Pour protéger la Suisse
La Confédération cache une expertise clé sur la reconnaissance de la Palestine

La Suisse doit-elle reconnaître la Palestine comme Etat? Le Département des affaires étrangères (DFAE) a commandé une expertise de la question en regard du droit international, mais il refuse de rendre les résultats publics.
Publié: 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 06:05 heures
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Enfants palestiniens sur des décombres dans la bande de Gaza.
Photo: imago/UPI Photo
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Fabian Eberhard

Les chars roulent. Depuis mardi dernier, les unités israéliennes avancent vers le centre de Gaza. Plus de 450'000 Palestiniens ont déjà fui la ville.

Les critiques internationales visant Benjamin Netanyahu et sa guerre s’intensifient de jour en jour. La Commission européenne pousse les Etats membres de l’Union européenne (UE) à imposer des sanctions contre Israël. Sa présidente, Ursula von der Leyen, a déclaré: «Les choses épouvantables qui se déroulent chaque jour dans la bande de Gaza doivent cesser.»

Dans les prochains jours, les tensions devraient encore s'aggraver. La France, la Grande-Bretagne, le Portugal, le Canada et d'autres pays envisagent de reconnaitre l'Etat palestinien lundi, lors de l'Assemblée générale des Nations Unies à New York. Cette décision, avant tout symbolique, se veut être une réponse claire à la catastrophe humanitaire qui sévit dans la bande de Gaza.

Une expertise sous clé

Et la Suisse? Elle continue de miser sur la diplomatie, n'adoptant qu'à dose homéopathique des positions fermes sur la guerre au Proche-Orient. Le Conseil fédéral le sait: le dossier est un véritable champ de mines, l'un des plus clivants qui soient. 

Ce dernier épisode montre à quel point la Confédération se dérobe. En coulisses, le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) d'Ignazio Cassis a commandé une analyse du droit international public vis-à-vis d'une éventuelle reconnaissance de la Palestine. Réalisée par la Direction du droit international public du DFAE, cette expertise a été finalisée le 10 juin.

S'appuyant sur la loi sur la transparence, Blick a demandé à consulter le document. Mais le DFAE a refusé: le document reste sous clé, inaccessible aux yeux du public.

Peur pour les relations de la Suisse

Pourquoi ce refus? Selon le DFAE, la divulgation du document pourrait «considérablement nuire» aux intérêts de la politique étrangère et aux relations internationales de la Suisse, qu'il s'agit de préserver. Il serait «particulièrement important» de ne pas compromettre le rapport de confiance entre la Suisse, les parties au conflit et d'autres Etats. 

Le DFAE évoque aussi la nécessité de protéger la «libre formation de l'opinion et de la volonté» du Conseil fédéral, sans donner davantage de précisions sur ce point. De son côté, Blick continue d'exiger la remise du document et a saisi le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) pour obtenir une médiation.

Peu d'Etats font preuve d'autant de discrétion que la Confédération sur leurs positions sur ce sujet. A ce jour, près de 150 nations ont reconnu la Palestine comme Etat, une décision qui, en Suisse, relèverait du Conseil fédéral.

Lors d'une conférence de l'ONU en juillet, Monika Schmutz Kirgöz, cheffe de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord du DFAE, a ainsi résumé la position de Berne: «Pour la Suisse, une reconnaissance bilatérale de la Palestine doit s'inscrire dans la perspective d'une paix durable basée sur la solution des deux Etats.» Une telle reconnaissance pourrait être envisagée lorsque «des mesures concrètes en faveur de cette solution» auront été mises en place.

Pour la Confédération, une paix globale doit donc précéder toute décision. Or, après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et la riposte dévastatrice d’Israël, cette perspective paraît lointaine. Quant à savoir si l’expertise du DFAE juge légitime une reconnaissance de la Palestine au regard du droit international, cela demeure secret.

La Suisse craint-elle la réaction de Trump?

La nervosité de la Confédération sur la question palestinienne pourrait aussi s'expliquer par son différend commercial avec Washington. La Suisse mène toujours des négociations délicates à propos des taxes douanières américaines, et une reconnaissance officielle de la Palestine risquerait d'irriter le président américain Donald Trump et ses négociateurs.

Le Canada en a récemment fait les frais. Trump s'est emporté sur sa plateforme Truth Social: «Wow! Le Canada vient d'annoncer qu'il soutient l'indépendance de la Palestine. Cela va être très difficile pour nous de conclure un accord commercial avec eux.»

Le Conseil des Etats s'oppose à la reconnaissance

Le Conseil national devra bientôt se prononcer sur la question de la reconnaissance de la Palestine. Le Conseil des Etats a déjà clairement tranché: il ne souhaite pas que la Suisse franchisse ce pas pour l'instant. Il y a deux semaines, une initiative cantonale genevoise en faveur de cette reconnaissance a été rejetée par 27 voix contre 17. Ceci parce qu’une telle décision relève du Conseil fédéral et non du Parlement L'initiative sera désormais examinée par la Commission de politique extérieure du Conseil national.

L'épreuve de force devrait probablement avoir lieu lundi à New York. Lors de la «semaine de haut niveau», l’Assemblée générale de l’ONU débattra du conflit au Proche-Orient, qui ne cesse de s'aggraver. Si le président français Emmanuel Macron, le Premier ministre britannique Keir Starmer et d'autres dirigeants vont au bout de leurs déclarations, près de 80% des Etats membres de l'ONU reconnaîtront bientôt la Palestine comme un Etat.

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