Nuisances sur l'espace public
«Les consommateurs de drogue ont besoin de se sentir utiles»

Une association active dans les rues de Lausanne suit des personnes dépendantes désocialisées pour les aider à retrouver une autonomie. Plutôt que l'assistance ou la charité, elle prône l'accompagnement par les pairs et une réhabilitation, notamment par des jobs.
Gaël Lehmann a fondé l'association SYSTMD, qui organise notamment des animations devant l'espace de consommation de la Riponne.
Photo: Julie de Tribolet
Camille Krafft_Blick_DSC_1396 (1) copie.JPG
Camille KrafftJournaliste Blick RP

Actif au sein de l’association SYSTMD, basée dans l'Est lausannois, Gaël Lehmann est un pair-aidant. Il a vécu des épisodes psychotiques qui ont entraîné des conséquences similaires à celles découlant de la consommation de drogues dures: addiction, grande précarité. Cette expérience lui permet d'accompagner aujourd'hui des personnes qui vivent des situations comparables.

SYSTMD, qui travaille avec la Ville de Lausanne, est active notamment devant l'Espace de Consommation Sécurisé de la Riponne, où des personnes dépendantes peuvent fumer ou s'injecter des substances à l'abri. Un dispositif aujourd'hui sur la sellette en raison des nuisances sur l'espace public dénoncées par des commerçants et habitants du quartier. Le 11 novembre, la Municipalité a annoncé différentes mesures pour tenter de rétablir le calme dans le secteur, dont une présence policière 24 heures sur 24. 

Selon lui, les métiers qui prennent en charge les consommateurs désocialisés, soit des équipes d’éducateurs et infirmiers, ne sont pas adaptés à cette problématique spécifique. Gaël Lehmann recommande une généralisation du recours aux pair-aidants et aux ergothérapeutes en santé mentale, qui proposent un suivi individualisé tout en aidant les personnes à retrouver une autonomie dans leur vie. SYSTMD, qui ne prône «pas la charité, ni l'assistance», propose notamment une formation par des pairs et des accompagnements en binômes pair-aidant/pair-aidé. 

Des recettes différentes pour faire face

Le 11 novembre, la ville de Lausanne a présenté quatre mesures pour rétablir la situation autour de l’ECS de la Riponne: 

  1. Une présence policière constante dans le secteur
  2. Une restriction de l’accès aux personnes résidant dans le canton de Vaud
  3. Un élargissement des horaires d’ouverture
  4. Le regroupement à terme des ECS de la Riponne et du Vallon et leur déplacement sur un site inconnu à ce jour

A la suite de cela, différents partis politiques ont pris position:

  • Le PLR approuve le renforcement policier mais voudrait que la ville soit encore plus sévère
  • Les Verts craignent un déplacement du problème dans d’autres quartiers
  • Les Verts’libéraux prônent la réinsertion par le travail
  • L’UDC demande la fermeture immédiate de l’ECS de la Riponne

Le 11 novembre, la ville de Lausanne a présenté quatre mesures pour rétablir la situation autour de l’ECS de la Riponne: 

  1. Une présence policière constante dans le secteur
  2. Une restriction de l’accès aux personnes résidant dans le canton de Vaud
  3. Un élargissement des horaires d’ouverture
  4. Le regroupement à terme des ECS de la Riponne et du Vallon et leur déplacement sur un site inconnu à ce jour

A la suite de cela, différents partis politiques ont pris position:

  • Le PLR approuve le renforcement policier mais voudrait que la ville soit encore plus sévère
  • Les Verts craignent un déplacement du problème dans d’autres quartiers
  • Les Verts’libéraux prônent la réinsertion par le travail
  • L’UDC demande la fermeture immédiate de l’ECS de la Riponne

Prendre du recul

«Dans le canton de Vaud, il manque un programme pointu et attractif de réhabilitation psycho-sociale, assure le fondateur de SYSTMD, aujourd'hui co-chargé de projet pair-aidance et formation au sein de l'association. Les consommateurs en ont besoin comme s’ils revenaient d’un champ de bataille. Quand on est addict, on n'a pas besoin d'un éducateur. On est des adultes, on doit pouvoir se définir, prendre du recul sur sa situation.»

«
Dans le canton de Vaud, il manque un programme pointu et attractif de réhabilitation psycho-sociale. Les consommateurs en ont besoin comme s’ils revenaient d’un champ de bataille
Gaël Lehmann, SYSTMD
»

Gaël Lehmann, qui s'inspire notamment de l'Association québécoise pour la réadaptation psychosociale, l’assure: «La majorité des usagers sont mécontents de la prise en charge qu’on leur propose dans les soins. Or, l’entrée en soins ne peut pas être forcée, ce serait voué à l’échec. Même les services de curatelle ne sont pas formés à la gestion de cette population, qui est gravement malade.» 

SYSTMD est aussi chargée par la Ville de nettoyer les déchets liés à la consommation de psychotropes sur l’espace urbain.
Photo: Julie de Tribolet

Alors que Lausanne cherche des solutions pour réduire les nuisances sur son espace public, Gaël Lehmann l'assure: «Les personnes réellement accompagnées dans leur réhabilitation vont créer moins de problèmes dans la rue ou les immeubles.»

Pair-aidance, une définition

Sur le site de l'association SYSTMD, on trouve notamment cette définition de la pair-aidance: « Les pairs-aidants sont des personnes vivant ou ayant vécu un problème de santé mentale qui a entraîné une interruption ou une bifurcation significative de leur trajectoire de vie. Leurs attitudes, leurs aptitudes personnelles et leur formation en font des modèles de rétablissements positif, pour les soignés comme pour les soignants ainsi que pour la société en général.»

Pelletier, J.-F., et al. (2021). Se rétablir en santé mentale, fondements et pratiques du rétablissement par la pair-aidance. Elsevier Masson

Sur le site de l'association SYSTMD, on trouve notamment cette définition de la pair-aidance: « Les pairs-aidants sont des personnes vivant ou ayant vécu un problème de santé mentale qui a entraîné une interruption ou une bifurcation significative de leur trajectoire de vie. Leurs attitudes, leurs aptitudes personnelles et leur formation en font des modèles de rétablissements positif, pour les soignés comme pour les soignants ainsi que pour la société en général.»

Pelletier, J.-F., et al. (2021). Se rétablir en santé mentale, fondements et pratiques du rétablissement par la pair-aidance. Elsevier Masson

Petits jobs pour personnes dépendantes

Selon SYSTMD, les consommateurs ont besoin «d’être inclus, de se sentir utiles.» Subventionnée en partie par la Ville à hauteur de 150'000 francs, l’association propose donc aussi des petits jobs aux personnes dépendantes, qui se chargent notamment de nettoyer les déchets découlant de la consommation de psychotropes sur l’espace public. 

«
Parmi les consommateurs, il y a des peintres en bâtiment, des électriciens, des menuisiers, tous les corps de métier. Beaucoup ont même des diplômes supérieurs
José Rodriguez, SYSTMD
»

Actif au sein de l’association, José Rodriguez souligne une réalité que l'on a tendance à oblitérer: «Parmi les consommateurs, il y a des peintres en bâtiment, des électriciens, des menuisiers, tous les corps de métier. Beaucoup ont même des diplômes supérieurs.»

Outre l’acquisition d’un camion pour effectuer des débarras, l’association organise des animations de rue, comme du ping-pong, afin de «créer un espace d’échange, d’humanité et de vie» devant l’ECS de la Riponne. SYSTMD fait aussi remonter du terrain certains faits lors de la cellule de coordination hebdomadaire de la Ville.

L'association SYSTMD est subventionnée en partie par la Ville de Lausanne à hauteur de 150'000 francs.
Photo: Julie de Tribolet

L'expérience de la Grenette

D'autres expériences ont lieu autour de la Riponne. En face du local de consommation se trouve l'espace récréatif pour enfants de la Grenette, dont la promiscuité avec l'ECS suscite de nombreuses interrogations. Ce lieu d'accueil gratuit proposé par la Ville est avant tout un espace de jeu et de loisir, même s'il comprend quelques places de garde. La plupart des 1600 à 1800 enfants qui le fréquentent chaque mois y passent du temps avec leurs parents. 

Ouvert il y a onze ans, l'établissement a survécu jusqu'ici aux secousses autour de l'ECS. Sa directrice, Michèle Montet, explique que des consommateurs désocialisés, rencontrés sur la place de la Riponne, ont pu reprendre pied en y travaillant comme personnel de maison: «Au départ, plusieurs d'entre eux étaient à la rue. Mais aujourd'hui, tous ont un logement.»

<p>Michèle Montet, directrice de l'espace récréatif de la Grenette, avec José de Macedo, qu'elle a rencontré à la Riponne et qui travaille aujourd'hui à l'intendance.&nbsp;</p>

Grâce à leur présence, ajoute la directrice, une forme de régulation par les pairs a en outre été instaurée sur la place. Selon nos informations, cette régulation aurait toutefois été mise à mal par l'arrivée de nouveaux profils à la Riponne ces derniers mois, ce qui aurait fragilisé l'équilibre des forces dans le secteur. 

Articles les plus lus