«Harcèlement psychologique»
A bout, les cheminots pètent les plombs dans le Seeland

Les employés d'Aare Seeland mobil sont en colère contre leur employeur. Ils se plaignent de leurs conditions de travail. Nombreux sont partis ou ont été incités à le faire. Mais rien n'est illégal.
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Aare Seeland Mobil exploite les lignes de train dans le Seeland bernois et entre Soleure et la Haute-Argovie.
Photo: Christa Minder
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Michael Hotz

«La manière dont on nous traite est catastrophique.» La fronde gronde chez les conducteurs de train opérant pour Aare Seeland mobil (ASM). Ils déplorent leurs conditions de travail et la gestion de la direction. Que se passe-t-il exactement dans cette entreprise de transport public qui circule dans la région du Seeland, de Soleure et de la Haute-Argovie?

Blick s'est entretenu avec d'anciens conducteurs de train et d'autres qui sont encore en activité. La première chose qui ressort est l'amour de leur métier. Mais beaucoup commencent à perdre leur passion dans leurs locomotives. Personne ne souhaite être cité nommément, car tous ont peur des représailles de leur employeur. Mais ils sont unanimes dans leurs critiques: nombre trop élevé de jours de travail consécutifs, horaires trop longs et temps de repos trop courts entre deux services.

Blick a pu consulter leurs horaires de travail. Les conducteurs de train de l'ASM travaillent jusqu'à neuf jours d'affilée, souvent 7 à 8 heures par jour. De plus, ils ne disposent généralement que de 9 heures de pause avant de reprendre leur service le lendemain. Tout cela est certes légal, «mais cela n'a rien à voir avec un environnement de travail moderne», se plaint un cheminot. «Attrayantes, modernes et sociales: telles sont les conditions d'emploi chez Aare Seeland mobil», écrit pourtant l'ASM sur son site internet. 

«Des problèmes de sécurité»

Pour les employés avec lesquels Blick s'est entretenu, c'est de la pure provocation. «Dans ces conditions, il est impossible d'avoir une vie de famille», témoigne un employé de longue date. Et d'ajouter: «J'en souffre psychologiquement.» Il se sent souvent épuisé et fatigué. Même son de cloche chez ses collègues. «Il nous arrive parfois de nous assoupir quelques secondes pendant que nous conduisons.» Un autre ajoute: «Travailler ainsi pose des problèmes de sécurité.» 

Conséquence: de nombreux employés se font mettre en arrêt maladie. Ils sont ensuite encore plus mis sous pression par ASM. Il arriverait régulièrement que le service des ressources humaines contacte le médecin pour obtenir des précisions sur les causes de l'arrêt maladie. Blick dispose de preuves d'un cas concret. De plus, des conducteurs de train rapportent avoir reçu des appels téléphoniques de leurs supérieurs lorsqu'ils étaient malades ou en congé. Ils parlent même de «harcèlement psychologique». Une source résume la situation ainsi: ceux qui émettent des critiques en interne sont immédiatement réduits au silence par ceux qui se trouvent tout en haut de la hiérarchie.

Confronté à ces reproches, Aare Seeland mobil répond à Blick que «la sécurité et des conditions de travail réglementaires sont une priorité absolue. Les processus et les conditions cadres sont contrôlés et optimisés en permanence.» Et d'ajouter: «Nous prenons au sérieux les commentaires de nos collaborateurs et les examinons.»

Concernant les coups de téléphone durant les congés des employés, ASM explique qu'ils sont dus aux défections de dernières minutes. Ces derniers mois, l'entreprise bernoise aurait connu «un nombre exceptionnellement élevé d'absences imprévues». «Comme nous sommes soumis à l'obligation de transport, nous sommes obligés de trouver des collaborateurs pour remplacer les collègues absents. C'est pourquoi il arrive que nous appelions des employés même pendant leur temps libre», poursuit ASM dans sa réponse. Afin de pouvoir planifier les prochaines missions des collaborateurs en arrêt maladie, ceux-ci sont «soumis à une obligation minimale de communication réciproque».

De nombreux départs

De nombreux cheminots chez ASM en ont eu assez et ont décidé de quitter leur job. D'autres ont été forcés à le faire car ils se sont défendus. Selon les documents dont dispose Blick, sur les 30 conducteurs de train qui étaient employés en 2020, 21 sont partis.

Interrogée par Blick, l'entreprise de transport public ne conteste pas le nombre de départs, mais affirme que « le taux de rotation n'est pas élevé ». Celui-ci serait plus faible en 2025 qu'en 2023 et 2024. Dans le même temps, ASM souligne que l'effectif des conducteurs de train est complet.

Les mécaniciens de locomotive veulent plus de temps de repos

Depuis des années, un accord fait l'objet d'une vive controverse entre les conducteurs de train et leurs supérieurs. Dans cet accord, les employés d'ASM acceptent certaines règles qui s'écartent des dispositions légales applicables aux employés des transports publics. A la défaveur des cheminots. Par exemple, au lieu des 11 heures minimales garanties par la loi, le temps de repos peut être réduit à 9 heures seulement.

Apparemment, le représentant de la commission du personnel signe cette convention chaque année à l'insu des employés. Rien d'illégal là-dedans. Les accords sont suffisamment clairs et correspondent aux dispositions de l'ordonnance du droit suisse, estime Roger Rudolph, professeur de droit du travail et de droit privé à l'Université de Zurich.

Seulement, il existe tout de même certaines zones d'ombre. Ainsi, ASM prévoit par défaut des temps de repos réduits de seulement 9 heures pour les conducteurs de train, comme on peut le voir sur les horaires de travail. Or, selon le droit suisse, la réduction à 9 heures présuppose un «contexte particulier», explique Roger Rudolph. «D'après moi, cela ne doit donc pas être une norme.»

ASM déclare à Blick que l'établissement des horaires de travail se fait toujours conformément aux dispositions légales. Certains employés souhaiteraient même que les temps de repos soient raccourcis. Et l'accord serait signé par les représentants des employés à la demande du Syndicat du personnel des transports (SEV).

Un meilleur salaire

Ces explications n'ont pas été bien accueillies par les conducteurs de train. Ils avaient prévu de se rebeller en refusant de signer l'accord pour 2026. Mais le représentant de la commission du personnel l'avait déjà paraphé, le faisant entrer en vigueur le 16 décembre. Les employés mécontents devront donc attendre 2027 pour voir leurs revendications satisfaites.

Les cheminots d'ASM bénéficieront tout de même d'une augmentation de salaire de 0,7% l'année prochaine. Une consolation pour eux? Pas vraiment. «Il faut que les choses changent fondamentalement», déclare l'un eux. Au sein d'Aare Seeland mobil, les fêtes de Noël se dérouleront sous le signe de la discorde.

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