Les murs ont été repeints. Les arbres ont grandi. L’école de Saxon (VS) est devenue la maison communale. Pourtant, le bâtiment reste le même, ainsi que la cour où a jadis été retrouvé le petit vélo de Sarah Oberson, aperçue pour la dernière fois en cet endroit le 28 septembre 1985.
Quarante ans plus tard, l’avis de disparition de la fillette, âgée de 5 ans à l’époque, est toujours visible sur le site internet de la police cantonale valaisanne, signe que l’enquête est toujours ouverte. «L’affaire Sarah Oberson a traumatisé le Valais. Elle est inscrite dans les mémoires de toutes les Valaisannes et de tous les Valaisans, et en particulier de la police cantonale. Il y a prescription au niveau pénal, mais le dossier d’enquête reste ouvert chez nous et, avec le Ministère public, on explore toutes les pistes qui se présentent. On le doit à la mémoire de Sarah et surtout au courage admirable de sa famille», explique Christian Varone, commandant de la police cantonale valaisanne.
Une enquête jamais close
Nous rencontrons le policier devant l’ancienne école, aujourd’hui muée en maison communale. Cette bâtisse est apparue sur toutes les photos de presse de l’automne 1985. Elle est devenue le lieu de la disparition, «là où Sarah a été kidnappée», nous dira spontanément sa sœur cadette Justine, présidente de la Fondation Sarah Oberson (FSO) depuis 2021.
Kidnappée? Pas moyen d’en être certain, car aucune piste n’a permis à ce jour de comprendre ce qui s’est passé ce jour de septembre, entre 17h30 et 18h45, lorsque la fillette «a disparu en quittant le domicile familiale (sic) pour se rendre chez sa grand-mère dans le voisinage», comme l’indique l’avis de disparition de la police. Ses parents l’ont cherchée d’abord par eux-mêmes; ils ont retrouvé le vélo dans la cour d’école. Puis les voisins se sont joints aux cris d’appel.
Enfin, la police et l’armée ont déployé des forces pour fouiller le village et ses alentours. En tout – et comme nous l’écrivions dans L’illustré en octobre 1985 –, ce sont 70 agents, 65 recrues, 45 militaires, huit chiens et un hélicoptère qui ratissent une zone de 140 kilomètres carrés.
Au cœur de ce périmètre se trouvent une famille meurtrie et une police démunie. «On ne lâchera pas, jusqu’à ce qu’il y ait une possibilité de trouver une explication. On se doit, moralement, d’apporter une réponse à la famille Oberson. Nous ne désespérons jamais, c’est dans notre tempérament de policier de chercher les indices qui nous conduiront à la vérité», souligne Christian Varone en relevant que les quatre décennies écoulées depuis la disparition ne changent rien à la manière d’enquêter.
A chaque signalement, venu de Suisse ou d’ailleurs, un inspecteur de la police judiciaire fait les premières investigations, puis réunit, au besoin, une équipe dédiée. «Ce ne sont pas des paroles en l’air, insiste le commandant. Si quelqu’un nous dit par exemple que Sarah pourrait avoir été enterrée quelque part, on va engager des pelleteuses pour aller creuser. On tient compte de toutes les pistes.»
D’autres signalements, qui arrivent régulièrement au bureau de la police cantonale, font état de la présence bien vivante de la disparue. «C’est resté tellement ancré dans les mémoires que les gens, encore maintenant, pensent l’avoir vue sur une surface du globe et nous le signalent. Ils ont vu une personne qui ressemble fortement à une Sarah adulte.» De son côté, la police bénéficie d’outils qu’elle n’avait pas en 1985, comme la capacité de vieillir artificiellement des photos grâce à l’intelligence artificielle pour avoir une idée du visage de Sarah Oberson aujourd’hui, alors que, si elle vit toujours, elle fêtera ses 46 ans le 13 décembre de cette année.
Le dispositif d’alerte enlèvement
Cette disparition, exceptionnelle notamment par l’ampleur du choc qu’elle a causé en Valais et au-delà, a également permis d’introduire l’alerte enlèvement en Suisse. Christian Varone, qui finissait le collège à l’époque de la disparition et est devenu commandant de la police cantonale en septembre 2007, a contribué à la mise en place de cette alerte. «Ce n’était plus envisageable que notre pays ne dispose pas de ce système au XXIe siècle. La police cantonale valaisanne et la Fondation Sarah Oberson ont donc été à l’origine du déclenchement des procédures pour demander que la Suisse se dote de l’alerte enlèvement. Dans son malheur, Sarah nous a apporté la possibilité de prévenir ce type de drame à l’avenir.»
Justine Oberson, née deux ans après la disparition de sa sœur, corrobore les propos du policier. «L’alerte enlèvement est une force extraordinaire. Si cela venait à se produire à nouveau, les chances de retrouver l’enfant seraient décuplées par rapport à 1985.» Courageuse et discrète comme toute sa famille l’a été depuis quarante ans, Justine Oberson reste lucide lorsque nous lui demandons si la disparition de sa sœur n’est pas un prix trop élevé à payer pour développer ce système. «Vous savez, c’est souvent comme ça: on modifie une route parce qu’il y a eu un décès dans un virage.»
La présidente de la FSO souligne que les moyens de l’époque n’étaient pas ceux d’aujourd’hui: pas de GPS ni de téléphone traçable, on s’appuyait sur des cartes et des témoignages pour guider les recherches. «Le but premier de l’organisation qui deviendrait plus tard la fondation a été de recouper les informations.
Entre la police, les militaires et la population, beaucoup de personnes étaient impliquées. On n’avait pas encore l’e-mail, le téléphone portable. Il ne fallait pas que les informations se perdent et l’organisation jouait ce rôle de les centraliser.» Transformée officiellement en fondation en 1998, la FSO s’est aujourd’hui tournée vers la prévention auprès des enfants et le soutien aux familles touchées par une disparition ou un enlèvement.
Avant d’être stoppés par le covid, des ateliers se déroulaient dans les écoles valaisannes. «Les animatrices interviennent au niveau primaire. Elles commencent toujours par raconter l’histoire de Sarah. Même tant d’années plus tard, la plupart des enfants connaissent déjà toute l’histoire. On voit qu’il y a une transmission et que cela reste d’actualité», remarque Justine Oberson.
Un lien étroit entre police et famille
C’est par la transmission, aussi, que Justine Oberson a connu sa sœur. Née deux ans après la disparition, elle confie à travers ses larmes que, «bien sûr», elle aurait voulu la connaître autrement qu’en photos et en témoignages. Autrement que par le drame. «Malgré tout, elle reste ma sœur», insiste-t-elle en parlant au présent et en accentuant le lien indéfectible qui constitue cette famille. Une famille qui est restée soudée, qui a tout fait pour vivre «comme les autres», qui a su porter sa croix dans la discrétion et la dignité à travers les épreuves et les demandes régulières des médias.
Christian Varone, qui a rejoint le conseil de fondation de la FSO lorsqu’il est devenu commandant de la police, a beaucoup côtoyé la famille Oberson. Lui-même père de famille, il imagine avec empathie ce que l’on peut ressentir avec la perte inexpliquée de l’un des siens. «Quand je vois le courage extraordinaire du papa, Claudy Oberson, qui est malheureusement décédé, de la maman, Dominique, et de Justine, je suis encore plus motivé à explorer toutes les pistes. Ils sont vraiment devenus des amis et pas simplement des gens qui ont affaire à la police. La moindre des choses, c’est qu’on fasse tout pour pouvoir un jour leur apporter une réponse.»
28 septembre 1985: Sarah Oberson disparaît dans le village de Saxon (VS).
Mi-octobre 1985: les effectifs pour la recherche sont progressivement réduits, mais l’enquête continue.
1987: naissance de Justine Oberson, sœur de Sarah.
Automne 1998: création de la Fondation Sarah Oberson (FSO), née du mouvement de solidarité apparu dès 1985. Dès lors, la mission est de venir en aide aux familles touchées par des disparitions d’enfants ou d’adolescents.
2007: nomination de Christian Varone au poste de commandant de la police cantonale valaisanne.
2009: la FSO devient active en ligne avec le partage de documents et d’informations sur les disparitions et maltraitances d’enfants.
2010: entrée en vigueur de l’alerte enlèvement en Suisse, sous l’impulsion de la police cantonale valaisanne et de la FSO.
2018: la FSO commence des ateliers dans les écoles valaisannes afin de sensibiliser les enfants à leurs droits, en collaboration avec le Service de l’enseignement. Ces ateliers ont dû s’arrêter en période de covid.
2021: décès de Stéphanie Oberson, sœur aînée de Sarah.
2023: décès de Claude Oberson, père de Sarah.
2025: Sarah a disparu depuis quatre décennies sans laisser de traces, l’enquête continue malgré l’œuvre du temps.
28 septembre 1985: Sarah Oberson disparaît dans le village de Saxon (VS).
Mi-octobre 1985: les effectifs pour la recherche sont progressivement réduits, mais l’enquête continue.
1987: naissance de Justine Oberson, sœur de Sarah.
Automne 1998: création de la Fondation Sarah Oberson (FSO), née du mouvement de solidarité apparu dès 1985. Dès lors, la mission est de venir en aide aux familles touchées par des disparitions d’enfants ou d’adolescents.
2007: nomination de Christian Varone au poste de commandant de la police cantonale valaisanne.
2009: la FSO devient active en ligne avec le partage de documents et d’informations sur les disparitions et maltraitances d’enfants.
2010: entrée en vigueur de l’alerte enlèvement en Suisse, sous l’impulsion de la police cantonale valaisanne et de la FSO.
2018: la FSO commence des ateliers dans les écoles valaisannes afin de sensibiliser les enfants à leurs droits, en collaboration avec le Service de l’enseignement. Ces ateliers ont dû s’arrêter en période de covid.
2021: décès de Stéphanie Oberson, sœur aînée de Sarah.
2023: décès de Claude Oberson, père de Sarah.
2025: Sarah a disparu depuis quatre décennies sans laisser de traces, l’enquête continue malgré l’œuvre du temps.
Cette affaire l’a accompagné durant toute sa carrière. Alors qu’il s’apprête à prendre sa retraite, elle lui laisse un goût amer: «Partir après dix-huit ans de commandement sans avoir eu la possibilité de leur donner une réponse, je le considère comme un échec. Par contre, ce qui me réconforte, c’est qu’on a pu garder ce dossier ouvert et continuer à explorer toutes les pistes.»
«On entretient un lien étroit avec la police», confirme Justine Oberson en saluant le travail «remarquable» effectué par les enquêteurs encore actuellement. «Ma famille a toujours été très reconnaissante de l’implication de la police. J’ai régulièrement des téléphones ou des rencontres avec les inspecteurs pour discuter de l’avancée de l’enquête quand de nouveaux indices apparaissent.»
Et si, à l’heure où l’on publie ces lignes, un signalement s’avérait être le bon et que l’on retrouvait Sarah demain? Nous avons posé la question, tour à tour, à nos deux interlocuteurs: quelle serait leur réaction au moment de boucler l’affaire? Malgré sa rigueur de policier, Christian Varone laisse transparaître l’émotion. Il prend le temps de lisser sa cravate avant de répondre. «C’est clair que ce serait une très grande émotion à la fois pour le corps de la police cantonale, pour la population et pour la famille. La priorité serait d’annoncer à la famille qu’on a retrouvé Sarah. Et puis, en mémoire de ce que nos prédécesseurs ont fait en 1985 avec les moyens de l’époque, ce serait une belle récompense.» De son côté, Justine Oberson laisse échapper quelques larmes en cherchant ses mots: «Je ne peux pas vous dire comment je réagirais, je n’en ai aucune idée. Je pense que je serais abasourdie.» L’espoir, lui, ne disparaît pas.
Cet article a été publié initialement dans le n°31 de «L'illustré», paru en kiosque le 31 juillet 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°31 de «L'illustré», paru en kiosque le 31 juillet 2025.