Claude Longchamp revient sur une étude
«La gauche n'est pas plus intolérante que la droite»

Les personnes de gauche seraient plus intolérantes que celles à droite: c'est avec cette affirmation qu'une nouvelle étude fait actuellement les gros titres. Le politologue Claude Longchamp explique pourquoi cette interprétation est erronée.
Publié: 01.08.2023 à 14:55 heures
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Dernière mise à jour: 01.08.2023 à 17:24 heures
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Le politologue Claude Longchamp parle de la polarisation affective en Europe dans un entretien avec Blick.
Photo: Keystone
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Robin Bäni

Une nouvelle étude provoque des remous. L’université de Dresde, en Allemagne, a analysé le degré de compréhension des Européens vis-à-vis d’opinions autres que la leur. Pour ce faire, 20’000 personnes de dix pays européens ont été interrogées sur des thèmes tels que la migration, l’égalité, le changement climatique ou le traitement des minorités sexuelles.

Les résultats de l’étude suscitent l’incompréhension. «Gauche, urbain, éduqué – et intolérant», a titré le «SonntagsZeitung». «Une étude tacle la gauche urbaine bien-pensante», annonce pour sa part «20 minutes». Cela n’a pas manqué de susciter l’indignation des jeunes citadins de gauche. Et en plus, un débat sur la notion de «polarisation affective». Par ce terme, les sciences politiques décrivent à quel point les gens sont guidés par leurs sentiments et rejettent donc les autres opinions.

L’étude a-t-elle été mal comprise par les médias? Explications avec le politologue Claude Longchamp.

Monsieur Longchamp, les gens de gauche sont-ils plus intolérants que ceux de droite?
Il n’existe aucune étude qui le prouve. Le papier en question a mesuré la polarisation affective, et non de l’intolérance. Dans toute l’étude, le mot intolérance n’apparaît pas une seule fois.

Quelle est la différence?
Celui qui est polarisé du point de vue affectif ne comprend pas l’opinion d’autres groupes, mais il la tolère. C’est la principale différence avec l’intolérance. Une personne intolérante veut interdire les autres opinions et bannir leurs défenseurs de la société.

Pouvez-vous expliquer cela à l’aide d’un exemple?
C’est sur le thème du changement climatique que les Vert-e-s font preuve de davantage de polarisation affective. Ils ne comprennent pas pourquoi il y a des gens ou des groupes qui nient le changement climatique. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont intolérants. Au contraire: si je ne comprends pas une autre opinion, mais que je la tolère, je suis tolérant.

Pourtant, selon l’étude, les personnes de gauche sont plus polarisées du point de vue affectif.
Dans les statistiques européennes globales, oui. Mais dans certains pays, c’est l’inverse. Par exemple en Allemagne. Là-bas, la droite – surtout les partisans de l’AfD – est beaucoup plus polarisée affectivement que la gauche. Il n’est pas possible de généraliser l’affirmation selon laquelle seule la gauche est polarisée. Les résultats varient en fonction du pays et du thème.

Par exemple?
Dans les pays où l’immigration fait l’objet de vives controverses, la droite est plus polarisée sur le plan affectif que la gauche. C’est l’inverse pour les débats sur l’égalité des sexes et les droits des minorités sexuelles.

Pourtant, la polarisation affective peut mettre une démocratie en danger.
Oui, mais cela dépend de l’ampleur. En Amérique, la polarisation est très importante, alors qu’en Europe, elle est relativement faible: au maximum 17% de la population est fortement polarisée sur le plan affectif.

Il s’agit tout de même d’une personne sur six environ.
Ce n’est pas un chiffre élevé. En Europe, les extrémistes de gauche et de droite représentent environ 10% de la population. Ce sont des personnes qui approuvent la violence physique. La polarisation affective implique tout au plus la violence verbale. Un 17% n’est donc pas surprenant. En Suisse, les valeurs seraient probablement encore plus basses.

Que dit l’étude sur la Suisse?
Rien. Les auteurs de l’étude n’ont pas pris en compte la Suisse. Il n’y a pas de données à ce sujet.

Mais ici aussi, la polarisation affective existe.
En effet, et j’aimerais savoir à quel point ce phénomène est répandu. Mais il n’y a pas d’études récentes à ce sujet. Ce que je constate, c’est une polarisation objective lors des votations. Parfois, les débats sont très animés. Mais cela fait partie de la culture du débat, et c’est pourquoi notre démocratie n’est de loin pas en danger.

Que faut-il faire pour que cela reste ainsi?
Il est important de ne pas dénigrer l’adversaire politique. Un système multipartite aide également: en Suisse, il y a toujours de nouvelles alliances. Actuellement, le PLR donne le change aux Vert-e-s. Il y a un mois, ils défendaient encore ensemble la loi sur la protection du climat. C’est typique de la Suisse.

Cela ne pourrait-il pas changer? On reproche aux jeunes de gauche d’être les plus polarisés. Il existe même un terme pour cela en anglais: «Yips» (young illiberal progressives), c’est-à-dire des jeunes progressistes à l’esprit étroit.
L’étude dit le contraire. Selon elle, les plus de 55 ans sont les plus polarisés du point de vue affectif. Yips est un terme de marketing, une nouvelle façon de nommer «l’ennemi», et d’attaquer un groupe avec des idées différentes. Ce terme n’a pas d’utilité à mes yeux.

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