Un contrat qui tourne au fiasco
Ce diplomate aura sûrement une mission impossible: négocier le prix des F-35 avec les USA

L'acquisition du F-35 risque d'être un fiasco financier. Tandis que le Conseil fédéral mise sur la diplomatie, les Etats-Unis font valoir des coûts supplémentaires. Au cœur de ce duel, l'ambitieux ambassadeur Gabriel Lüchinger pourrait jouer un rôle décisif
Publié: 13:54 heures
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Le diplomate suisse Gabriel Lüchinger, envoyé spécial pour les USA, pourrait jouer un rôle clé dans le différend sur le F-35.
Photo: keystone-sda.ch
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Sven Altermatt et Céline Zahno

Le contrat d'armement le plus cher de l'histoire de la Suisse risque d'être une véritable catastrophe: plus d'un milliard de francs de coûts supplémentaires pourraient être à la charge de la Confédération. Le Conseil fédéral avait pourtant affirmé pendant des années avoir commandé les avions de combat F-35 à un prix fixe d'environ 6 milliards de francs.

Le nouveau ministre de la Défense Martin Pfister (Le Centre) a dû finalement reconnaître que les Etats-Unis exigeaient davantage d'argent et qu'il y avait eu un «malentendu» sur le prix fixe.

La Suisse n'a d'autre choix que la diplomatie

La Suisse peut-elle encore se sortir de ce bourbier? Une clarification juridique semble exclue, il ne reste donc plus que la voie diplomatique. Le Conseil fédéral a certes déclaré vouloir poursuivre le dialogue avec l'Oncle Sam, mais il est resté vague. Dans la Berne fédérale, de plus en plus d'indices laissent penser qu'un diplomate en herbe se chargera de cette mission délicate: Gabriel Lüchinger.

Selon des sources bien informées, il devrait jouer un rôle important dans les négociations avec Washington. Il n'y a cependant pas de confirmation officielle à ce sujet et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ne s'exprime pas plus en détail. Mais dans les milieux diplomatiques, on dit qu'il a les compétences nécessaires.

Les politiciens de la sécurité font confiance au Bernois, membre de l'Union démocratique du centre (UDC), pour jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. «Gabriel Lüchinger s'investit dans les dossiers, connaît très bien ces thématiques et est un habile négociateur», déclare son collègue de parti et conseiller aux Etats Werner Salzmann.

Des négociations de plus en plus difficiles

Depuis avril, Gabriel Lüchinger est l'envoyé spécial de la Suisse pour les relations avec les Etats-Unis. Il a été nommé peu après l'éclatement du conflit douanier avec le gouvernement américain de Donald Trump. Mais le communiqué annonçant la nomination de Lüchinger indiquait déjà que la fonction servait de «canal de contact ciblé et complémentaire, axé sur la sécurité internationale». Une phrase qui n'a guère été remarquée au printemps. Ce qui est clair en revanche, c'est qu'à l'époque, le Conseil fédéral était déjà au courant du gâchis imminent des F-35.

La situation de départ pour la Suisse est délicate: la Confédération s'efforce de conclure un accord avec les Etats-Unis afin d'atténuer les droits de douane punitifs imposés par le président Trump. Un conflit ouvert sur le prix du F-35 risque de peser encore plus sur des négociations déjà difficiles. «Les deux sont malheureusement liés en fin de compte», explique un initié. «L'ambassadeur Lüchinger serait l'homme de la situation pour maintenir la cohésion de cette structure complexe». Selon les informations, un voyage aux Etats-Unis est prévu pour Lüchinger dans les semaines à venir.

«
Vouloir résoudre la débâcle du F-35 par la voie diplomatique relève de l'amateurisme et du conte de fées
Franziska Roth, conseillère aux Etats socialiste
»

La conseillère aux Etats socialiste Franziska Roth n'est pas convaincue par l'orientation du Conseil fédéral. «Vouloir résoudre la débâcle du F-35 par la voie diplomatique relève de l'amateurisme et du conte de fées, critique-t-elle. Les Etats-Unis ne disposent pas des bases légales nécessaires pour faire supporter les coûts supplémentaires à leurs propres contribuables. Même un diplomate engagé comme Monsieur Lüchinger ne peut rien y changer.»

Lüchinger est aussi un politicien local de l'UDC.

Mais au fait, qui est cet homme? Gabriel Lüchinger est le chef de la division «Sécurité internationale» du DFAE. Dans cette fonction, l'ambassadeur a également participé à l'organisation de la conférence de paix sur l'Ukraine au Bürgenstock en 2024. Sa carrière diplomatique fut rapide: après des missions en tant qu'attaché militaire – il est colonel de l'armée suisse – ce juriste de formation a encore passé le concours diplomatique. Quelques années plus tard, il a pris la direction de l'un des principaux départements du DFAE.

Le Bernois est également conseiller communal UDC à Herzogenbuchsee (BE). Il a brièvement été secrétaire général du parti sous Albert Rösti, puis collaborateur personnel du conseiller fédéral Guy Parmelin. Les médias ont déjà fait de Lüchinger la «star montante de la politique étrangère suisse», peut-on lire dans les pages de la «NZZ am Sonntag». Il n'apparaît guère en public, le Bernois étant considéré comme «réticent aux interviews».

Lüchinger devrait pourtant bien connaître le dossier des avions de combat. Selon des recherches menées par la SRF en 2022, il a parfois fait partie d'un groupe de travail secret chargé d'établir une «vue d'ensemble de la politique étrangère» en amont de l'acquisition du jet.

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