mühlenen est sexothérapeute et exerce à Zurich.
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«Le grand public associe rapidement un fétiche à l'anormalité ou à la perversion», explique la sexothérapeute. Cela maintient une forme de stigmatisation et entraîne souvent des sentiments de honte et de solitude chez les personnes concernées. Par peur d'être jugées et rejetées, beaucoup cachent même leur fétichisme à la personne avec laquelle elles sont en relation.

Près de 2% de la population a déclaré dans une étude de l'Hôpital universitaire de la Charité de Berlin, en 2011, avoir un fétiche et en souffrir. Selon une étude de l'Université du Québec publiée en 2016, la moitié des adultes ont également déclaré avoir des «intérêts fétichistes», mais ne pas en souffrir. La plupart du temps, les gens développent leurs fétiches dès l'enfance ou l'adolescence. «Les émotions intenses qui surgissent dans le contexte d'une excitation génitale sont déterminantes», explique la sexothérapeute. 

Les hommes sont plus souvent concernés que les femmes. «Ils perçoivent probablement mieux l'excitation due à l'érection visible que les femmes, même en tant que petits garçons», explique Lea von Mühlenen. De ce fait, l'excitation peut être plus rapidement associée à quelque chose de très spécifique.

Expériences fortuites et éducation comme cause

En outre, les fétiches naissent en partie d'événements fortuits. Lea Von Mühlenen cite un exemple: un petit garçon a un frère cadet qui mouille régulièrement son lit. Ce dernier dort ainsi sur un tapis en caoutchouc pour protéger son lit de l'urine. L'attention parentale considérable que reçoit le petit frère le soir est intuitivement associée par son grand frère au tapis en caoutchouc. Une nuit, il l'amène donc dans son propre lit, tout excité et craignant d'être surpris. Lorsqu'il s'allonge à plat ventre sur le tapis, il a une érection à cause de la pression, mais peut-être aussi parce que les émotions intenses favorisent l'érection. S'il ramène régulièrement le tapis en caoutchouc dans son lit et qu'il a une érection, un conditionnement peut se développer avec le temps. Des années plus tard, l’excitation peut ne se déclencher qu’avec un type particulier de caoutchouc. Cela peut finalement conduire à ce que la personne ne ressente plus d'intérêt sexuel pour autrui ni pour le corps d'une autre personne.

L'éducation reçue peut également jouer un rôle dans l'apparition d'un fétichisme. «Si quelqu'un développe un fétichisme des couches, cela est souvent lié à un désir de soins, de sécurité et de protection. Des choses qui ont sûrement manqué à la personne par le passé.» Un tel fétiche représente donc généralement une forme de refuge pour les personnes concernées. «Bien qu'il puisse apporter de la souffrance dans leur vie, ces personnes ont aussi peur de complètement se débarrasser de leur fétiche.» C'est pourquoi il est souvent compliqué pour elles de se rendre en thérapie.

Apprendre à apprécier l'acte sexuel

Mais selon Lea von Mühlenen, la thérapie s'oriente en fonction de la demande du client. La plupart du temps, il s'agit dans un premier temps de pouvoir mieux apprécier le sexe. «Beaucoup n'ont jamais appris à vivre l'ensemble de l'acte sexuel comme étant excitant et plaisant en soi.»

Le défi? On ne peut pas se débarrasser de tels conditionnements du jour au lendemain. Souvent, cela nécessite une thérapie de plusieurs mois, voire de plusieurs années. «Les fétiches qui se sont manifestés dans l'enfance sont particulièrement tenaces», explique Lea von Mühlenen.

La solution la plus simple serait de partager le même fétiche au sein d'un couple ou d'avoir des fétiches qui se complètent. Grâce à Internet, les personnes partageant les mêmes intérêts se trouvent aujourd'hui plus facilement. «Il y a par exemple des couples qui ne font l'amour qu'en latex et qui sont super heureux avec ça», explique la sexothérapeute. Mais plus un fétiche est spécifique, et plus les défis de couple peuvent survenir.

Note de la rédaction: Lors de l'entretien, l'experte n'a pas parlé d'«hommes» et de «femmes», mais a choisi des termes neutres tels que «personnes avec pénis» et «personnes avec vulve/vagin». Pour des raisons de compréhension, cela a été simplifié dans le texte en accord avec l'experte.  

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