Elle est «l’enfant terrible de la politique suisse». Connue pour son style «offensif», la Zurichoise Sanija Ameti est la coprésidente d’Opération Libero depuis 2021, un «mouvement politique engagé en faveur d’une Suisse ouverte et libérale.»
Au sein d’un groupement pro-européen, celle qui était candidate au Conseil national en 2023 sous les couleurs des Vert'libéraux a lancé mardi 2 avril une initiative populaire afin d'ancrer dans la Constitution un article stipulant que la Suisse participe activement à l'intégration européenne. Intitulé «Pour une Suisse forte en Europe», le texte est porté notamment par le mouvement Opération Libero, les Vert-e-s suisses, le Mouvement européen suisse et l'Union étudiant-e-s de Suisse.
Le but de l’initiative? Garantir les libertés acquises du marché intérieur de l’Union européenne (UE), comme la libre circulation des personnes et des marchandises. Et renforcer la coopération avec l’UE dans des domaines tels que la politique climatique, la formation, la recherche et la culture. À l’heure de la montée des populismes sur le continent européen, de la guerre en Ukraine, l’Europe fait-elle encore rêver les jeunes? Sanija Ameti en est convaincue. Interview.
Sanija Ameti, votre sens du timing interroge. La Suisse vient d’entamer des négociations avec l’UE. Pourquoi cette initiative maintenant?
Le résultat de ces négociations sera soumis au peuple. Il va voter dans quelques années. Il faut donc qu’on occupe le terrain, et ne pas laisser l’Union démocratique du centre (UDC) dicter son propre agenda, brandir l’épouvantail des dépenses ou encore raconter que l’UE va dévorer la Suisse.
Après le psychodrame de 2021, avec l’abandon unilatéral par le Conseil fédéral de l’accord-cadre, on ne peut pas dire que l’entame des négociations entre l’Europe et la Suisse suscite un grand enthousiasme. Vous êtes choquée par l’absence de débat?
Oui, absolument. Le Conseil fédéral entame ces négociations sur l’avenir de la Suisse et les discussions se perdent dans les détails. L’UDC en profite pour mener un débat identitaire. Nous devons construire un nouveau récit autour de la place de la Suisse en Europe. «Allons-nous reconnaître que nous sommes au centre de l’Europe? Et que cette Europe de paix, de liberté et de démocratie est au cœur de nos identités? Allons-nous défendre des valeurs démocratiques et libérales?» Le seul outil que nous avons à notre disposition pour mener ce débat de principe est l’initiative populaire.
Une stratégie similaire à celle de l’UDC.
Oui, on ne peut pas accuser l’UDC de ne pas avoir le sens de la stratégie. Ce n’est pas un hasard si l’UDC lance deux initiatives par année pour supprimer la libre circulation des personnes dans l’UE, limiter l’immigration ou miner la coopération internationale en matière de sécurité et de défense. Ce faisant, elle monopolise l’espace médiatique et public, dicte son agenda et surtout construit son propre récit. Avec notre initiative, on souhaite changer de discours.
Est-ce que vous ne risquez pas de braquer davantage les eurosceptiques avec cette initiative?
Les europhobes purs et durs voteront de toute façon «non» aux nouveaux accords avec l’UE négociés par le Conseil fédéral. Mais nous devons parvenir à mobiliser les autres, en particulier les jeunes. On doit descendre dans la rue pour faire signer cette initiative et mobiliser cette majorité silencieuse.
Une majorité, vraiment? Selon une étude smartvote réalisée après les élections fédérales de 2019 et publiée en septembre 2022, seuls 6,5% des électeurs de 18 à 34 ans souhaite une adhésion de la Suisse à l’UE.
Ici, on ne parle pas d’adhérer à l’UE. En revanche, les jeunes plébiscitent un partenariat fondé sur les libertés, en particulier sur la libre circulation des personnes. Les jeunes ont clairement refusé l’initiative contre l’immigration de masse de 2014, et balayé l’initiative dite «de limitation» de 2020. Notre initiative est tournée vers l’avenir: elle met l’accent sur la mobilité, mais aussi sur la formation, sur l’innovation, sur la culture et sur la protection du climat.
Avec la montée et le renforcement de l’extrême droite dans certains pays européens, qu’est-ce qui vous fait envie dans cette Europe?
L’UE est un projet de paix réalisé grâce à la paix et pour la paix. Justement, il nous faut lutter contre les dérives autoritaires de l’extrême droite. Pas seulement en Suisse, mais sur tout le continent européen. Quand je vois l’influence qu’exerce la Russie dans ces mouvements d’extrême droite, je me dis qu’il faut sortir du silence. Il est impératif d’agir. Le régime «va-t-en-guerre» de Poutine fait beaucoup d’adeptes dans ces milieux. Pensons aux liens financiers de mouvements comme l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) ou le Rassemblement national (RN) français avec le régime russe. Sur le continent européen, on voit se développer un réseau anti-démocratique qui cherche à miner l’Europe non seulement de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Il faut en parler!
Et vous pensez que cette initiative est l’instrument idoine pour mener cette lutte?
Pour lutter contre la droite autoritaire, opposée à l’Europe en tant que projet de paix, de droits et de libertés, c’est grâce à cet outil que nous parviendrons à mobiliser la majorité silencieuse en faveur de la démocratie et de l'Europe. Une majorité qui comprend l’importance d’une Europe unie et d’une Suisse active dans la défense de ces idéaux. Si l’initiative passe la rampe, ces principes seront ancrés dans la Constitution.
Que reste-t-il de l’idéal européen, des valeurs de paix et de liberté?
Je peux vous parler de mon expérience personnelle. Je sais ce qu’il se produit quand ces valeurs sont piétinées. En 1995, mes parents ont dû fuir une Bosnie en guerre. Je suis arrivée en Suisse à l’âge de trois ans, en provenance d'un pays où les valeurs de paix, d’égalité, de liberté, de respect des minorités n’étaient plus respectées. Et quand celles-ci disparaissent, le pire se produit. Nous avons vécu un génocide. C’est pourquoi il est si important pour moi de les défendre. Sans ces valeurs, pas de liberté.
Vous pensez que la jeunesse suisse agit un peu comme un enfant gâté? Qu’elle ne se rend pas compte de la chance qu’elle a eue de grandir dans une Europe en paix?
C’est quelque chose qui me déchire parfois. J’aimerais faire ressentir ou faire comprendre à cette génération ce que c’est que de se retrouver dans une situation où l'on perd tout. Mais je suis aussi heureuse pour elle qu’elle n’ait jamais eu à expérimenter ces traumatismes, et je me bats pour que cela n’arrive jamais.
En 1992, le vote du non à l’Espace économique européen (EEE) a marqué toute une génération de Suisses et de Suissesses. Pas la vôtre. Comment faire encore rêver les jeunes avec l'Europe?
En proposant un projet positif pour le futur. Ne pas souscrire aux idéaux et mythes «romantiques» de l’UDC qui voit la Suisse comme un petit Ballenberg (ndlr: un musée en plein air présentant l'habitat rural traditionnel des différents cantons suisses), sereine et sans étranger. Contrer les discours europhobes qui occupent l’espace depuis trente ans en lançant nos initiatives. Ça va être du boulot! J’espère qu’il me reste encore 30 ans à vivre pour le faire. Qu’on le veuille ou non, notre identité est celle d’une Europe libre.
Vous pensez obtenir les 100’000 signatures d'ici à dix-huit mois?
C’est un vrai défi, et j’ai beaucoup de respect pour cette tâche. Mais je suis déterminée et confiante que nous allons y arriver!
Née en Bosnie en 1992 – ses parents ont fui la guerre lorsqu’elle avait trois ans – cette doctorante en cybercriminalité se fait remarquer sur la scène politique en 2021 lors de la campagne de votation contre la loi antiterroriste où elle tient tête à la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter devant les caméras de la TV alémanique. Dans la foulée, elle se fait élire au législatif de la ville de Zurich sous la bannière des Vert’libéraux et se voit proposer la coprésidence du mouvement pro-européen Opération Libero. Candidate au Conseil national, lors des élections fédérales de 2023, le «phénomène Ameti» fait sensation en lançant sa campagne depuis l'aéroport de Pristina (Kosovo) où une large affiche de la Suissesse invitait – en albanais – les binationaux à voter pour elle. Sans succès. Elle est aujourd'hui membre du conseil municipal de la Ville de Zurich.
Née en Bosnie en 1992 – ses parents ont fui la guerre lorsqu’elle avait trois ans – cette doctorante en cybercriminalité se fait remarquer sur la scène politique en 2021 lors de la campagne de votation contre la loi antiterroriste où elle tient tête à la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter devant les caméras de la TV alémanique. Dans la foulée, elle se fait élire au législatif de la ville de Zurich sous la bannière des Vert’libéraux et se voit proposer la coprésidence du mouvement pro-européen Opération Libero. Candidate au Conseil national, lors des élections fédérales de 2023, le «phénomène Ameti» fait sensation en lançant sa campagne depuis l'aéroport de Pristina (Kosovo) où une large affiche de la Suissesse invitait – en albanais – les binationaux à voter pour elle. Sans succès. Elle est aujourd'hui membre du conseil municipal de la Ville de Zurich.